Alain Vircondelet : Le poète, entre le temps de l’émerveillement et celui de l’accomplissement des promesses

 

Rien n’est plus palpable lorsque l’âme du poète veut toucher l’ineffable que l’exemple de ce mouvement enivrant d’un train qui séduit le regard jusqu’à l’imprégner de la présence du réel assis sur des « rails d’acier » comme diaphragme respirante du monde, nous dit Alain Vircondelet dans L’Avant-propos de son recueil Des choses qui ne font que passer publié aux Éditions L’enfance des arbres. De ce spectacle oscillant, seul le langage arrivera à arrimer à la rétine de la mémoire l’instant suspendu dans « le défi des saisons, le lent essor des graines, la joie des premières fleurs surgissant de leur écrin de terre, le ploiement des branches après la pluie, l’élan invisible des buissons reverdis,  la sagesse des villages sûrs de leurs clochers ».

Cet inventaire du regard suspendu à la force de la métaphore omniprésente d’un réel enchanté est pour le poète émerveillé un « accomplissement des promesses », syntagme emprunté à Marguerite Duras. Pour lui, la poésie n’est donc plus simplement un habit sublimé qui recouvre le visage du monde, mais une présence rassurante et essentielle qu’il invoque, en utilisant en ombre chinoise les paroles de l’Évangile « Reste avec moi, oui, reste avec moi, ô, Poésie, le soir tombe : viens m’éclairer ».

C’est à la lumière de cette présence que se construit le recueil d’Alain Vircondelet dont la forme polyptyque renvoie à la structure vivaldienne de par sa thématique structurée par la suite des saisons – Printemps/Été/Automne/Hiver –  comme ancrage temporel et motif d’une dynamique poétique suivant ainsi le passage temporel soumis sans cesse à la fulgurance du passage d’un train qui n’est ici que l’image matérialisé du temps qui s’en va. 

Ainsi, le lecteur voyageant à travers le printemps et l’été fera connaissance avec « La vie redonnée/Comme une offrande » par « l’avènement docile du printemps » dans cette campagne « traversée/Au petit matin », avec « l’indulgence/ De l’orge/Dans la terre gorgée/ Des pluies d’avril » pour se résoudre par la suite, une fois l’été arrivé, à « Consentir au flux du temps/Quand la mer immense des champs déploie ses vagues incessantes./ S’y baigner avec le couchant ».

L’automne couvrira les champs de « l’implacable silence» comme « des draps/Tendus.Que le tulle de givre/A empesé.» Pour le poète-voyageur, le temps et, finalement, sa propre vie, cette saison est annonciatrice d’une solitude condamné à la brièveté des journées et à l’arrivée insidieuse des nuit inquiètes, synonymes « d’ivresses/ Des menaces ». Sa présence suit « le galop du train », signe pour lui que « Tout recommence. Et l’impeccable répétition/Des choses et du monde ».

Pas étonnant de le voir en hiver se refuser au regard extérieur, protégé comme il est par l’obscurité du train de nuit « qui file/sans faillir» et attiré plutôt par « les vastes champs d’étoiles » qu’offre le ciel. 

Suit une cinquième saison qu’Alain Vircondelet imagine comme un accomplissement des quatre qui la précèdent : « La saison des choses accomplies ». La réflexion poétique s’intériorise et devient méditation sur le sens de la vie de son être sensible et pensant, confronté à l’immuable existence des choses éternelles. Le temps devient « Inévitable et vaste nuit » où des êtres chers hantent ses souvenirs que seule « l’espérance/Ne saurait abolir », dans une mécanique ferroviaire, redisons-le, implacable comme « une impeccable répétition/Des choses et du monde ». C’est au milieu de ce cours ordinaire des choses que le poète craigne l’arrivée de ce qu’il appelle « le chant profond des soirs ordinaires », symbole des « aubes inépuisables » qu’il ressent comme une préparation « au Royaume », promesse ultime et rédemptrice.

La traversée des aubes, des saisons et des paysages tisse à travers ces poèmes une toile de mystère qui suit le réseaux ferroviaire d’un imaginaire avide de la beauté du monde. Un beauté qui pour Alain Vircondelet est à la fois baume contre la solitude et une porte de sortie vers la transcendance. La poésie remplit finalement son devoir de promesse sous l’œil tremblant qui scrute l’horizon mouvant d’un regard enchanteur qui contemple les choses ondoyantes qui ne font que passer.

Dan Burcea ©

Alain Vircondelet, Des choses qui ne font que passer, Éditions L’enfance des arbres, 2021, 121 pages.

 

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