Alexandra Laignel-Lavastine : André Zirnheld – Le chant d’un partisan – un livre pour une «exfiltration» de l’oubli

« Il était de la taille des Estienne d’Orves, des Saint-Exupéry, des Marienne »

(Le général Bergé)

Alexandra Laignel-Lavastine vient de publier André Zirnheld – Le chant d’un partisan aux Éditons du Cerf. Il s’agit de la biographie du « premier officier para FFL, foudroyé en pleine guerre du Désert ».

« Une biographie, ça s’invente », nous dit Céline, en mettant au plus haut sommet de l’écriture le droit souverain de la fiction.  

L’espagnol Benjamin Jarnés, qui fut lui-même militaire, est plus nuancé, car, pour lui, « le roman est l’art de créer un homme, la biographie, l’art de le ressusciter ». 

Dès lors, on peut se poser la question sur la place de l’invention qui s’offre à Alexandra Laignel-Lavastine et pour laquelle plaide l’auteur du Voyage au bout de la nuit. Docteur en philosophie, historienne et essayiste, Alexandra Laignel-Lavastine connait et maîtrise parfaitement les contraintes de ce genre d’ouvrages dont fait partie la biographie historique qu’elle vient de publier.

La question qui s’est sans doute posée à elle, et nous allons nous pencher sur cet aspect, n’est pas celle de comment rendre romanesque une vie oubliée, mais plutôt comment la rendre visible, avec tout ce qu’elle a de vrai et de digne, d’essentiel, d’humain, tout en sortant de l’oubli la figure de celui qui l’incarne pour l’anoblir du titre de héros, de vir clarissimus, de personnage illustre, comme disait Cicéron. De garder ce héros dans l’Histoire non pas comme dans un mausolée, mais comme dans une chapelle ardente où le soldat et son chant de guerre – nous le verrons – attendent que nous leur rendions les honneurs. 

Le héros de ce livre n’est pas seul dans son attente d’éternité : il est accompagné d’une Prière dont il est l’auteur et qui a été retrouvée en 1942 dans son barda après sa mort dans le Désert de la Libye par ses camarades de combat dans un petit carnet rouge, et qui deviendra plus tard l’hymne des paras.

Mais n’anticipons pas… 

Pour le moment, il s’agit, pour revenir aux thèmes de prédilection d’Alexandra Laignel-Lavastine, de reprendre dans une autre dimension le vaste questionnement proposé par ses précédents ouvrages, comme Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ? (2017) ou précédemment par Cioran, Eliade, Ionesco : L’oubli du fascisme (2002), ou encore, en tant que traductrice, par deux livres traduits du roumain ou du polonais, annotés et présentés en 2009 Cartea Neagra : Le Livre noir de la destruction des Juifs de Roumanie (1940-1944) de Matatias Carp et en 2021 Journal de Ponary 1941-1943 : Un témoignage oculaire unique sur la destruction des Juifs de Lituanie de Kazimierz Sakowicz[1].

Et de se redemander, par conséquent, si cette biographie n’est pas une nouvelle critique de l’amnésie de l’Histoire qui la condamne à se répéter sans cesse.

André Zirnheld – Le chant d’un partisan est préfacé par le Général du corps d’armée Olivier Tramond, actuellement administrateur de l’Association des écrivains combattants (AEC). L’ambition de cette biographie – précise le Général – est «d’exfiltrer ce partisan et son chant du monde para où ils restaient confinés depuis 1945 pour le reconduire au cœur de la cité […] de raconter à hauteur d’homme une odyssée fondée sur de formidables archives familiales inédites».

Il s’agit donc d’un double acte de mémoire, à la fois de la biographie d’un homme et conjointement de ses actes de bravoure qui plaident en faveur de son souvenir immuable et d’un héritage laissé à travers une production littéraire d’un genre à part qui deviendra la clé de voûte de son court passage parmi ses semblables.

Il y a, on ne le dira pas assez, même plus que cela, il y aura son côté universel. Ce livre ne se contente pas d’être une simple réhabilitation mémorielle – son importance est sans doute incontestable aux yeux de l’Histoire – mais il est une nécessaire restauration face à un arbitraire que le temps se plaît parfois à infliger à ceux qui veulent et doivent résister dans la conscience collective de l’humanité. Il est véritablement, et pas seulement symboliquement, une pierre posée sur la tombe de ce héros afin de garder vivante sa mémoire.

C’est surtout un livre sur la postérité de ce qu’un homme laisse comme témoignage écrit, fruit d’une réflexion mise en versification et image intérieure d’une ardente nécessité de faire connaître son élan de jeunesse. 

Cette Prière, la voici : 

« Je m’adresse à vous, mon Dieu,
car vous seul donnez
ce qu’on ne peut obtenir que de soi.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste
Donnez-moi ce qu’on ne vous demande jamais.

Je ne vous demande pas le repos
ni la tranquillité
ni celle de l’âme, ni celle du corps.

