Que feriez-vous si vous aviez le don incroyable de Fleur, l’héroïne du roman de Séverine Baaziz La petite fille aux yeux d’or ? Bien entendu, l’allusion au métal précieux n’est qu’une tournure métaphorique pour nommer la part de mystère qui se cache au plus profond des pupilles de cette jeune fille.
Bonjour Séverine, c’est justement sur ce côté fictionnel, que je souhaiterais vous interroger en premier lieu pour essayer de nommer de manière plus précise le genre littéraire que vous avez choisi. Peut-on parler d’un récit fantastique, d’un conte ?
Bonjour Dan. Je vous avoue qu’en écrivant ce roman, je n’ai pas essayé de respecter les codes d’un genre en particulier. Une fois de plus, me semble-t-il, j’ai écrit une histoire à la lisière des genres, pas tout à fait un conte, ni tout à fait du fantastique, mais on s’en approche. Le monde réel servant de trame de fond peut suggérer, aussi, que nous sommes dans du réalisme magique.
Si l’environnement où vit votre héroïne est des plus communs – un village où tout le monde se connait et s’entraide –, Fleur, votre personnage principal, semble bénéficier d’un intérêt particulier de la part de tout le monde. Je pense qu’on peut le dire ici : il s’agit de sa capacité de voir en profondeur et à distance des objets cachés que personne d’autre ne peut apercevoir. Est-ce que cette particularité fonctionne pour vous comme une intrigue d’où découle le reste de l’action, pour utiliser ici un critère dramaturgique ?
Eh bien, oui et non. Quand j’étais moi-même enfant, comme beaucoup d’enfants j’imagine, je me rêvais détentrice d’un fabuleux pouvoir qui ne demandait qu’à être révélé. Je me suis essayée aux battements de bras pour m’envoler. En vain. A la télépathie et aux incantations en tout genre. Nouvel échec. Alors, ce don, c’est un peu une façon de renouer avec l’enfant que je n’ai jamais cessé d’être et d’inviter le lecteur à en faire autant. Quant à l’enjeu narratif, il est indéniable. La particularité de Fleur – son évolution, ses limites, son exploitation – va alimenter la progression de l’histoire.
Se conjuguant à cette qualité ophtalmologique – si on peut l’appeler ainsi – la fragilité et la sensibilité de Fleur offrent une lumière solaire à son histoire. Dans quelle mesure avez-vous souhaité faire de votre récit un hymne à la fragilité et à l’innocence qu’incarne votre personnage ?
Merci Dan, votre retour me touche beaucoup. Je n’ai effectivement pas voulu d’un personnage solide comme un roc, d’abord parce que je n’aurais pas su m’identifier, et puis, parce que je crois profondément que la fragilité n’est pas un défaut, qu’elle est peut-être même notre plus belle part d’humanité, et qu’à tout âge, il est possible de l’apprivoiser.
Un autre aspect qui conforte le besoin de rêve dont est imprégné votre histoire, c’est le désir devenu rapidement un besoin vital d’évasion que vit Fleur. Quelle place occupe pour vous ce côté nourri par l’imagination, elle-même nourrie par le besoin incessant de traverser le monde à la recherche du rêve et des souvenirs ?
Dès les premières pages, on apprend que Fleur est élevée par son père et que la mère est absente. On en découvre un peu plus par la suite, et ce que je peux dire c’est que l’évasion par l’imaginaire va servir à combler l’absence. Que la magie du monde qui l’entoure – le ciel, les étoiles, la métamorphose des saisons – va être la présence qui se substituera à l’absence. Un imaginaire nourri par l’envie de croire en l’impossible.
Finalement, on se rend compte que le vrai enjeu de votre récit est la mémoire. C’est elle qui nourrit les rêves, et vivifie la réalité. Vue du point de vue de l’enfant, cette mémoire prend des proportions encore plus grandes car les histoires, l’imaginaire sont des éléments fondateurs de l’enfance. Que pourriez-vous nous dire concernant ces aspects ?
L’histoire de toute famille tient à la mémoire et aux souvenirs, nourris par les anecdotes ou les albums de famille. Un port d’attache dont la construction de notre identité a besoin. Et puis, le temps passe, on traverse orages et embellies, et la somme de tout ce que nous vivons devient notre mémoire vive, celle qui se construit tout au long d’une existence. Dans ce roman, ce qui m’a particulièrement intéressée, c’est la charge émotionnelle du souvenir, son pouvoir vitalisant capable de faire renaître, presque par enchantement, larmes et fous rires.
