Éric Dubois publie L’homme qui entendait des voix, un récit déroutant à la première personne, mélange de journal d’une souffrance intérieure et de compte-rendu psychiatrique que nous livre son héros, un homme arrivé à la cinquantaine qui s’est toujours senti décalé, en proie d’un mal-être incessant. La schizophrénie dont il souffre depuis plus de deux décennies a comme source son incapacité à trouver une place parmi ses semblables – amis, collègues de travail, relations intimes – et l’oblige à se retirer dans un territoire étrange où progressivement il commence à entendre des voix. Le phénomène tient plus de la pathologie que d’une quelconque vocation, même s’il s’agit par endroits des questionnements spirituels ou identitaires, plutôt semblables aux délires qu’à une certaine forme de discours. Ce ne sont, comme il les appelle, que des ombres de moi-même, des reliquats de rêves, des compagnons de solitude et de paradis artificiels. La réalité, une et indivisible devient un laboratoire où il se sent comme une souris perdue dans un labyrinthe et qui ne retrouve plus la sortie.
Et pourtant, malgré toutes ces incohérences, une porte reste patiemment entrouverte pour donner sens à ce tourment. Il s’agit de l’art de manier le langage, un plaisir qu’il a toujours cultivé avec une constante passion. L’écriture, dont il s’est depuis toujours senti attaché, est de son point de vue la seule lumière capable de donner sens à son discours alambiqué et obsessionnel. Cette exaltation à travers le langage poétique joue le rôle d’unique clé apte à déchiffrer son mal existentiel et de palier toute autre thérapie. C’est donc à travers ces différents textes poétiques, vrais exemples de sublimation de la souffrance du poète incompris, baudelairien par beaucoup de ressemblances, que va se réaliser un (réel) travail de couture, de raccommodage.
Sa nouvelle Planète humaine ressemble désormais à cela :
Planète à elle toute seule
Humaine sans équivoque
Moitié rameau moitié essence
Soleil femme de ma vie
Tu seras
Sous la marelle du ciel
dorment les elfes fertiles
pour les moissons d’été
Mon amour y batifole
tendrement je l’avoue
tendrement nous nous y
destinons
Au fond, nous dira l’auteur, au-delà de tout, l’homme s’élève au-dessus de la condition d’un individu enfermé dans un dossier médical ou des considérations d’autrui. Ce n’est pas en tentant désespérément d’essayer de comprendre, voire d’expliquer son identité qu’il va finir par guérir ses blessures, mais tout simplement en acceptant sa condition. Son secret est formulé d’une manière à la fois limpide et vraie, comme une déclaration d’amour à la littérature ou comme un credo poétique universel : L’écriture m’a sauvé.
Tout est dit dans ce dicton digne du frontispice personnel d’un auteur qui fréquente, comme le fait avec assiduité ici Éric Dubois, les beautés du monde semblable à une écharpe étoilée. Dans cette immensité stellaire, savoir écrire ce rien un peu aristocratique et romantique finit par rendre au poète le titre d’astrologue énigmatique de l’âme.
Dan Burcea
Crédit photo : Jean-Baptiste Mognetti
Éric Dubois, L’homme qui entendait des voix, Éditions Unicité, 2019, 53 pages.