Ressacs est le nouveau recueil de poésies d’Alexis Bardini. Ce titre qui préfigure un dialogue saccadé entre le poète et son ombre n’est que mouvement et écho de ce qu’il appelle « un affront » qui consume les rêves dans un feu dont seuls les reflets prolongeront une mémoire vacillante. « Élire domicile / Parmi les ombres / C’est vivre encore », nous dit le poète, car il n’a que « des syllabes vides » pour « garer les mots de la douleur ». La mer omniprésente tente de consoler la douleur de l’absence maternelle qui est sans doute la source de ces battements d’âme et de ces interrogations qui cherchent des réponses.
Des réponses ?
Mais où les trouver, alors que le poète est lui-même entouré « d’oubli » et de « mots éteints » ?
La mer, encore une fois, est la seule capable d’esquisser un portrait de la mère absente, comme « une chambre sans écho ». Et ce sont ces eaux marines que le poète implore pour lui délivrer « les mots pour la ressusciter ».
On comprend dès lors d’où viennent ces ressacs et quel est le remous qui génère ce battement de paupières entre mémoire et oubli, entre paroles et silences, entre « des mots de boue, d’eau tiède ou de vent » et le désir insatiable d’offrir la joie plurielle au mot « libre ».
Alexis Bardini prouve encore une fois sa capacité de jeter sur le réel, et surtout sur celui de l’absence, le voile doux et discret d’un regard implorant le retour, ou peut-être la permanence, d’une « innocence rompue ». Ce désir prend parfois des nuances de supplication contre une gravitation qui l’empêche de se relever comme une aile au-dessus de soi-même et déchirer le rideau d’une obscurité nocturne qui rend impossible la délivrance de soi. Pour cela, une seule solution – redevenir enfant, et laisser le droit à la parole de l’innocence qui réconcilie le monde et ouvre large la porte des rêves.
Les vers empruntent le ton de l’incantation et de la supplique, dans l’espoir secret qui se rêve rempli de multiples éclats :
Aucun chemin n’existe
Tant qu’on n’a pas marché
Je veux me continuer en toi
Et ressentir encore
Sur les quais blanchis de soleil
La longitude d’un soupir
ou qui frissonne sous les fragrances florales qui s’incarnent en timides syllabes :
Sous les syllabes fraîches d’un tilleul
Une étoile sera notre jardin
Toutes ces tentatives qui impulsent les multiples regards du dialogue entre le poète et son ombre portent en substance le besoin de reconstruire l’entièreté de l’être qui se confie, non pas malgré soi, non pas avec la peur d’un quelconque dévoilement inattendu, mais dans la plénitude d’une affirmation jaillissante, capable de retisser un présent vivant à jamais, en somme, une identité, une unicité qui résistera même à la terre qui la couvrira un jour. Les ombres deviendront « des obligés de la lumière » capables de cueillir « les décrets exorbitant des songes », mémoire chancelante qui embrasse le désir insatiable d’éternité.
Pour mieux comprendre l’amplitude de ces ressacs, il faudra infailliblement retourner à l’image maternelle qui reste, comme nous le disions plus haut, double symbole de silence et d’absence, d’ombre et de lumière, divinité secrète d’un fils inconsolable qui vient se recueillir sur sa tombe :
« Et que dire d’elle
La mère de ton nom ?
Tu sentais derrière elle
Comme l’odeur d’un temple
Etroite désormais
Est sa chambre sous terre
Et plus étroite encore
Fut sa poitrine
Dans son corset de vent
[…]
Son étoile en partant
N’a laissé d’adresse
Elle gît dans l’oubli qui la fait naître
Dans tous les mots éteints
Tous les cris sans issue »
Dan Burcea©
Crédits photo : © Dan Marinescu