Cendrillon c’est moi – Alain Hoareau ou la magie du regard entre Temps et Éternité

 

 

Alain Hoareau publie aux Éditions Unicité un recueil de cinq nouvelles réunies sous le titre suggestif emprunté à la première d’entre elles, Cendrillon c’est moi. Ce choix n’est sans doute pas dû au hasard, tellement est grande la signification du syndrome lié à ce personnage dont le désir ardent d’amour est un moyen de surmonter les tourments de la vie et de retrouver le bonheur. Ajoutons aussi que ce titre évoque en écho la célèbre formule attribuée à l’auteur de Madame Bovary. 

C’est donc dans ces deux miroirs, légendaires et romanesques, qu’il faudrait regarder cette cadette qu’Alain Hoareau nous présente dans les pages de ce livre et qui vit elle-aussi de « rêves éveillés », « des images qui devenaient événements […] des fragments de vie », « sans une racine sur laquelle s’accrocher », signes incontestables et révélateurs d’une adolescence annoncée et parsemée « de sensations et d’émotions encore imprécises et obscures ». Le texte abonde en mots à connotations musicales, entre élans et fausses notes, signes rythmés d’une respiration intime et quotidienne d’une âme à la recherche d’une « matière solide sur laquelle s’accrocher, prendre racine ».

Ce mélange de rêverie et de calme espoir n’est autre que la mesure de sa manière inattendue de voir et de contenir le monde qui l’entoure, voire de considérer son inéluctable condition qui la situe à la dernière place dans une sororité qui fixe ses règles.

Dès lors, Cendrillon n’a qu’un seul pacte à signer : celui avec le temps qui passe. Et c’est intéressant de nous arrêter à ce stade sur cette notion du temps qui passe et qui prend chez Alain Hoareau de multiples facettes sur lesquelles nous allons revenir. Remarquons que dans le cas de Cendrillon, le temps est présenté comme un mouvement dont l’élan suggère une rythmicité nécessaire à la vie, une respiration sublimée, synonyme d’émancipation et de voyage initiatique, d’affranchissement et de victoire contre « les portails interdits » qui se dressent devant son désir de liberté.

Fallait-il apporter une preuve à ce violent ressenti ? Le mot violent exprime bien ici le sacrifice nécessaire à cette liberté rêvée, souhaitée et menée à bien. Quel autre moyen qu’un journal intime où on se raconte, se justifiant un peu, se mettant aussi à nu, pénétrer discrètement dans le territoire secret romanesque et devenir un personnage de fiction ? Alain Hoareau nous propose celui qui porte le nom de Cendrillon c’est moi, le journal où son héroïne est censée se raconter. Mais, à la surprise générale, le journal de Cendrillon « ne contenait que des pages blanches », ce qui laisse au lecteur le privilège d’une complicité et une nostalgique identification avec cette figure emblématique qui retourne ainsi dans la légende.

Mais le temps n’est pas seulement l’élément constitutif de cette première nouvelle. Il traverse, comme nous le disions, tous les autres textes.

C’est le cas, par exemple de Julien, le personnage éponyme de la deuxième nouvelle. Pour Julien, qui vit au rythme de l’écriture de son journal, le temps est synonyme de « régularité », de « ponctualité » et de « précision », valeurs qui renvoient aux horaires des trains qui arrivent et qui partent de la gare du village de province où il passe une semaine de vacances : « Il regardait le temps, comme il regardait ce train qui ne s’arrêtait pas… »

L’histoire de ce jeune-homme, dont la durée est soumise au décompte hebdomadaire a sans doute quelque chose de théâtral dans sa forme, régie par une mise en scène où les personnages sont bien définis – Julien, la libraire, la serveuse du café, Marie, d’autres passagers ou badauds. 

Chose encore plus évidente, l’essentiel de cette nouvelle est contenu dans les pages d’un livre partagé en secret, mais dont on ne connaît pas le contenu. Le personnage est encore une fois suspendu entre « un avant et un après », comme l’était Cendrillon, symboliquement, la cousine germaine de Julien.

Ou comme l’est Louise, l’héroïne de la troisième nouvelle, qui reformule de manière encore plus explicite la question de l’émancipation et du dépassement de soi. Le maître des horloges se transforme en illusionniste qui « cherche toujours une vérité invisible et qu’il s’interdira toujours de dévoiler sous peine de perdre la face ». Le temps prend, là encore, des dimensions divinatoires, devenant lui-même « la révélation », « le commencement et la fin, une forme d’éternité ». Le temps d’une brève histoire d’amour aussi. Malgré sa fin surréaliste, cette nouvelle, il faut le redire, est une merveilleuse plaidoirie en faveur de l’innocence et de la connaissance, « cet intervalle dans lequel on se sent libre et on croît ne plus être seul ».

On ne pourra pas clore cette analyse sans parler de l’importance du visuel chez Alain Hoareau. Que ce soit dans celui fixé sur l’horizon que sur une partition musicale, ce regard scrute, vit, vibre et s’imprègne de la matière corporelle, de la chair des choses, comme une radiographie secrète du réel. On pourrait même oser lui attribuer le célèbre attribut d’entendre avec les yeux et ranimer ainsi tout un vécu prédisposant à la musicalité de l’être. C’est les cas de Jean-François « qui sait la magie des regards vers le lointain » et mesure aussi l’importance du détail.

Le regard, le silence et la parole, voici le triptyque sur lequel se construit la prose de ce recueil et ce sont aussi les marches que cet écrivain-musicien utilise pour arriver au sommet de ce qu’il tente de transmettre à travers ses histoires. Un triptyque qui soutient un thème qui semble tiré du vécu personnel de l’auteur mais aussi de sa sensibilité et de son expérience reconnue de musicien. 

Dan Burcea©

  

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