J’ai été conquis par la manière dont Fleur mène le cours du récit : avec autorité et intrépidité, avec un extraordinaire sens du détail pour les autres personnages. Votre narratrice est captivante. Par quel cheminement avez-vous décidé de lui donner la parole et de faire d’elle votre porte-parole, la Narratrice ?
Ah, jolie question ! Mes lectures m’ont en partie soufflé l’idée. J’adore les romans qui donnent le premier rôle aux enfants. Ça va de “La vie devant soi” à “La guerre des boutons” en passant par “Alice aux pays des merveilles”, “Oliver Twist”, ou plus récemment “Un funambule sur le sable” de Gilles Marchand et “Ma reine” de Jean-Baptiste Andrea. Mais jusqu’à présent, je n’osais pas m’essayer à l’exercice, craignant de ne pas trouver le bon ton. Et puis, c’est en réfléchissant sur la langue, que j’ai fini par craquer. Fleur s’est mise à exister par ses tics de langage, sa façon d’érafler les mots et leur sens, et l’ensemble, ma foi, m’a séduit. C’est comme ça que, d’une certaine façon, elle m’a convaincue et que je lui ai laissé les reines.
Je ne peux pas éviter de vous poser la question sur la relation de Fleur à ses parents, surtout à son père. Sans trahir le suspense de votre livre, que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Comme je l’évoquais plus haut, Fleur est élevée par son père, dans l’absence de la mère. C’est une relation d’amour infini. Chacun est tout pour l’autre et ne s’en cache pas. Une complicité célébrée chaque jour. Ils rient, ils se réconfortent et s’entraident. Et veillent l’un sur l’autre. Mais pour Fleur, qui n’a au début de l’histoire que huit ans, cette mission de bienveillance est parfois bien lourde à endosser.
Impossible de m’arrêter sur les autres personnages. Tous bénéficient déjà d’un surnom donné par Fleur, ce qui en dit presque tout sur eux. S’il fallait en choisir un, lequel serait votre préféré, et comment pourriez-vous le décrire ?
Je les aime tous, évidemment, mais puisqu’il est question de revenir sur l’un d’entre eux, j’ai bien envie de vous parler de l’oncle Hagrid. Il apparaît dans la vie de Fleur le jour de ses dix ans, un casque à la main, pour lui offrir son premier vol dans les airs. Il est pilote d’un petit avion, un APM Lion, et même mieux que cela, il est Passeur d’Ailleurs. Il emmène des groupes de jeunes et de moins jeunes à l’autre bout du monde et se fait le guide de moments inoubliables. Pour la petite confidence, cette idée m’est venue en écoutant l’émission “Le temps d’un bivouac” sur France Inter. J’ai trouvé l’appellation de “Passeur d’Ailleurs” fabuleuse et j’en ai fait un personnage.
Disons-le en guise de conclusion : derrière l’histoire de Fleur, derrière sa fraîcheur enfantine et sa fragile innocence, derrière ses espiègleries qui réussissent à détourner les histoires des grands se cache un message plus profond qui met en avant la force de l’amour et sa lumineuse victoire contre les doutes et les désespoirs. Lire votre livre aujourd’hui cela fait du bien par les temps qui courent. Croyez-vous à cette force de l’amour ? Que représente-t-elle pour vous ?
Oh, merci ! Impossible de nier que l’intention de ce roman est de faire du bien au lecteur, et d’apporter un souffle d’espérance et de combativité. Dans le même temps, c’est un roman qui espère rendre hommage aux enfants admirables et aux familles aimantes qui parviennent à le rester même en de terribles circonstances. Pour une réponse plus personnelle, je vous dirais simplement que j’ai la chance d’avoir eu une enfance douce, que j’aime mon fils plus que tout, et qu’il n’y a pas un jour où je n’ai conscience que cela vaut tout l’or du monde.
Propos recueillis par Dan Burcea
Séverine Baaziz, La petite fille aux yeux d’or, Éditions Chloé des Lys, 2021, 173 pages.