Pour parler du roman Un coup au cœur qu’Emmanuelle de Boysson vient de publier aux Éditions Calmann Lévy, il faudrait plonger sa plume dans l’encre des nuages enchanteresses, là où le ciel et la terre célèbrent leurs noces dans une promesse d’éternité. Dans ces territoires évanescents, une sérénité profonde abolit toute frontière entre le réel et le féerique, entre le tracas du monde et la paix infinie, entre le poids de la matière et l’évanescence céleste, entre la vie et la mort. C’est un livre qui fait du bien et qui fait oublier la litanie incessante assénée quotidiennement il y a quelques années par une administration devenue fourbe.
« Je suis morte le 7 février 2022. Il était 17 h 20 lorsque mon cœur s’est arrêté. »
Que s’est-il passé au juste pour que l’autrice note avec autant de précision le jour et l’heure de cet événement ? En quoi consiste son caractère accidentel, inattendu, singulier ? Impossible pour elle de répondre avec précision à ces questions, car à la place de ces souvenirs dramatiques sa mémoire ne retient que des mots comme ceux de « doux soulagement », la transportant dans un lieu où, nous dit-elle «je me sentais bien». La présence d’Anton, son compagnon, va vite s’avérer capitale pour sa survie. Comprenant très vite la gravité de la situation, il va prévenir les secours et pratiquer, en attendant leur arrivée, un massage cardiaque salvateur. Ce qui va suivre est digne d’un scénario sur les gestes qui sauvent, sauf que cette fois-ci on n’est pas dans un film ni dans une formation de sauvetage, on est dans la vraie vie et il faut faire vite, ignorant l’état gravissime de la victime qui « suffoque, bave, pousse des râles, perd(s) connaissance ».
Le discours narratif étonne, étant construit sur deux dimensions qui se font face soulignant d’un côté l’état léthargique de la femme mourante et de l’autre l’empressement contrôlé et lucide de l’homme décidé à suivre une attitude qu’une mémoire met en alerte à l’aide des souvenirs qui ressurgissent dans l’urgence de la situation. Alors qu’elle prononce cette phrase sans recours, d’une froide brièveté – « Je vais mourir » – les secours arrivés s’empressent à la ressusciter. Il leur faudra huit tentatives pour faire repartir son cœur sous les impulsions du défibrillateur. Et c’est cette dernière qui fera la différence et la sortira de la liste usuelle des morts accidentelles.
S’en suivra un long chemin en passant par la réanimation et la rééducation, des étapes dans le combat pour la vie sur lesquelles le lecteur aura l’occasion de l’accompagner. N’oublions pas de mentionner qu’à la fin de son livre, Emmanuelle de Boysson rendra hommage au dévouement et au professionnalisme du personnel soignant.
Quant à nous, restons un moment avec Emmanuelle la narratrice, partie ailleurs, dans ce qu’elle va appeler plus tard son voyage secret, « sa vallée éternelle », « une de ces expéditions qui vous transforment à jamais » et qui fera d’une absence une présence lumineuse dont elle prendra le temps au moment venu de définir les contours et de témoigner de son attachement. Elle prendra même le soin de nous prévenir de l’exactitude de son histoire censée vaincre nos idées reçues sur l’expérience la plus fondamentale que nous sommes tous appelés à vivre, celle de la mort : « Puisque je m’interdis d’inventer ou de tricher dans ce récit, je ne peux qu’extrapoler, me fier à mon instinct ».
Or, se fier à son instinct implique justement pour elle de se contenter de noter sans détours et artifices, sans idées reçues et volonté incertaine, une réalité qui, nous le verrons, touchera à la transcendance et risquera de ce fait de se heurter à l’inaudible de la part de ses auditeurs. Comment raconter l’au-delà sans passer pour une parano?, se demande-t-elle. Le livres sur les expériences de la mort imminente qui, en plus, sont vécues par de millions de personnes la rassurent dans ses doutes : «Moi qui doutais de ceux qui évoquent cette fameuse lumière blanche au bout d’un tunnel, y voyant plutôt une réaction chimique du cerveau, un dernier arc-en-ciel, moi qui pensais qu’il était impossible de survivre sans corps, j’en ai des frissons, les larmes me montent aux yeux. Une révélation, un incroyable soulagement. Je ne me sens plus seule, enfin comprise, solidaire de ces revenants avec qui je partage ce qui fait de nous un groupe à part, des frères et sœurs unis par une expérience si forte, si intime, qu’elle est difficile à transmettre».
Consciente que son expérience de la mort imminente « n’a rien d’une lubie », Emmanuelle de Boysson veut, selon ses mots « surtout protéger ce miracle qui m’a redonné la foi en l’immortalité de l’âme ».
Là aussi, le lecteur sera surpris du long cheminement intime qui va s’opérer dans sa conscience et dans la construction de son image de soi.
Non pas dans le sens que l’on attend ou que l’on imagine. Elle ne vit pas l’idée d’être rescapée ou revenue des limbes de la mort comme une aventure étrangère à sa condition humaine, occupant une place à part parmi les humains, sa famille, les êtres chers. Au contraire, c’est l’occasion de repenser autrement ses liens familiaux, son passé et toute son histoire personnelle. Vaincre sa peur exige de sa part de se tenir loin de toute tentative de banalisation d’une expérience qui s’inscrit tout naturellement dans le destin de chacun, croyant ou pas, à chacun ses repères.
« Personne ne sait que je suis tout illuminée par mon séjour dans ma deuxième maison, un territoire si vierge que je crains de le salir en levant le voile, que cela me porte malheur. »
Raconter cette aventure, c’est le cadeau qu’elle nous fait en écrivant ce livre sur la vie qui se lit avec la délicate attention de ne pas bousculer son histoire et surtout de ne pas troubler son harmonie.
Un livre comme un remède contre notre finitude, un livre qui rassure malgré et contre tout et nous incite au bonheur et à la célébration de la vie.
Dan Burcea
Photo @Astrid Di Crollalanza
Emmanuelle de Boysson, Un coup au cœur, Éditions Calmann Lévy, 2024, 144 pages.