Alexis Bardini, « Une épiphanie » ou l’éternelle renaissance des signes

 

Quel secret renferme Alexis Bardini dans son recueil Une épiphanie si ce n’est celui de l’éclosion cachée des mots dans un alphabet fait de « paroles aux ailes battantes » survolant l’espace miraculeux d’une aube naissante émerveillée par la présence de sa bien-aimée ? Suffisant, nous dit le poète amoureux, pour « traverser le jour qui commence » et faire fléchir le poids du temps qui passe :  « Tu es dans mon ombre plus présente que moi-même/Et le monde pèse moins dans tes mains ».

C’est justement cette présence dont le poète savoure les parfums et les éclats en étincelles de poudre dorée qui verra les mots se magnifier en poésie dans le creuset brulant de la bouche de celle qui saura « en faire un poème ». Car, oui, les poèmes d’Alexis Bardini sont ce feu qui consomme les distances et transforment « des énigmes indéchiffrables » déposées par la mer en ce qu’il appelle « un pincement des lèvres/ sur les bords de la nuit ». Métaphore du lien amoureux et du mystère de l’univers réunis dans un questionnement qui fait plus de place au silence qu’à l’incantation, ces poèmes sont aussi ce discret dialogue des regards et des mains touchant timidement « la chemise de la nuit » que revêt la bien-aimée dans un rituel nuptial assisté par les arbres omniprésents et leur « or secret » et accompagné par d’uniques fragrances.

La mer n’est pas loin, elle impose au regard une majesté faite de mouvements et de couleurs, elle s’insinue même dans les pensées du poète pris au piège de la voix de sa muse qui devient, dit-il, « un filet humide qui m’entoure ». Cette splendeur marine qui ravit les regards et les sens et rappelle  « une enfance encore fumante » domine par son attraction hypnotique et sa capacité figurative. « La mer ne parle pas elle dépose/Des énigmes indéchiffrables » qui en roulant sur la pierre se transforment en « une langue inconnue » déposée sur la bouche de son amoureuse.

Alexis Bardini nous offre ainsi la recette secrète de son art poétique qui tient en ces mots, comme une confidence d’alchimiste  :

« Tu les déposeras

Sur cette bouche que le soir remplie

Et tu les brûleras

Pour en faire un poème »

 Pas d’argent ou de mercure, la poudre dorée qui embrase l’air des soirée, « la fraîcheur insolente » des fleurs bordées sur le manteau des heures ou le safran apporté par la mer suffisent pour déposer dans le creuset évoqué déjà de la poésie la beauté de cette liaison amoureuse magnifiée par les mots.

« Les heures s’épaississent

Comme un manteau sur tes épaules

Un manteau où tu brodes souriant

La fraîcheur insolente de nos fleurs »

Et pourtant, nous apprend le poète, l’heure qui vient va le contraindre à faire face à la séparation :

« Je dois écrire désormais

Sous la dictée de ton absence »

Plus profond que l’élégie ou la complainte, c’est tout l’univers qui semble s’écrouler, un univers humide qui inonde « le toit de papier » et fait se dilater les mots. « On se noie dans leur encre », nous annonce-t-il. Ce déluge de l’absence de l’être aimé fait taire les mots, mais il arrive même à arracher la mémoire et faire pâlir les astres. À quoi servent donc ses doigts devenus aveugles ? – se demandera-t-il.

On voit à la fin arriver l’hiver qui épaissit le regard de l’absente et met une césure au discours amoureux.

Le dernier poème est un magnifique hymne à cette sublime présence/absence qui ouvre vers tous les rêves et laisse trainer le parfum des espérances :

« La chaise vide qu’est mon cœur

Ton être-loin

Ma poitrine se gonfle

De toutes ces heures qui nous séparent

Le fil aveugle de la mémoire se tend

Tu balayes les songes d’une main lasse

Dans tes cheveux

Et la lumière se raconte

Sur le grain de ta peau »

On arrive enfin à déchiffrer le sens de cette épiphanie qu’Alexis Bardini glisse dans un de ses poèmes pour nous faire comprendre la noble mission qu’il leur confie.

La voici, sous la forme d’un sensible postulat qu’il accorde à sa mission d’écrivain :

« Le langage est une éponge qu’on presse en pleurant »

Tout est dit.

Dan Burcea

Photo de l’auteur : Francesca Mantovani © Editions Gallimard 

Alexis Bardini, Une épiphanie, Éditions Gallimard, 2021, 104 pages.

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