
Les Roumains commémorent aujourd’hui, 15 janvier 2025, les 175 ans de la naissance de leur poète national, Mihai Eminescu (1850-1889). Cette date a gagné depuis 2011 ses lettres de noblesse, le Ministère roumain de la culture ayant décrété qu’elle deviendrait dorénavant La Journée de la culture nationale.
Partout, en Roumanie comme à l’étranger, sont organisés des événements qui rappellent le rôle majeur de la poésie éminescienne dans la modernisation de la langue roumaine et la réalisation, selon la critique littéraire, « de la plus sérieuse fusion entre l’esprit daco-romain et la culture occidentale » (Garabet Ibrăileanu).
Consacré comme une voix poétique inégalable, comme « un poète sans paire », comme un astre de la poésie roumaine, le nom de Mihai Eminescu est lié depuis l’an 2000, à l’astéroïde 9495 qui porte désormais son nom, en hommage à son célèbre poème Luceafărul, dédié à l’astre qui brille la nuit et à l’amour qui se lie entre celui-ci et une très belle princesse. Un amour impossible entre l’impassible Hyperion, symbole du génie créateur, et la jeune terrienne, obéissant à sa fragile condition humaine.
Lettres Capitales vous propose aujourd’hui un petit retour en arrière, grâce à la gentillesse de Mme Marilena Rotaru, écrivaine, réalisatrice de films documentaires, de programmes télévisés et de spectacles.
Avec son aimable autorisation, retournons en 1989, lors de la commémoration du centenaire de la mort de Mihai Eminescu et aux événements qui lui ont été consacrés en France. Il s’agit, selon madame Marilena Rotaru des événements « qui n’ont pas encore été égalés ».
L’événement qui s’est déroulé entre 16 et 18 juin 1989 à Paris, a été organisé par la Fondation culturelle roumaine de Madrid, dont le président était l’écrivain Vintilă Horia, auteur du célèbre roman Dieu est mort en exil, le professeur hispano-roumain Aurel Răuță et l’Église orthodoxe roumaine de France. Il a inclus des présentations d’écrivains et d’artistes roumains en exil, l’inauguration de la statue d’Eminescu, créée par le sculpteur roumain Ion Vlad, et des interprétations musicales d’Ileana Cotrubaș, Viorica Cortez, Ion Piso et Ion Pântea.
Le roi Michel de Roumanie a envoyé à cette occasion un message qui a été lu par Ioana Brătianu.
Dans son discours d’ouverture, l’écrivain Vintilă Horia a rappelé le fait que « Eminescu n’est pas un poète, encore moins un journaliste ou un penseur. Eminescu est un pays. Jamais dans l’histoire de l’Occident un être humain n’a vécu l’essence même de son peuple avec une plus grande loyauté. »
Michel Ier
(Message)
Je suis heureux et fier de savoir que vous commémorez notre grand Eminescu. Merci à tous les organisateurs et participants à cette commémoration de rendre hommage au poète immortel et, de cette manière, à la culture roumaine.
La commémoration du centenaire de la mort d’Eminescu, de l’homme qui vivra éternellement parmi nous, nous donne l’occasion de nous souvenir de la profondeur et de la richesse de la culture roumaine, sur les hauteurs de laquelle se dresse l’inégalable Eminescu.
Doina Cornea écrivait récemment : « Que serait devenue notre culture si le roi Carol Ier avait fait taire Eminescu à cause de ses vers et de ses articles, souvent gênants pour le régime. Mais le roi Carol Ier était un roi éclairé ».
La culture, notre vraie culture, a besoin de liberté. Nous commémorons Eminescu en exil, et il est bon que nous l’honorions à Paris, la ville de la culture. La Ville Lumière pour tous les poètes du monde, et surtout pour nous, les Latins.
(texte traduit en français par Dan Burcea)
Cette rencontre a été aussi l’occasion de la mise en place, à l’angle des rues Jean-de-Beauvais et des Écoles, dans le quartier de la Sorbonne, de la statue de Mihai Eminescu réalisée par le sculpteur roumain Ion Vlad, présent à cette cérémonie.
Les organisateurs avaient invité à ces événements le philosophe Emil Cioran qui dans une lettre que nous reproduisons ici décline cette première invitation :
Pourtant, presqu’un an jour pour jour plus tard, et plus précisément le 1o mai 1990 Cioran assistera à Paris au spectacle «Eminescu…după Eminescu» (Eminescu… après Eminescu), réalisé et interprété par l’acteur Ion Caramitru et le pianiste Dan Grigore.
Profitant de la présence du philosophe roumain, Marilena Rotaru réalise une interview avec lui. Nous reproduisons ici le résumé en transcription :
Je suis si émue de me retrouver devant vous, dit la journaliste.
Cioran tente de la rassurer, de manière très amicale, oubliant presque sa propre timidité.
À la question comment a-t-il regardé ce spectacle, Cioran choisit un terme en français qui semble exprimer, selon lui, au plus près son ressenti, en se disant bouleversé, pour continuer avec d’autres superlatifs, cette fois en roumain : au-dessus de mes attentes, formidable.
J’ai le sentiment – continue-t-il – que je retourne en arrière aux origines de la Roumanie. En tout cas – conclue-t-il – si nous n’avions pas eu Eminescu, nous aurions dû démissionner.
Eminescu est l’excuse de la Roumanie.
Dan Burcea©
Mes remerciements vont vers madame Marilena Rotaru qui m’a permis de reprendre une bonne partie de ces informations, des photos et de la vidéo de son entretien avec le philosophe Emil Cioran.