Anaïs Maquiné Denecker est journaliste et écrivaine. Elle vit actuellement à Los Angeles et travaille comme consultante en Développement de Programmes Audiovisuels. Elle vient de publier Jennifer Aniston, L’impossible bonheur aux Éditions Hachette pratique, une biographie très documentée qui scrute les secrets de l’incroyable ascension de la célèbre actrice américaine Jennifer Aniston, la légendaire Rachel de la série Friends. Derrière les feux de la rampe du grand et petit écran qui ont fait sa popularité se cache une femme au cœur immense et une sensibilité à fleur de peau, des trésors d’humanité qui ont pu l’aider à surmonter tant de preuves.
Dans la matinée du 26 février 2009, vous avez eu l’occasion d’interviewer Jennifer Aniston venue à Paris faire la promotion du film Marley et moi. Vous étiez à l’époque rédactrice en chef de 10h le Mag sur TF1. Vous écrivez dès le début de votre livre que votre intérêt pour la star américaine « vient de ce moment-là ». Que s’est-il passé pour que cette première impression que l’on sait si déterminante dans une rencontre, s’imprègne si fortement dans votre mémoire ?
C’est sans doute parce qu’au-delà de mon métier de journaliste qui justifiait cette rencontre, j’étais aussi une fan inconditionnelle de la série Friends. Comme pour beaucoup de personnes de ma génération, pendant 10 ans, Jennifer Aniston et ses colocataires sont entrés dans mon salon, à travers l’écran de télévision. Rencontrer Rachel Green (son personnage dans Friends), c’était un peu, comme retrouver une copine qu’on n’a pas vue depuis longtemps. Mais, ce jour-là, le cameraman a eu un problème technique et le temps de le régler j’ai eu un long moment privilégié avec Jennifer Aniston. Ce qui n’aurait dû être qu’une interview professionnelle, s’est transformée en un moment d’intimité inattendu. Nous avons parlé des hommes, des enfants et de nos chiens. Jennifer avait beau être une star internationale, avoir épousé Brad Pitt, le sex-symbol d’Hollywood et être richissime, elle s’est montrée sensible à ce que je lui racontais. J’ai découvert une personne très différente de celle que l’on décrivait alors dans les médias. À l’époque, alors que la presse la décrivait comme une carriériste pas pressée d’avoir des enfants, elle sortait, en réalité, d’un éprouvant parcours de FIV mais ne l’avait jamais évoqué dans la presse. Moi, j’étais jeune maman et cela nous a rapprochées. J’ai alors eu envie de rétablir certaines vérités et de m’intéresser à l’histoire de cette femme si attachante. J’ai mené une enquête, de plus de 15 ans, rencontré ses proches pour raconter son parcours ; celui d’une femme à laquelle la vie n’a pas toujours fait de cadeau mais qui fait preuve d’une force et d’une résilience incroyable.
Les media évoquent aussi de sa fragilité. Pourtant, Jennifer Aniston n’hésitera pas à se définir comme « une dure à cuire ». Comment expliquer cette capacité de « tirer du positif de toutes les épreuves de la vie » et ce courage de « prendre des risques, ou plutôt (de) saisir sa chance », comme vous l’écrivez ?
Vous avez tout à fait raison. L’une des premières amies de Jennifer Aniston que j’ai interviewée pour ce livre m’a confiée : « Ne vous apitoyez pas sur son sort. Jennifer détesterait cela ! Elle n’a pas choisi d’être seule, mais elle le vit plutôt bien. Je dirais même qu’elle en a besoin. » En réalité́, ses amies sont sa famille… Elle a les même depuis 30 ans. Cette bande de filles qu’elle appelle tour à tour les filles des collines ou le cercle Woo Woo est son Roc. Ce qui n’était, à l’origine, qu’une une sorte de communauté New Age est devenue une véritable sororité. Elles ont d’ailleurs toutes très bien réussi dans la vie. C’est dans ce groupe qu’elle puise sa force. D’ailleurs, l’une de ses meilleures amies du groupe, Kristin Hahn est devenue sa partenaire de business. Ensemble, elles produisent la série Le Morning Show. Jennifer est un peu la matriarche de cette famille de cœur.
Jennifer Aniston était une « enfant à part », « la reine de l’imaginaire », une petite fille « totalement coupée de la réalité » comme l’écrit Johnny, son frère que vous citez. Peut-on donner raison à ce portrait ?
