Jean-Luc Marty : « Un garçon d’après-guerre » ou l’impossible retour du bois sacré

 

 

Lorsque j’avais interviewé Jean-Luc Marty à l’occasion de la sortie de son précédent roman Une douleur blanche, il m’avait confié ceci : « L’attachement est au cœur de ce livre, sa nature complexe, cruelle et douce ».

Quatre ans plus tard, en publiant Un garçon d’après-guerre, on peut se demander si cette affirmation continue à résonner comme une invitation à sonder plus en profondeur l’univers narratif de cet écrivain qui n’a jamais cessé de parcourir les couloirs d’une mémoire qui s’invite sans cesse dans ses constantes tentatives d’écriture.

C’est le cas cette fois de la mémoire familiale qui nous invite à comprendre comment se redessine l’image du père absent : « La mémoire de l’histoire dans laquelle je n’ai pas grandi » ?

S’agirait-il donc plutôt d’une « étrangeté » à partir de laquelle le narrateur sera appelé à faire revivre « l’avant-père », l’homme « dont la guerre se révélerait être la matrice ou le chemin » ?

Le champ narratif s’ouvrira sur la période tragique de la Seconde guerre, et plus précisément du combat des maquisards selon les souvenirs et les documents mis à la disposition du narrateur par un ancien compagnon de combat du père. L’entrée en scène de la grande Histoire n’est pas ici le fruit du hasard. Elle est intimement liée à celle du père maquisard, de fait à la partie manquante de leur récit commun. La réécrire, repartir sur ses traces, c’est permettre de résoudre « les énigmes à l’ombre desquelles j’avais vécu enfant », dit l’auteur.  

C’est ainsi que nous faisons connaissance des combats des maquisards et de la Section spéciale de sabotage (SSS), de leurs sacrifices et de leur héroïsme. Chaque détail reconstituant le puzzle d’une existence inconnue par le fils-narrateur, avec son cortège de subjectivité et de fiction, mais surtout sa capacité de donner un visage à l’être humain qui repose entre les phrases. À se fondre à nouveau dans cet enfant « qui ne voyait rien de précis, mais sentait quelque chose rôder d’indéfinissable, une violence profuse d’autres violences », pour s’en approcher.

« Un garçon d’après-guerre » est le roman de l’inaccompli et de la réparation, de l’oubli et du besoin de mémoire, un exercice très réussi d’humanisation de l’image paternelle descendue de son socle et revivifiée par l’acuité sensible d’un regard.

L’explication donnée pour le titre du roman suffirait à rendre compte de cette filiation qui prend une dimension générationnelle : « Je suis un garçon de l’après-guerre. Comme tu l’as été après celle de ton père ».

Si l’on a l’habitude de dire que l’histoire n’est que répétition, il faudrait ajouter que les traumas qu’elle engendre se perpétuent, envahissent. En cela, le livre de Jean-Luc Marty tente de comprendre dans quelle mesure l’héritage paternel a pu influencer son destin.

Vivre l’après-guerre, c’est aussi cela : hériter d’une génération dans ce qu’elle a de noble, d’héroïque, grandement hantée par ses blessures cachées. Avec cette question : comment remettre de l’oubli sur l’irréparable et sur l’absence des camarades disparus ? Mais qu’est-ce en définitive que l’oubli ? Un élan du cœur ? Une réalité de l’âme ?

Voilà quelques pistes pour comprendre ce livre à l’écriture délicate et précise. Avec cette manière dont l’auteur cherche à tout instant à surprendre et immortaliser non pas la réalité, mais le regard qui l’entoure, non pas la part d’ombre, mais l’humanité qui s’y loge. 

On n’oubliera pas cette peur du narrateur enfant, face aux débordements du père, à cet héritage indélébile de la guerre : « Je me disais que la vie pourrait s’arrêter sans explication en rase campagne morbihannaise, comme dans un mauvais rêve où l’horreur intervient à l’égal de n’importe quelle joliesse et ça me glaçait jusqu’au fond des os ».

Tout dépendrait, en définitive   de notre capacité à sortir ou pas du « bois sacré », nous dit l’auteur, à travers ce voyage sur les traces d’un père auquel ce roman nous invite magnifiquement.

Dan Burcea©

Jean-Luc Marty, Un garçon d’après-guerre, Édition Mialet Barrault, janvier 2025, 320 pages.

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