Interview. Mohamed Ali Jlaïel, Directeur de l’Hôtel Zita Beach Resort: «Notre but est de pouvoir rester ouverts toute l’année, comme c’était les cas jusqu’en 2010»

 

 

Nous sommes dans la première quinzaine du mois d’octobre à Zarzis en Tunisie. L’hôtel Zita Beach Resort nous accueille dans ses larges espaces en bord de mer. Nous profitons de ce séjour pour discuter autour d’un café avec le Directeur de l’établissement, M. Mohamed Ali Jlaïel.

 

 

Bonjour Monsieur le Directeur. Ce qui nous a impressionné dès notre arrivée, ce sont les espaces très vastes et la propreté des lieux, mais aussi le caractère monumental de bâtiments comme, par exemple, cet immense hall de la réception où nous nous trouvons en ce moment. Quelle est l’histoire de ces lieux, depuis quand datent-ils et quelle est son origine ?

Bonjour Monsieur Dan Burcea, tout d’abord, merci pour la confiance témoignée à l’égard du Zita Beach Resort et merci également pour votre temps et pour l’intérêt manifesté à notre égard.

Pour commencer, l’hôtel Zita date depuis 1966, les années fastes du tourisme tunisien. J’ai ici une photo qui montre comment était cette région à cette date. Vous avez l’image de l’hôtel et tout autour il n’y avait que l’oasis qui se trouvait à côté de la ville de Zarzis. Ce panorama offre un aperçu sur l’histoire de toute la région. En 2006, l’hôtel a été rénové avec ce style néo-oriental, avec une prouesse qui consiste à réussir un contraste entre la générosité des espaces et leur intimité.

Puis, ces grandes bais vitrés avec une transparence et un regard vers les extérieurs verdoyants.

 

 

Bien-sûr, lorsque l’on s’adresse à une clientèle européenne et lorsque l’on vient des villes du continent européen ou même des capitales, cet espace est un luxe. C’est ce luxe qui a été voulu pour nos convives en y ajoutant ce caractère de palace oriental avec les voûtes, les arcades qui reflètent le caractère architectural de la région de Djerba-Zarzis, jusqu’aux bungalows qui illustrent vraiment la maison traditionnelle avec ses voûtes et ses dômes.

Tout cela, quand on revient aux constructions anciennes, on retrouve toujours plusieurs ingéniosités.

L’ouverture vers la mer et vers la piscine offrent un sentiment d’apaisement. Cette première impression qui est très importante pour nos hôtes est complétée par la qualité de l’accueil. Pour revenir à la rénovation de l’hôtel, je voudrais insister sur un aspect important qui est celui du respect de l’écosystème offert par l’oasis dont le fonctionnement est si particulier, avec plus de 1500 palmiers tout autour.

Quant aux chambres, il y a une quinzaine d’entre elles où carrément les balcons ont été construits autour des palmiers qui transpercent pratiquement leurs structures, le but étant de ne pas toucher à ces palmiers justement pour garder intacte l’Oasis. Je trouve cela en même temps une preuve de respect pour la nature. Il y a également un certain nombre de chambres qui gardent leur aspect initial, depuis la première construction des lieux. 

Vous avez raison de préciser cette harmonie des lieux. On n’a pas le sentiment de se perdre dans cette étendue, au contraire. 

En effet, c’est un paradoxe très bien réussi entre la générosité et l’intimité des espaces que je viens d’évoquer. 

 

 

Quels sont vos liens personnels avec cet établissement ? Depuis quand avez-vous été amené à le diriger ? 

J’ai commencé cette année, au mois de juin, tout récemment donc. J’ai été très bien accueilli par le personnel surtout, par le patron, Monsieur Nourdine Bouaouja. Je me suis donc tout de suite senti à l’aise. Par le passé j’ai dirigé de grands resorts, de grands palaces. J’ai retrouvé ici rapidement mes repères grâce à l’appui et la confiance de l’équipe Dès que j’ai mis les pieds je me suis senti à l’aise et j’avais l’impression que j’allais pouvoir mener ce paquebot à bon port.

Les événements politiques, mais aussi la fermeture due au Covid, n’ont sans doute pas été bénéfiques au tourisme, même si à cette époque vous n’étiez pas en fonction dans cet établissement. Pourriez-vous quand même nous dire comment l’hôtel a vécu cette expérience ? Avez-vous eu des échos, au moins ?

