
diazépam et romance banale
je t’aurais aimé davantage
mais je ne suis pas d’humeur,
juste cette vieille fatigue,
comme une insomnie roulée dans des feuilles de vigne
et la fièvre dans la gorge
qui réclame un autre diazépam
pour me rappeler
ce que cela fait d’être calme,
doux et optimiste,
cette femme
que tu cherches
et que tu ne trouves jamais en moi.
quand tu m’embrasses
c’est comme si nous mâchions le même chewing-gum Turbo
qui perd sa saveur
après exactement vingt-sept secondes
et nous séparons nos bouches
sans autre conclusion
que l’inévitable reflux gastro-œsophagien
ou une déclaration
pathétique
que je m’empresse d’effacer de mon téléphone,
comme un hacker sentimental,
spécialisé dans la gestion des regrets.
tu m’as dit que mon écriture était belle, mais pas assez belle
pour me pardonner
mon instabilité
ou la façon dont je prétends
que j’aime le jazz, la poésie d’Ashbery
et tes lèvres sèches
qui me font mal aux joues
chaque fois que tu me mens en me disant que tout
va s’arranger.
où vivent les femmes après le sexe
elles tirent la peau comme une couette trop courte
la chambre sent encore le pilote de ligne
il m’a dit que les femmes habillées l’excitaient
il est parti sans fermer la porte
J’attrape la boîte de xanax comme le manche d’un couteau.
que l’on peut utiliser comme arme et comme ustensile de cuisine.
peut-être les mesures précises
de la couturière âgée
sur le buste, la taille, les hanches, les cuisses
seront d’une quelconque utilité
lorsque je devrais prouver au tribunal
que nous nous sommes aimés et
que nous nous sommes pénétrés l’un l’autre jusqu’à la rupture
jusqu’à la blessure ouverte
tu m’as dit que tu n’étais pas doué pour les adieux
alors tu as décidé de me laisser sur le bord d’une route départementale
sans panneaux de signalisation
et maintenant j’apprends
que les femmes après le sexe vivent temporairement
dans leur propre corps comme dans un motel bon marché
où les draps ne sont jamais changés
et où les clients se succèdent à un rythme effréné
laissant derrière eux des cendriers sales, des serviettes jetées
et le panneau « ne pas déranger »
inutilement accroché à la poignée de la porte
comme une dernière volonté.
vanitas vanitatum et omnia Instagram
Le bonheur a de bons filtres,
nous savons tous qu’elle est une habile arnaqueuse,
Je me démaquille agressivement
avec des serviettes rugueuses en guise de punition auto-imposée
jusqu’à ce que mon visage devienne rouge
comme la carte d’une ville bombardée,
le miroir me regarde avec pitié –
pas de fard à joues et pas de mensonges
Je ne suis qu’un animal domestique,
un vieux chien sans maître,
la femme sans followers et sans partages,
seule
dans un pays où il est illégal
d’admettre qu’on est médiocre,
sanglotant dans la salle de bain
parce que vous n’avez pas réussi
de faire la salade parfaite,
un selfie parfait,
la tristesse parfaite
et que ta vie n’inspire
même pas la pitié.
dans la poche de mon peignoir taché de ketchup
je garde la note froissée
que j’ai écrite une nuit
« N’oublie pas de devenir viral
ou de mourir en essayant ».
Le syndrome de Stockholm n’est pas de l’amour
tu laves mes blessures avec de l’eau oxygénée et je fais semblant que ça pique
et je fais semblant que ça pique pour que tu ne t’en désintéresses pas
tu penses que l’amour est ce que tu fais de moi quand tu me tiens
avec mes pieds nus collés au carrelage
dans la cuisine froide
et que tu comptes mes défauts sur tes doigts
comme un tailleur qui m’a fait par erreur et qui doit maintenant
justifier auprès du client
pourquoi le manteau ne lui va pas
et je suis stupidement heureux quand tu es d’accord avec moi
juste pour te faire taire
et je défais mes boutons dans l’obscurité
pour que tu ne voies pas
que j’ai serré les poings jusqu’à ce que mes paumes soient meurtries
Je ne t’embrasse que parce que ta bouche
a le goût du désinfectant
tu te débarrasses de ta culpabilité après chaque dispute.
nous nous sommes habitués l’un à l’autre
comme deux captifs attachés au même radiateur
qui croient pouvoir survivre
s’ils respirent en même temps.
Mais la survie n’est pas l’amour.
petit traité sur la désintégration
Je fourre mes poings dans ma bouche pour ne pas hurler
mon corps m’enserre aujourd’hui
comme les chaussures neuves que j’ai portées à ton enterrement
le deuil est un processus chimique précis
une combustion dans laquelle quelque chose doit brûler
les souvenirs de toi sont du bois humide
et ils fument noir quand j’essaie de les allumer
avec des mains instables
je reconstitue de mémoire
ton expression quand tu m’as expliqué
que les gens sont des particules subatomiques
que l’amour n’est qu’une forme élégante de désintégration
dans laquelle tu perds ton identité
et que ton corps devient radioactif
que je devais apprendre
à être une centrale nucléaire
en contrôlant soigneusement ses pertes
et laisser ta photo sur le frigo se décolorer
jusqu’à ce que tu sois anonyme
comme une offre périmée sur un prospectus de supermarché
mais vous ne m’avez pas dit ce que je faisais
avec des réponses automatisées
avec la main qui s’accroche encore à toi dans ton sommeil
et encore moins comment me débarrasser
des radiations résiduelles
qui reste en moi
longtemps après que l’amour
a cessé de produire de l’énergie
et devient juste
déchets toxiques
difficiles à gérer
coûteux à recycler
impossible
oubliable
Gabriel Chiriac : ces cinq poèmes font partie d’un futur recueil en cours de préparation
Gabriel Chiriac est un écrivain roumain, né en 1968 à Iași. Il est expert accrédité par le Ministère de la Culture pour la conservation du patrimoine culturel national et la conservation-restauration des monuments architecturaux populaires en bois auprès du Centre de recherche et de conservation-restauration du patrimoine culturel du complexe muséal national « Moldova » de Iasi. Il a fait ses débuts dans l’édition en 2009 à la maison d’édition Junimea à Iasi, avec le roman historique « Iarnă cu fulgi însângerați » (réédité en 2020 par la maison d’édition SedCom Libris, Iasi), suivi de deux autres romans, également à thème historique, « Leul înaripat » (Junimea, 2011) et « Ceață roșie în Crimeea » (Junimea, 2014). En 2024, toujours à la maison d’édition Junimea, il a publié le recueil de poèmes « Kerouac blues ».
(Poèmes et présentation traduits du roumain par Dan Burcea)