Gabriel Chiriac : Cinq poèmes inédits

 

diazépam et romance banale

je t’aurais aimé davantage

mais je ne suis pas d’humeur,

juste cette vieille fatigue,

comme une insomnie roulée dans des feuilles de vigne

et la fièvre dans la gorge

qui réclame un autre diazépam

pour me rappeler

ce que cela fait d’être calme,

doux et optimiste,

cette femme

que tu cherches

et que tu ne trouves jamais en moi.

quand tu m’embrasses

c’est comme si nous mâchions le même chewing-gum Turbo

qui perd sa saveur

après exactement vingt-sept secondes

et nous séparons nos bouches

sans autre conclusion

que l’inévitable reflux gastro-œsophagien

ou une déclaration

pathétique

que je m’empresse d’effacer de mon téléphone,

comme un hacker sentimental,

spécialisé dans la gestion des regrets.

tu m’as dit que mon écriture était belle, mais pas assez belle

pour me pardonner

mon instabilité

ou la façon dont je prétends

que j’aime le jazz, la poésie d’Ashbery

et tes lèvres sèches

qui me font mal aux joues

chaque fois que tu me mens en me disant que tout

va s’arranger.

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où vivent les femmes après le sexe

elles tirent la peau comme une couette trop courte

la chambre sent encore le pilote de ligne

il m’a dit que les femmes habillées l’excitaient

il est parti sans fermer la porte

J’attrape la boîte de xanax comme le manche d’un couteau.

que l’on peut utiliser comme arme et comme ustensile de cuisine.

peut-être les mesures précises

de la couturière âgée

sur le buste, la taille, les hanches, les cuisses

seront d’une quelconque utilité

lorsque je devrais prouver au tribunal

que nous nous sommes aimés et

que nous nous sommes pénétrés l’un l’autre jusqu’à la rupture

jusqu’à la blessure ouverte

tu m’as dit que tu n’étais pas doué pour les adieux

alors tu as décidé de me laisser sur le bord d’une route départementale

sans panneaux de signalisation

et maintenant j’apprends

que les femmes après le sexe vivent temporairement

dans leur propre corps comme dans un motel bon marché

où les draps ne sont jamais changés

et où les clients se succèdent à un rythme effréné

laissant derrière eux des cendriers sales, des serviettes jetées

et le panneau « ne pas déranger »

inutilement accroché à la poignée de la porte

comme une dernière volonté.

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vanitas vanitatum et omnia Instagram

Le bonheur a de bons filtres,

nous savons tous qu’elle est une habile arnaqueuse,

Je me démaquille agressivement

avec des serviettes rugueuses en guise de punition auto-imposée

jusqu’à ce que mon visage devienne rouge

comme la carte d’une ville bombardée,

le miroir me regarde avec pitié –

pas de fard à joues et pas de mensonges

Je ne suis qu’un animal domestique,

un vieux chien sans maître,

la femme sans followers et sans partages,

seule

dans un pays où il est illégal

d’admettre qu’on est médiocre,

sanglotant dans la salle de bain

parce que vous n’avez pas réussi

de faire la salade parfaite,

un selfie parfait,

la tristesse parfaite

et que ta vie n’inspire

même pas la pitié.

dans la poche de mon peignoir taché de ketchup

je garde la note froissée

que j’ai écrite une nuit

« N’oublie pas de devenir viral

ou de mourir en essayant ».

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Le syndrome de Stockholm n’est pas de l’amour

tu laves mes blessures avec de l’eau oxygénée et je fais semblant que ça pique

et je fais semblant que ça pique pour que tu ne t’en désintéresses pas

tu penses que l’amour est ce que tu fais de moi quand tu me tiens

avec mes pieds nus collés au carrelage

dans la cuisine froide

et que tu comptes mes défauts sur tes doigts

comme un tailleur qui m’a fait par erreur et qui doit maintenant

justifier auprès du client

pourquoi le manteau ne lui va pas

et je suis stupidement heureux quand tu es d’accord avec moi

juste pour te faire taire

et je défais mes boutons dans l’obscurité

pour que tu ne voies pas

que j’ai serré les poings jusqu’à ce que mes paumes soient meurtries

Je ne t’embrasse que parce que ta bouche

a le goût du désinfectant

tu te débarrasses de ta culpabilité après chaque dispute.

nous nous sommes habitués l’un à l’autre

comme deux captifs attachés au même radiateur

qui croient pouvoir survivre

s’ils respirent en même temps.

Mais la survie n’est pas l’amour.

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petit traité sur la désintégration

Je fourre mes poings dans ma bouche pour ne pas hurler

mon corps m’enserre aujourd’hui

comme les chaussures neuves que j’ai portées à ton enterrement

le deuil est un processus chimique précis

une combustion dans laquelle quelque chose doit brûler

les souvenirs de toi sont du bois humide

et ils fument noir quand j’essaie de les allumer

avec des mains instables

je reconstitue de mémoire

ton expression quand tu m’as expliqué

que les gens sont des particules subatomiques

que l’amour n’est qu’une forme élégante de désintégration

dans laquelle tu perds ton identité

et que ton corps devient radioactif

que je devais apprendre

à être une centrale nucléaire

en contrôlant soigneusement ses pertes

et laisser ta photo sur le frigo se décolorer

jusqu’à ce que tu sois anonyme

comme une offre périmée sur un prospectus de supermarché

mais vous ne m’avez pas dit ce que je faisais

avec des réponses automatisées

avec la main qui s’accroche encore à toi dans ton sommeil

et encore moins comment me débarrasser

des radiations résiduelles

qui reste en moi

longtemps après que l’amour

a cessé de produire de l’énergie

et devient juste

déchets toxiques

difficiles à gérer

coûteux à recycler

impossible

oubliable

Gabriel Chiriac : ces cinq poèmes font partie d’un futur recueil en cours de préparation

Gabriel Chiriac est un écrivain roumain, né en 1968 à Iași. Il est expert accrédité par le Ministère de la Culture pour la conservation du patrimoine culturel national et la conservation-restauration des monuments architecturaux populaires en bois auprès du Centre de recherche et de conservation-restauration du patrimoine culturel du complexe muséal national « Moldova » de Iasi. Il a fait ses débuts dans l’édition en 2009 à la maison d’édition Junimea à Iasi, avec le roman historique « Iarnă cu fulgi însângerați » (réédité en 2020 par la maison d’édition SedCom Libris, Iasi), suivi de deux autres romans, également à thème historique, « Leul înaripat » (Junimea, 2011) et « Ceață roșie în Crimeea » (Junimea, 2014). En 2024, toujours à la maison d’édition Junimea, il a publié le recueil de poèmes « Kerouac blues ».

(Poèmes et présentation traduits du roumain par Dan Burcea)

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