Portrait en Lettres Capitales : Julie Moulin

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

Bonjour, je m’appelle Julie Moulin. Je suis née à Paris et je vis depuis un an à Singapour.

Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Un mécène subvient à mes besoins. En gagnant à peine 1,50 euros sur chaque exemplaire vendu, il faudrait, pour que l’écriture me nourrisse, qu’on me lise bien plus (et que j’écrive plus vite). J’exerce aussi le métier d’animatrice d’ateliers d’écriture.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

Je lisais beaucoup enfant. Je lisais absolument tout ce qui me tombait sous la main, du classique aux télé 7 jours dans la cave de mes grands-parents. J’ai écrit des poèmes, un début de roman policier, j’ai participé à un concours littéraire organisé par le journal Le Monde, j’ai cessé d’écrire après avoir intégré Sciences-Po, trop intimidée par mes camarades de promo et les auteurs dont je mesurais enfin le génie, trop occupée aussi à écrire des dissertations diverses, d’ailleurs j’ai écrit plein de rapports en tout genre ensuite quand je travaillais dans la finance puis la microfinance (où je gagnais très bien ma vie), dans des domaines où il n’y avait aucune place pour la fiction. Le déclencheur pour Jupe et pantalon, mon premier roman, a été une idée aussi sotte que grenue qui m’est venue une nuit d’insomnie. J’avais plus de 30 ans. J’ai commencé à écrire sans penser à une éventuelle publication. Finalement, j’ai démissionné de mon ancien travail et toute ma vie s’est réorganisée autour du projet d’écrire. Je pense que ma passion pour la littérature et l’écriture est née des livres qui se trouvaient dans les bibliothèques de mes parents, de Vian à Tolkien en passant par Apollinaire, Sartre ou Zola, et de l’amour des jeux de mots chez mon père.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

Ils ont été nombreux. Le Maître et Marguerite de Boulgakov reste néanmoins ma Bible pour sa théâtralité, son grotesque, son genre à la fois satirique et fantastique et son histoire d’écrivain persécuté par le régime stalinien.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

Je suis plutôt une autrice de fiction bien que j’aie achevé il y quelques mois un récit de voyage. J’aurais aussi aimé être poétesse, essayiste et traductrice. Je m’y essaie parfois dans mes romans. J’écris également des textes courts qui parfois sont publiés dans des revues, mais c’est rare (que j’écrive des nouvelles et qu’elles soient publiées). J’aime déceler ce qui, dans le réel, est absurde, décalé ou fondamental et qui passe trop souvent inaperçu.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

J’ai écrit mes deux romans sans plan préalable. L’intrigue me vient en cours d’écriture, ce qui me vaut de revenir en arrière, d’effacer et de reprendre plusieurs fois mon travail. On comprendra que j’ai du mal à m’atteler à mon troisième ouvrage de fiction. Ce processus me fatigue d’avance.

J’apprécie d’écrire autant à la troisième qu’à la première personne. Cela dépend du personnage et de ce que je veux donner à voir. J’aimerais un jour écrire à la deuxième personne, façon Charles Juliet.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

J’écris horriblement lentement pour les raisons évoquées plus haut. Aussi, en plus de procrastiner ou d’avoir repris des études de russe à 40 ans avec des velléités de traduction, j’ai l’esprit très occupé par la vie de famille. S’y ajoutent quelques ennuis de santé. Il me faut environ trois ans pour écrire un roman. Évidemment, l’écart entre deux parutions peut être plus important si un projet ne retient pas l’attention d’un éditeur.

Les sujets de mes romans naissent d’observations que je consigne dans de nombreux carnets. Jupe et pantalon (Alma, 2016) est le constat des vies multiples que mènent les femmes. Il reflète, entre autres, des questions que je me posais à cette époque. Domovoï (Alma, 2019) a demandé des recherches plus importantes puisque le roman se situait à deux époques différentes dans des réalités sociales précises, me contraignant davantage que de faire dialoguer les membres du corps d’une femme. S’il traduit mon amour pour la Russie, la question de départ était, cette fois, celle de la frontière et du repli nationaliste.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Le titre me vient souvent en premier mais ce n’est pas nécessairement celui que l’éditeur retiendra. Ainsi Jupe et pantalon devait s’intituler Au pas cadencé (Au pas qu’A. dansait, ah, ah). Mon titre a inspiré mon roman puis le roman a inspiré un titre à mon éditeur. C’est très perturbant, je vous l’accorde.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

Mes personnages existent. C’est toute la folie d’écrire. Plus je les invente, plus ils prennent forme et plus ils m’habitent, même longtemps après la publication des romans. Les jambes Marguerite et Mirabelle me semblent ainsi vraiment avoir une existence propre. Parfois mes personnages naissent de rien, parfois ils mélangent des caractéristiques de personnes que j’ai connues, des attributs que je déforme au point de les attribuer à mes seuls personnages.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Mon dernier roman publié, Domovoï, continue de faire un tout petit peu parler de lui. J’espère toujours le voir traduit en russe. J’avais le projet de traduire dans l’autre sens, du russe au français, le roman d’une jeune femme russe vivant à Genève. Hélas, je crains que ce projet échoue faute d’éditeur intéressé. J’ai par ailleurs écrit un récit de voyage en Russie que j’ai soumis à un éditeur et dont j’attends une réponse. Est, par contre, sorti un ouvrage collectif aux éditions CousuMouche, avec lesquelles j’ai souvent eu l’occasion de collaborer ces dernières années, intitulé « Je n’ai jamais rien vu de plus fort ». 26 auteurs et autrices y relatent un de leur grand moment d’émotion sportive.

Enfin, j’ai un projet de roman dont je ne cesse de repousser l’écriture faute de courage, de disponibilité d’esprit et de capacité physique à m’asseoir (je vous réponds couchée sur le dos et mes avant-bras fatiguent déjà). Les personnages existent, j’ai un carnet entier de notes et les 20 premières pages de rédigées depuis deux ans, mais il me manque un truc. Je suis à la recherche du truc. Une fois trouvé, je suis certaine, que même couchée, je saurai me lancer. En attendant, j’écris, couchée donc, de courts textes fantastiques inspirés de mon déménagement à Singapour en temps de pandémie.

Crédits photo de Julie Moulin : ©Coline Sentenac

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