Guillaume Basquin – Tweet n° 1 ou l’excentrique féérie littéraire façon Alfred Jarry

 

 

Tweet n° 1 de Guillaume Basquin est un OLNI, un Objet Littéraire Non Identifié, dans lequel « les mots perdent leur sens premier les césures ne sont plus à leur place habitu-elle », ou, pour citer Philippe Sollers choisi en exergue pour nous rappeler le Télex n° 1 de Jean-Jacques Schuhl, « une sorte de téléscripteur fonctionnant presque de façon permanente (ou du moins donnant l’idée d’une telle folie) ».

Si dans le cas du roman de Jean-Jacques Schuhl s’agissait d’« une écriture anonyme, fragmentée et fragile, […] d’un discours sans auteur », dans celui de Guillaume Basquin, il s’agit en revanche de trouver la raison d’être « d’un présent [qui] se donne à vivre immédiatement comme souvenir par cette spatialisation du temps qui se trouve soumis à l’ordre illusoire d’un présent accessible en permanence ».

Sans doute, de l’eau à coulé sous les ponts de la Seine depuis la publication, en 1976 dans la NFR, du livre de Jean-Jacques Schuhl.

« Les frêles bruits de l’histoire » que l’on entendait à l’époque se sont transformés en gazouillis qu’un oiseau bleu abrita dans le nid de la vingt-quatrième lettre de l’alphabet français.

Ce n’est donc pas par hasard que Guillaume Basquin prend à témoin cette diX-neuvième consonne de l’alphabet pour l’insérer dans un discours frissonnant et subtil, vrai kaléidoscope lexical, révélant à chaque tournure son guet-apens de mouvante et inattendue ingéniosité.

Sa lecture n’est sans doute pas aisée, slalomant en virages serrés entre les piquets d’une ponctuation inexistante, mais qui demande à l’œil attentif de la deviner et d’en extraire la joie presque enfantine d’un écolier débutant.

À quoi s’attendre en ouvrant dès lors ce livre ?

Certains penseront à ce que Tzara nommait dans le Manifeste Dada « un saut élégant et sans préjudice, d’une harmonie à l’autre sphère ; trajectoire d’une parole jetée comme un disque sonore crie […] une folie du moment : sérieuse, craintive, timide, ardente, vigoureuse, décidée, enthousiaste ». D’autres à l’inégalable Alfred Jarry et à son officier du roi Venceslas et à sa dérisoire incarnation de l’humanité.

Ils s’insurgeront aussi contre l’audace de proposer un texte dont la désinvolture froisserait les règles de la rhétorique, sans savoir qu’un styliste comme Cioran, compatriote de Tzara, préférait la liberté de l’anacoluthe.

Basquin exulte devant le même droit à la liberté de la syntaxe : « je suis un miXeur-ajusteur (ici de Saint-Simon) plutôt qu’auteur j’ôte au teXte des autres & je me tiens ainsi à la pointe de la modernité afin d’occuper en exclusivité aujourd’hui & demain le créneau du futur ». Il tente de déchiffrer les mécanismes de ce nouveau langage, osant le pari du saut « du symbolique au réel ».

Il rajoute : « mon écriture est une écriture par condensation : accumulation d’énergie teXtuelle sur une surface carrée, sa lecture devient le geste de son écriture, dépassement de l’art littéraire ».

Il ne faut pas oublier que l’on a affaire à un genre de forme littéraire fixe, ici celle du tweet, genre onomatopéique aux trilles tremblotants devenus pour certains acouphéniques et nous rappelant encore une fois la formule dadaïste de « la trajectoire d’une parole jetée comme un disque sonore crie ». L’oiseau bleu semble avoir perdu de sa splendeur depuis qu’il a été crucifié sur la consonne répudiée dernièrement par certains.

Pourtant, toutes ces contraintes rhétoriques ijligées au discours ne font que renforcer chez l’auteur la conviction qu’il vise « à une syntaXe universelle », à un idéogramme apollinairien, qui prend chez Basquin, le pilote de ligne, celle d’un avion, et pour l’homme amoureux des Lettres, comme « le souffle le cri de théâtre de la cruauté ».

Tweet n° 1 n’est pas seulement un exercice sans doute très réussi de langage, il est un condensé décomplexé de réflexions sur les sujets les plus divers et les plus graves qui traversent le monde contemporain pour qui la principale préoccupation est celle de prétendre à discerner entre le noir et le blanc et d’accéder à cette marche sous-jacente du langage comme expression ultime d’affirmation de l’état du monde, image fidèle des railleries que Platon exultait à l’encontre des nomothètes dans Cratyle

C’est pour adhérer à cette improbation que se dresse le livre de Guillaume Basquin, afin de secouer ce que l’on appelle par un barbarisme « la vérité alternative », ce non-sens qui contredit le fameux principe aristotélicien de tertium non  datur, dans le but de séparer le noir du blanc, la vérité du mensonge, l’ivraie du bon grain. Tout y passe, sujets politiques, dystopiques, pandémiques ou de petites ou grandes trahisons, à la grande satisfaction des Grands Inquisiteurs, héritiers de celui décrit par Dostoïevski, tous parlent de cette nature humaine changeante, du mystère, du miracle et de l’autorité qui nous invitent à trouver le bonheur malgré nous.

On s’attend à ce que les conformistes montrent leur révolte et que les partisans du « tout sauf ceci ou cela » classifient ce livre de subversif.

Tant mieux, dira-t-on, tout en sachant que subversif est justement, selon le dictionnaire, ce qui est susceptible de bouleverser. Une révolution, un sursaut contre « l’esprit totalitaire », comme le définit Guillaume Basquin !

N’en déplaise encore à tous les sceptiques, depuis toujours, les écrivains qui luttèrent jadis contre l’ordre établi furent considérés comme des transgressifs.

Heureusement, d’ailleurs.

Albert Londres, je l’ai déjà écrit dans un article précédent, disait que le journalisme et donc la littérature est censée « porter la plume dans la plaie » dont souffre notre monde.

Tweet n° 1 est une plaidoirie pour le droit et le devoir de tout artiste de faire entendre la voix de sa révolte contre l’ordre établi, contre « le temps des discours sans auteur, des mouvements de masse, des mots parasités par d’autres mots, brisés, semblable à des musiques qui se font et se défont, s’opposent et s’unissent en même temps ». 

« le tweet – nous dit Guillaume Basquin – est la continuation de la guerre par d’autres moyens & mon teXte accueille tous les mots en X bizarres comme par eXemple Xénarque qui était le commandant d’une Xénagie soit d’une phalange de mercenaires étrangers dans l’antiquité grecque ».

Avouons que l’idée de l’Écrivain-Xénarque mérite bien le prix d’une suggestivité bien provocatrice, à la tête d’une phalange qui cultive le maniement des mots et ose lancer un défi à la bienpensance. 

L’auteur répond avec majesté : « mon idée  c’est d’être un champignon une fleur dans le soulèvement ou plutôt le massage des sols tournant & pas seulement une fleur mais cent fleurs cent mille que cent milliards de fleurs s’épanouissent ! » 

Reste juste à savourer ce texte qui intrigue sans bousculer, interroge sans dédire et surprend par son incroyable habileté. 

Tout est ainsi dit ! Il est temps de découvrir cette féerie littéraire excentrique ! 

Dan Burcea ©

Guillaume Basquin, Tweet n° 1, Editions Timbad 11 mars 2025), 116 pages.

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