Oui. Petite, Jennifer était une enfant assez introvertie qui s’était inventée des amis imaginaires : les Little People. Elle les promenait partout dans la maison et leur avait inventé toute une vie. Elle était très créative mais cela avait tendance à inquiéter les amis de ses parents qui la trouvaient un peu spéciale. Plus tard, elle a rencontré de très grosses difficultés à s’adapter au milieu scolaire. Elle ne comprendra pourquoi qu’à l’âge de 20 ans lorsqu’un médecin lui apprend qu’elle souffre en fait de dyslexie et de problèmes de vue qui l’empêchaient de s’exprimer et de communiquer comme elle le voulait.
Il y aura ensuite sa peur de l’abandon qui la poursuivra toute sa vie, aujourd’hui encore. D’où vient cette peur ? Est-ce que le divorce de ses parents y est pour quelque chose ?
Elle n’a pas eu une enfance facile. Son père acteur et sa mère mannequin vivaient de maigres cachets. Ils avaient du mal à joindre les deux bouts. Tous deux étaient assez critiques à l’égard de Jennifer. Lorsque ses parents ont divorcé, Jennifer a été à la fois la planche de salut et le punchingball de sa maman qui a sombré dans la dépression. Une de ses amies m’a confié qu’elle manquait de confiance en elle et avait tendance à friendzoner ses partenaires de peur d’être quittée comme son père a quitté sa mère.
Sa révolte d’adolescence sera marquée par la relation compliquée avec sa mère. C’est une mésentente qui durera pendant de longues années. Pourriez-vous nous parler de ces rapports familiaux compliquées la concernant ?
Nancy, la mère de Jennifer Aniston s’est autoproclamée impresario de son mari, John Aniston, puis de sa fille Jennifer. Elle a pris la liberté de se confier à la presse et dans un livre quand sa fille est devenue célèbre, ce qui a ruiné leurs relations. Elles sont restées fâchées plus de 10 ans. Nancy avait elle-même une histoire familiale compliquée. Elle a été élevée par son père après que sa maman l’ait abandonnée, elle n’avait sans doute pas les codes pour être une bonne mère. À la toute fin de sa vie, Jennifer a été présente à ses côtés pour faire face aux deux AVC dont elle a été victime. Elles étaient en paix quand elle est décédée en 2016.
Dès son plus jeune âge, Jennifer Aniston a su qu’elle voulait devenir actrice. Son long chemin dans sa carrière donnera raison à cette intuition. Comment a-t-elle vécu ses premiers pas dans ce métier jusqu’à la consécration à travers son rôle dans Friends ?
La télévision n’a jamais fait rêver Jennifer puisque son père y travaillait. Elle voulait devenir tragédienne et faire carrière au théâtre à Broadway, comme son tout premier amour, le comédien Daniel McDonald, qu’elle admirait. Elle a étudié à La Guardia School of Performing Art, l’école artistique rendue célèbre grâce à la série Fame. Mais, c’est finalement à la télévision qu’elle a rencontré le succès. Au moment d’auditionner pour Friends, elle était déjà sous contrat avec CBS pour une autre série « Muddling Through » et elle a bien failli ne jamais incarner Rachel Green.
À quoi est dû son succès dans l’aventure de Friends ?
Friends est devenue une série culte parce que tout le monde peut s’identifier à ses personnages : les jeunes, qui veulent quitter le nid, rêve de vivre en colocation avec des amis, les jeunes adultes s’identifient à leurs questionnements, sur l’amour, la carrière, la société et les plus âgés sont nostalgiques de cette période où ils démarraient leur vie et partageait de grandes amitiés. Pour parler de Jennifer Anniston, plus spécifiquement, elle est devenue une véritable icône de mode. Chris, son coiffeur et meilleur ami, m’a raconté avoir créé par accident la célèbre « Rachel Cut » une coupe de cheveux qui a accru la popularité de Jennifer Aniston à travers le monde. À chaque saison de Friends, Jennifer lançait une nouvelle mode. Elle a ensuite épousé le sex-symbol d’Hollywood, Brad Pitt ce qui l’a mise, encore plus que ses co-stars, sous les feux des projecteurs.