Le période du Covid a été difficile pour le monde entier, particulièrement pour l’hôtellerie et le tourisme à une échelle internationale. Personnellement, je ne peux pas me plaindre : l’établissement que je dirigeais à cette époque s’est arrêté pour 3 mois seulement, en reprenant ses activités dès le mois de juillet. Nous avons eu à gérer d’autres difficultés, vu que cette période du Covid a duré deux années, si ce n’est pas plus.

Pour l’hôtellerie tunisienne, cette crise était une de trop, si je puis dire. Il ne faut pas oublier que ce secteur n’a pas connu depuis une douzaine d’années trois années de suite d’activité ininterrompue. Il y avait eu déjà la révolution en 2011, donc les années 2011-2012, 2013 ont été des années très difficiles, 2014 nous avons repris un peu, 2015-2016 il y a eu les attentats, avec des conséquences lourdes. Ensuite, en 2018, l’activité a commencé à reprendre doucement, avec 2019 comme une bonne année de reprise, pour arriver finalement à la crise du Covid dès le début des années 2020.

Subir en une décade 3 grandes crises, c’est quand même lourd, surtout lorsque l’on sait que nos moyens sont limités, en tant que secteur qui avait déjà quelques difficultés avant 2010. Nous sommes passés d’une capacité de 274 000 lits en en 2010, à moins de 170 000 lits aujourd’hui !

Mais il n’y a pas eu que la crise du Covid, il y a le Post COVID c’est-à-dire l’inflation que nous connaissons dans cette période, la sécheresse que la Tunisie subit depuis au moins 4 ans. Enfin, l’activité touristique a repris cette année et j’espère profondément que cela puisse se poursuivre pour nous permettre de réinvestir et de continuer notre activité. 

Justement, comment voyez-vous, disons au moins l’avenir récent ?

Vous savez, nous n’avons plus la chance de pouvoir nous projeter dans de longues périodes, mais il faut continuer à y croire, il faut se projeter dans des décennies. La plus grande difficulté du moment, c’est de trouver du personnel intéressé aux métiers du service. Il y a quand même un désaveu des métiers de l’hôtellerie d’une manière générale dans le monde entier qui s’est accentué dans notre pays, vu les crises consécutives que nous avons connues pendant la période que nous venons d’évoquer. Si l’on regarde les choses en face, on ne peut pas garder quelqu’un qui travaille dans un domaine, si ce travail s’avère être aléatoire, avec une précarité de l’emploi qui empêche de se projeter de s’engager dans la vie. L’employé va finir par chercher ailleurs, se reconvertir, sachant que dans les métiers que nous avons il y a une certaine pénibilité qui n’est pas reconnue.

 

 

Personnellement, j’ai pu voir depuis une quinzaine d’années l’impact de la télé dans les métiers de la restauration. Les stagiaires, les apprentis, tout ce monde, ils font des entretiens avec leurs chef, avec le chef du personnel, en ensuite avec moi. J’ai par exemple vu que ceux qui viennent pour la cuisine sont très motivés, contrairement à ceux qui viennent pour travailler dans le restaurant. Le mérite revient aux émissions de télévisions qui ont valorisé le métier de cuisinier, en donnant envie à de nombreux jeunes, en leur montrant en même temps une perspective d’évolution de carrière. Contrairement à ceux qui postulent pour le service du restaurant où on voit des jeunes qui viennent presque à défaut de ne pas avoir réussi ailleurs. C’est pour cette raison que j’insiste sur le besoin de reconnaître ces difficultés et ces pénibilités dans le cadre de ce domaine. Cela concerne surtout les serveurs du restaurant. Avec cette précision que les serveurs ont des programmes entrecoupés dans la journée, ce qui est une difficulté les concernant.

À cela se rajoutent d’autres difficultés comme, par exemple, l’inflation, les taux bancaires énormes, ce qui freine les investissements dans une période où les exigences des clients changent. Nous sommes donc appelés à réinvestir. Un autre aspect lié à cette inflation concerne l’achat des produits importés, qui reviennent très chers avec les taux de change. Nous sommes obligés de trouver des solutions, de produits de substitution, etc.

De point de vue personnel, on comprend bien que diriger un tel établissement n’est pas une chose facile. J’aimerais vous demander quelles ont été les difficultés les plus grandes dans votre carrière. Et même depuis vitre récente prise de fonction à Zita Resort de Zarzis ? 

Les plus grandes difficultés sont celles que je viens de citer, trouver du personnel, le fidéliser par rapport à la saisonnalité de notre activité, qui fait que 45% de ce personnel constitue on va dire le noyau dur et qui travaille et sont payés en continu toute l’année, même lorsque l’hôtel est fermé où ils peuvent prendre leurs congés. Ils sont capables de se convertir et effectuer des travaux d’entretien. Ils forment, je dirais, une famille. 