Je ne vous demande pas la richesse
ni le succès, ni peut-être même la santé.

Tout ça, mon Dieu, on vous le demande tellement
que vous ne devez plus en avoir.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste

Donnez-moi ce que l’on vous refuse.

Je veux l’insécurité et l’inquiétude
je veux la tourmente et la bagarre,
et que vous me les donniez, mon Dieu,
définitivement,
que je sois sûr de les avoir toujours,
car je n’aurai pas toujours le courage
de vous les demander.

Donnez-moi, mon Dieu, ce qu’il vous reste
Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas

Mais donnez-moi aussi le courage
et la force et la foi.

Car vous seul donnez
ce qu’on ne peut obtenir que de soi. »

 

 

Pour Alexandra Laignel-Lavastine, et implicitement pour nous, la question, on ne peut plus légitime, qui se pose après la lecture de ce sublime texte est comment expliquer le fait que tout le monde connaît Le chant des partisans, l’hymne universel de la Résistance de Joseph Kessel, alors que la Prière d’André Zirnheld, devenue la Prière des parachutistes, est restée présente juste dans le cercle des combattants ? Est-ce que le mot Dieu a posé un problème ? Les caprices du temps sont souvent difficiles à maîtriser.

Écoutons cette Prière des parachutistes

 

 

Revenons à l’incroyable travail accompli par Alexandra Laignel-Lavastine dans l’écriture de ce livre que l’on peut qualifier pour de multiples raisons comme un livre essentiel. À son origine, nous explique-t-elle, réside « une histoire d’amour, d’ordre filial ». En effet, son fils Jonathan est parachutiste dans l’armée française, et c’est grâce à lui qu’elle prend connaissance pour la première fois de l’existence de la Prière du para. Sera-t-elle capable de vibrer en lisant ce poème ? La réponse et oui. Le livre est donc né de ce frémissement.

Alexandra Laignel-Lavastine est de loin une des voix les plus autorisées à parler des traumatismes engendrés par les démissions successives survenues tout au long de l’Histoire contemporaine, surtout ceux concernant les oppressions, les camps nazis et les goulags décrits et dénoncés dans ses ouvrages. Connaissant l’exigence qu’elle impose en tant qu’historienne à son travail lorsqu’il s’agit de retracer les grands chemins de l’Histoire, mais aussi son grand talent d’écrivain, on apprécie son écriture dense, précise et cohérente, possédant en plus une parfaite maîtrise de la riche documentation que contient cet ouvrage. 

Dans André Zirnheld – Le chant d’un partisan, rien n’est laissé au hasard : le « roman familial » d’un jeune homme d’origine alsacienne et de famille modeste des optants, ayant choisi la France après la guerre de Prusse, la mort prématurée du père, alors qu’André n’a que neuf ans, le rôle majeur de l’oncle Jules, fondateur du syndicat de la CFTC, qui lui inculquera, entre autres, le principe selon lequel « les individus doivent devenir maîtres de leurs choix et acteurs de leur destin ». Et puis, il y a Emma, la mère aimante, qui s’inquiète à tout moment de l’état de son fils, la figure universelle de la Mère en majuscules dans laquelle Alexandra se reconnaît sans doute, elle-même.

 

 

Dès lors, on comprendra facilement le caractère turbulent et indépendant de l’enfant, mais aussi et malgré tout, son caractère joyeux, optimiste et volontaire. Quel lien entre son parcours de jeunesse et l’esprit guerrier dont il fera preuve ? « On observe bel et bien, chez lui – écrit Alexandra Laignel-Lavastine – une lente préparation du cœur et de l’esprit […] au cours d’une décennie dramatique qui provoque elle-même un brusque retour des intelligences aux événements, donc au politique ». C’est la ligne droite vers un anticonformisme qui l’animera dans les moments clé de son existence. Les études de philosophie en Sorbonne, le contact avec la revue « Esprit » et l’école personnaliste feront d’André Zirnheld ce que Georges Bergé qui le recrutera en 1942 au SAS décrit comme « un individu qui participe à la vie de la cité dans toute la mesure où ses moyens et ses capacités le lui permettent ». Zirnheld notera dans son carnet rouge ces mots qui en disent tout de sa détermination : « On ne choisit pas sa vocation. On n’en est pas maître. Le seul devoir est de lui être fidèle. »

Sa manière d’être au monde rompt avec ce qu’il appelle « le syndrome de la Peugeot deux places », celui d’un individu taillé à l’image du conformisme, « de la montée de la bourgeoisie et du libéralisme, exclusivement tourné vers la sécurité, le bien-être et la poursuite de ses propres intérêts ».

L’Histoire va d’ailleurs très vite le rattraper. La Guerre d’Espagne est une occasion d’exprimer sa volonté de « prendre parti » à la tournure tragique des événements, même s’il ne fera rien pour y participer. Il le regrettera plus tard. Mais cela ne sera que le début d’un long périple : ces chemins le conduiront Zirnheld partout, en Afrique du Nord et dans le Levant, au Liban et en Syrie, en Palestine, à Tel Aviv et à Haïfa.

