NAISSANCE
Ça castagne ça cagnasse,
Ça cogne et ça tracte,
Ça ravage ça ravine
C’est un cratère- un nombril
Une tempête,
Au centre de toi.
Ebahie, tu observes
La spirale qui t’emporte-
Déchaînée, déferlante,
Une vague.
L’heure n’est plus au doute-
Mais à l’évidence,
Impérieuse, obstinée, monstrueuse
Et comme ça fait du bien,
De ne plus pouvoir reculer,
Pour une fois.
Ca s’impose à toi,
possédée comme jamais,
Tu ne l’as été,
Comme jamais tu ne le seras,
Sauf à l’heure de notre mort (Amen),
Et tu comprends
Ce que signifie : exister vraiment.
Le ruisseau glacé,
S’écoule dans la rivière,
Qui enfle et gronde.
C’est une montagne,
Un cratère bouillonnant,
Un typhon.
Regarde :
Ca laboure, ça castagne,
Ca ravage et ça ravine.
Tu es possédée, sorcière,
Tu secoues tes serpents,
Méduse aux dents noires,
Troll des forêts,
Diane chasseresse,
Divinité foldingue
Des bourrasques,
Déesse de la guerre
Et du grand vent,
Déchaînée, ébouriffée, hurlante,
Tu te dégondes et te déhanches,
Tournoyant avec les sapins
Perdue dans la forêt,
Dans le noir des arbres touffus.
La terre se soulève un peu plus
Dans cette guerre sans fin,
Les hommes sont à l’abri,
Dans les tranchées,
Et toi, en première ligne,
sur le front,
Chair à canon,
Sur ton champ de bataille,
Dans le sang, les viscères,
Les entrailles-
Sainte Marie de toutes les mères,
Tu pries car en poussant,
C’est tout toi qui vas sortir.
Tu le sens, tu t’expulses
Toi-même par le bas,
Tête la première.
Alors tu cries
Écrasée par la pesanteur,
Dans ce vaisseau vers l’autre galaxie.
Les vagues de cinq mètres
Se fracassent, montent Et redescendent.
Quinze mètres, puis trente,
Tu crains de partir
avec le courant.
Mais tu t’accroches,
Et tu comprends.
Oui, tu comprends pourquoi
Tes grands-mères et arrière-grands-mères
Y laissaient la vie.
Et tu comprends pourquoi
On y laisse sa peau,
Parce que c’est précisément
Ce que tu es en train de faire,
Mourir, muer, muter,
Hurlante et mutique
Car tu as cessé de crier
Quand lui, s’est mis à le faire.
Bonjour.
LE PLAFOND D’ALICE
« Sky is the limit »
Tu grandis, telle Alice,
Dans son terrier.
Tu regardes tes bras pousser
Comme des tiges,
Tes jambes s’élancer
depuis la Terre
Jusqu’au ciel.
Un, deux, trois, Soleil,
Bouge, bouge, bouge,
Halte, et puis touche !
Potion Fortifiante,
Nectar, philtre, elixir,
Tout est en train de grandir,
En toi.
Tes idées ont la force d’un immeuble
De 35 étages
Tes pensées, tes projets ont poussé
Comme de la mauvaise herbe
Qu’ils disent, eux, là-bas,
Tout en bas.
Mais c’est de la mauvaise herbe
De la meilleure espèce,
Crois-moi.
Il n’y a que du bon,
Dans ce qui pousse aussi beau, aussi haut
Aussi vite.
Ca n’en finit plus,
Quelle puissance.
Et puis, tac.
Oui, TAC,
Dans ton terrier.
Un tout petit bruit,
Comme un déclic- un signal
Impossible de franchir le gué.
Derrière, rien que des barbelés.
Des barbelés qui s’enroulent, et se doublent
Et se triplent, comme une forêt de ronces…
Électriques
De nos contes d’enfants
Pour t’interdire d’avancer, ne jamais, jamais
Te laisser passer.
Te ralentir.
Tic, Tac, Tic tac
Tactique.
Là-haut-, tu vois le ciel,
Mais lui ne te voit pas.
C’est ce qu’on te dit, là, en bas
Tout en bas.
On ricane,
On t’observe, comme une pieuvre
Se déhancher dans un bocal.
Tu agites tes tentacules,
Si longues, puissantes…
Elle est où l’ouverture,
Personne pour t’aider
Dans cette transparence
Ce que l’on dit de toi ?
Jamais elle ne pourra.
Mais toi,
Tu cognes et frappes,
Et tac, tic tac,
Tu te dis que c’est une question de temps, tout ça
Et de ventre, oui, de ventre,
De force logée dans ton estomac ;
Tu te dis que ça ira,
tu le transperceras,
Tu l’ouvriras, cette trappe,
Qui mène encore plus haut,
1, 2, 3 soleil.
Tu t’y mets la nuit, maintenant.
Tu cognes, et tu frappes,
Tac, tac, tactique,
De jour, de nuit, de sieste.
Tu ne prends aucun repos.
Car tu t’aperçois bientôt
Que c’est une cage,
Un cagibi
En verre trempé,
Comme du béton armé,
Un placard où on t’a enfermée,
Une boule à neige,
Que tu dois secouer,
Encore, et encore,
Avant d’être ensevelie.
Tu as raison, tu sais, de te dire
Que c’est une question de temps.
Tic tac, tactique.
Regarde où tu en es, aujourd’hui.
Si loin, alors que ton arrière-grand-mère
S’est arrêtée au premier étage,
Que ta grand-mère a grimpé
Un peu plus haut- et toi,
Oui, toi,
Tu es déjà au trente cinquième,
Alors, un peu de courage,
De tact, et de tic,
Ce plafond de verre,
Crois-moi,
Tu vas l’exploser
Attention à gauche, En bas,
Et surtout, vers le haut !
Concentre-toi,
Ce philtre, Alice,
cet élixir, ce nectar,
Il est en toi.
Un jour, tu le briseras,
Le transperceras,
Sans te blesser.
Sans aucun bris de verre
Que ta propre colère.
Et crois-moi, ce jour-là,
Nous serons toutes là,
A droite, à gauche, en bas en haut,
Tu nous entendras
Rire, crier, applaudir,
Nous époumoner,
Pleurer de joie,
Et enfin,
Grandir avec toi.
Sophie Carquain©
Sophie Carquain est romancière, scénariste, journaliste. Elle vient de publier le roman Juste à côté de moi (Charleston).
Elle a toujours écrit de la poésie, et pour la première fois décide de la publier dans Lettres Capitales.