Après, il faut recruter des gens performants qui, au moment de la reprise d’activité, soient préparés et formés. 

Une autre difficulté est proprement financière, car notre but est de pouvoir rester ouverts toute l’année, comme c’était les cas jusqu’en 2010. Notre but est d’ouvrir pendant les mois de novembre et jusqu’en février pour permettre à l’établissement si ce n’est pas pour gagner de l’argent au moins pour en perdre le moins possible. 

Et les satisfactions les plus grandes dans votre activité ?

D’abord, l’hôtellerie est ma passion, pour le dire de manière plus directe. Notre plus grande satisfaction c’est lorsque le client va partir après avoir passé un bon séjour et avec l’envie de revenir. On peut comparer notre métier à celle d’une équipe chirurgicale qui a réussi une opération. Voilà. 

Il faut dire également qu’à travers mon métier j’ai pu connaître des gens de tout horizon, une ouverture vers toutes ces cultures. Il faut considérer l’être Humain, avec un grand H. Notre métier vous donne la possibilité de toujours apprendre de nouvelles choses. Aujourd’hui vous avez parlé avec un client qui est chef d’entreprise par exemple, et vous apprenez des choses, d’autres vous suggèrent des titres de livres à lire, des films à visionner. Tout cela est une richesse partagée. 

Je considère aussi que lorsqu’on vient en séjour comme client, on y retourne chez soi avec des idées. En un mot, il s’agit d’un enrichissement réciproque, bien entendu. 

Si je retiens bien l’image que vous avez utilisée tout à l’heure en parlant d’une équipe médicale, votre satisfaction est aussi celle de votre équipe.

Exactement, et souvent à la question que les clients me posent pour savoir si je vais bien, je réponds toujours : « Tant que mes clients et mon équipe ont le sourire, je vais très bien ». Mais, vous savez, toute réussite est collective, il n’y a que l’échec qui est individuel. Notre métier nous permet de voir plein de gens, d’être face à des défis tous les jours, de les gagner ou de les perdre parfois, mais surtout d’apprendre de ces expériences. 

Arrêtons-nous quelques instants sur les activités que propose votre complexe hôtelier. Quels sont les services que vous offrez aux vacanciers que vous accueillez ? 

En dehors de l’hébergement, de la restauration, nous avons plusieurs restaurants, celui qui assure le service habituel, un autre restaurant à la carte sous forme de barbecue, puis nous avons deux bars dans la formule tout compris, mais aussi pour offrir des boissons en extra, nous avons le café maure. Pour les activités diurnes, nous avons surtout le centre de spa qui à l’origine était un centre thermal, qui offre maintenant des massages, d’hydrothérapie, hammam et une grande piscine avec des jets d’eau. Nous avons des boutiques, et il y a d’autres activités qui on va dire ne sont pas offertes par l’hôtel mais sont à la disposition de nos clients, les sorties en Quad, une base nautique.

Pour revenir à l’animation, il y a 4 terrains de tennis, un terrain de pétanque, du tir à l’arc, du beach volley, de l’aérobique, du step, des animations sportives dans la piscine, sur la plage, et bien entendu l’animation le soir avec des spectacles.

J’ai remarqué une chose qui se fait bien souvent dans d’autres endroits et qui est importante de mon point de vue, un coin où on peut trouver et échanger des livres.

Oui, vous avez raison. Nous avons aussi une bibliothèque que je souhaite enrichir. Généralement ce sont les clients qui ramènent des livres, qui les échangent entre eux. Moi-même je m’en sers, par exemple le livre que je suis en train de lire provient de cette bibliothèque. Pour moi, vous savez, c’est toujours une joie de partager un savoir.

S’il fallait donner un seul argument – vous en avez sans doute plusieurs -, pour faire venir ou revenir les gens dans votre établissement, ce serait lequel ?

Il y a plusieurs, forcément.

Et là, je ne parle pas seulement de Zita Beach, mais de toute la Tunisie qui est très riche de par les endroits que l’on peut visiter. Dans la seule Île de Djerba, il y a 9 monuments dans le Patrimoine de l’UNESCO, et d’autres endroits qui sont sélectionnés pour participer à ce concours et qui ne demandent qu’à être reconnus grâce à leurs qualités du patrimoine.