 

 

Le récit met encore une fois en évidence la rigueur dont Alexandra Laignel-Lavastine fait preuve et l’exactitude de son analyse et la complexité des événements des années à venir, surtout à partir de la débâcle de 1940. Il faut saluer ici son extraordinaire travail de documentation, la perspective qu’elle donne à lire quant aux événements de l’Histoire et de sa descente crépusculaire vers la capitulation de la France en 1940. Cette capitulation, signée par Pétain, réveille définitivement dans la conscience des Français de métropole et des colonies ou protectorats des sentiments différents, voire contraires, selon les convictions ou les intérêts de chacun : sentiments de résignation pour 90 % de la population et sentiments de révolte pour le petit 1 % des Français libres qui suivront de Gaulle.

Zirnheld choisit la désertion et choisit la Palestine anglaise.

Dorénavant, il saura ce qui lui reste à faire.

 

 

Si l’existence de la France libre défendue à Londres est célèbre, celle de la FFL du Levant est hélas moins connue du grand public. Ni d’ailleurs la devise de son futur bataillon : « Vivre Français ou mourir ». Le livre retrace avec fidélité le parcours dans le désert d’André Zirnheld dans le cadre de ces unités, insistant sur son désir de combattre qui l’anime plus que tout. Ses missions de chauffeur ambulancier dans le désert, plus tard sa mission à la Radio-Levant ne le satisferont pas. Il veut « de la bagarre », comme il l’avait imploré dans sa Prière de 1938. Il adoptera la devise « Qui ose gagne ».

Il serait trop long de tout raconter ici : le lecteur appréciera la narration extraordinaire faite par Alexandra Laignel-Lavastine à ces différentes étapes de l’odyssée incroyable de ce héros. Surtout les épisodes qui relatent les missions du désert, les commandos du mythique SAS dont Zirnheld va assurer un des commandements, ce sentiment « d’être unis comme des frères », et la bravoure qui couvre leurs actions. Jusqu’au moment fatidique, lorsqu’un stuka allemand passe une troisième fois, blessant mortellement au ventre Zirnheld qui, agonisant, dira ces mots : « Dieu comme c’est long à mourir ! »

Mais quel sera le destin de sa Prière ? Nous sommes le 27 juillet 1942. Désormais, et notamment après la lecture faite de ce texte à Radio Londres, le nom de Zirnheld va entrer dans la légende.

Quatre décennies plus tard, le magnifique livre d’Alexandra Laignel-Lavastine la fait revivre.

La mémoire trouvera des voies inattendues, comme celle inspirée en 2022 par la figure de la poupée à qui Shirley Moore avait donné le nom de Zirnheld. Elle en sera surprise d’entendre encore parler de son héros.

 

 

Mais il y a plus surprenant. Des paras qualifient aujourd’hui ce livre de « pépite », de « bombe ».

Il faut sans doute mettre en avant de son actualité et sa vocation universelle, faisant référence à notre monde d’aujourd’hui qui risque hélas de glisser vers les mêmes déboires, les mêmes trahisons et les mêmes illusions. Et les mêmes défaites, tant qu’on y est.

S’il fallait trouver une conclusion, un couronnement à cette histoire, ce serait sans doute celui qui est résumé dans ces paroles uniques qui évoquent « la fraternité des combats, l’engagement dans l’action guerrière et l’exigence du sacrifice personnel ». 

 

 

Ces qualités ne sont pas seulement celles du soldat Zirnheld. Sa Prière de 1938, a fait entrer son auteur et avec lui tous ces volontaires qui ont choisi de combattre pour la France libre « dans l’immortalité de la légende, encore rehaussée par sa mort héroïque au combat ». 

Mais tout cela, le lecteur le trouvera dans les pages de ce magnifique livre qui fait l’honneur à la mémoire d’un soldat qui avait choisi de vivre libre et à une Prière qui continue à apaiser encore aujourd’hui nos peurs.

Dan Burcea

Crédits photo de l’auteur, © JFPaga

Alexandra Laignel-Lavastine, André Zinheld, Le chant d’un partisan, Editions du Cerf, 2025, 478 pages.

Merci à l’auteur d’avoir mis gentillement  à notre disposition les photos qui illustrant cet article.

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[1] Voir les articles publiés dans Lettres Capitales relatifs à ces deux ouvrages : https://lettrescapitales.com/grand-entretien-alexandra-laignel-lavastine-autour-de-cartea-neagra-le-livre-noir-de-la-destruction-des-juifs-de-roumanie-1940-1944-de-matatias-carp/

et :

https://lettrescapitales.com/kazimierz-sakowicz-alexandra-laignel-lavastine-journal-de-ponary-1941-1943-un-temoignage-oculaire-unique-sur-la-destruction-des-juifs-de-lituanie/

Deux interviews d’Alexandra Laignel-Lavastine : 

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