La Tunisie a plusieurs visages, c’est un pays qui possède trois climats différents, entre le Nord, le centre et le Sud. À lui seul, le Sud est très différent d’une région à une autre, il y a trois déserts différents, entre des endroits où l’on peut se croire aux Grands Canions, d’autres où il y a les dunes à perte de vue, ou un désert plat qui touche le bord de mer,  

Venez à Djerba-Zarzis parce que le climat est doux tout au long de l’année. Nous sommes au mois d’octobre, une température ambiante de 28°C, l’eau de mer fait 27°C, et le soir on est à 21-22°C. C’est vraiment la meilleure période pour venir à environs 2 heures de vol de chez-vous.

Vous envisagez d’ouvrir toute l’année. Que proposez-vous pendant les mois de décembre-janvier-février ?

Tout d’abord, les journées sont plus courtes pendant cette période. Les activités d’animation en journée vont continuer, mais on peut aussi profiter du spa, de la thérapie. On peut aussi faire des petites randonnées pour découvrir la ville de Zarzis qui est plus calme dans cette période à cause du départ de la diaspora qui revient en été. Il y a quelques jours, on découvrait par exemple, la cueillette des palmiers où on a fait participer les clients. Dans quelques jours, nous allons entamer la saison de la cueillette des olives. Ce sont des activités à découvrir. Et puis, je vous invite à découvrir la pêche aux crustacés, aux poulpes. Et surtout découvrir comment vivent les gens, ce qui est, à mon sens, le plus enrichissant. 

 

 

Enfin, une dernière question plutôt culturelle. Le monde change sans doute à la vitesse grand V, nous avons déjà évoqué cet aspect. Le devoir qui se présente devant vous c’est de vous adapter tout aussi rapidement. Quel est votre sentiment devant cette évolution ? Avez-vous une recette pour y arriver ?

Prétendre avoir une recette ce serait présomptueux de ma part (sourire). Le monde se remet en cause sur l’impact de toute l’industrie sur l’environnement. Il s’agit selon moi du plus grand défi de l’époque que nous vivons. J’avoue qu’avec les hôtels all inclusive, nous nous trouvons dans une dimension, on va dire en vrac. Nous ne contribuons pas à conserver notre écologie, plutôt la consommation, nous sommes obligés de prévoir à l’avance des quantités énormes. Cette aisance d’aujourd’hui est remise en cause.

Si je parle de Zita Beach Resort, nous avons conscience de tous ces défis, de sortir de tout ce qui est plastique, d’être plus regardants dans cette dimension écologique. Nous faisons nos premiers pas, ces défis se rajoutent aux difficultés que nous avons connues depuis quelques années, mais personne ne va y échapper.

Personnellement, c’est par conviction que je pars de ce principe qui oblige toute entreprise de mesurer son impact sur son environnement. Jusqu’à présent Zita Beach a veillé à garder intact l’espace naturel dans sa construction, sans toucher à ce qui existait dans les années ’60 et veille aussi à la consommation de l’eau et de l’énergie, rattraper le retard très important dans le domaine de l’énergie solaire, un sujet qui me passionne depuis plus d’une dizaine d’années. 

Il y a ensuite l’impact de l’hôtel par rapport à la ville, qui a plutôt un caractère social, pour veiller que nous fassions travailler en priorité les locaux. C’est une répercussion très importante à laquelle la famille propriétaire des lieux a accordé une importance capitale depuis 50 ans. C’est ainsi que vous gagnez l’adhésion, on va dire, de toute une population qui va sentir que l’hôtel appartient à tous ceux qui vivent autour. On appelle cela aujourd’hui la responsabilité sociétale et économique. 

Ce que nous avons essayé de faire petit à petit, c’est de faire le tri sélectif, même si pour le moment c’est un peu arbitraire. Il faut vraiment inciter les clients à participer à cet effort. Un travail d’information est souvent nécessaire. Nous expliquons aux clients, par exemple, concernant la présence des algues qui constituent un élément essentiel de l’équilibre de la plage, en permettant aux couches de sable de s’entasser et d’empêcher l’érosion. Il faut reconnaitre que les clients deviennent de plus en plus sensibles et informés, même pour le tri sélectif dont ils ont l’habitude chez eux. Il faut appliquer les mêmes principes sur place. 

À mon avis, il faut commencer très tôt ce type d’éducation, dès l’école. Ensuite, l’ingéniosité de l’homme est cette adaptation, cette capacité à relever des défis et des challenges. À pouvoir transformer une difficulté en une opportunité. Il faut garder en mémoire cet état d’esprit. 

Propos recueillis par Dan Burcea

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