Et d’ailleurs Friends, on peut le dire avec assurance, ce n’est pas seulement une incroyable aventure télévisuelle, mais aussi une très, très grande péripétie humaine. Quelle est cette relation unique qui s’installe définitivement entre les protagonistes de cette série ?
Jennifer a pour coutume de dire que le succès de Friends est, je cite, arrivé à la vitesse d’un bombardier et qu’ils se sont tous pris la vague de popularité de plein fouet. Les six acteurs ne s’attendaient pas à un tel bouleversement dans leur vie. Alors, dès le début, ils se sont serrés les coudes, protégés les uns les autres. Quand Jennifer Aniston s’est vu offrir une augmentation de salaire parce qu’elle était particulièrement sollicitée par les marques, comme L’Oréal, elle a dit « d’accord, mais dans ce cas vous nous augmentez tous ! » À la fin de la série, ils gagnaient chacun 1 million de dollars par épisode. Jennifer a toujours été le ciment du groupe. C’est elle qui a découvert les addictions de Matthew Perry et l’a convaincu d’entrer en cure de désintoxication. Avec sa grande amie Courtney Cox (Monica dans Friends), elle a partagé les difficultés liées à l’infertilité. Les six Friends sont comme une famille. La mort de Matthew Perry les a anéantis.
Il est temps de parler à cette étape de notre discussion de Jennifer Aniston en tant que femme. C’est sûrement le sujet qui a fait couler le plus d’encre dans la presse. Voilà pourquoi je vous propose que l’on aborde ce sujet avec la retenue que mérite un tel sujet.
Le premier aspect est celui du manque cruel de confiance en elle. Vous écrivez (p.57) : « La réalité, c’est surtout que Jennifer a beau être une star internationale, elle reste la petite fille de divorcés qui manque cruellement de confiance en elle […] ». À tel point qu’elle ne se trouve pas belle. Comment comprendre cette peur atavique qui la tourmente ?
Sa maman était mannequin et d’une beauté insolente. Jeune, Jennifer était un peu boulotte et à l’adolescence elle s’est cachée derrière des looks improbables, elle a même eu une période gothique. Elle a toujours eu l’impression de ne pas être assez belle. Sa maman lui disait qu’elle avait un gros nez et des yeux trop rapprochés. Elle s’est fait refaire le nez, au tout début de sa carrière, pour y remédier. Un jour, son père lui a dit qu’elle ressemblait à une table basse parce qu’elle avait pris un peu de poids. Depuis, elle fait très attention à son apparence, c’est une grande sportive, elle est dans l’hyper contrôle.
Un deuxième aspect est son désir de fonder une famille « de traverser ces hauts et ces bas avec la même personne », comme elle l’avouera en 2006 dans Vanity Fair. Les années les plus heureuses sont celles passées avec Brad Pitt et en secondes noces avec Justin Theroux. Quel est ce besoin de bonheur familial et comment s’explique en même temps l’inévitable rupture qui attend ces périodes dans sa vie ?
Je ne dirais pas que ce sont les années les plus heureuses de sa vie, car ce n’est pas en couple que Jennifer s’épanouie le plus. C’est une vraie solitaire et elle l’assume. Elle a énormément souffert du divorce de ses parents et a du mal à croire que l’amour peut être éternel. Jennifer vit souvent des amitiés amoureuses et quand elle sent que l’histoire est vouée à l’échec, elle préfère conserver le sentiment amical au détriment du sentiment amoureux. Elle a l’art de rester amie avec tous ses ex.
Son désir d’enfant est un sujet délicat. C’est cela l’impossible bonheur qui donne le sous-titre de votre ouvrage ?
Aujourd’hui, après deux longs parcours de FIV, Jennifer Aniston s’est résignée à ne pas avoir d’enfant. Si la nature l’a privée de la maternité, elle l’a pourtant longtemps désirée. Toutefois, elle n’aime pas que l’on réduise les femmes à leur rôle de mère. Ces amis disent souvent que Jennifer n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort. Même si elle rêvait au départ d’une vie de famille, elle parvient toutefois à s’épanouie pleinement dans sa carrière et dans son groupe d’amis.
Enfin, ne restons pas sur une note de désespoir concernant l’immense artiste et la femme de cœur qu’est Jennifer Aniston. « J’ai l’impression d’avoir traversé une période difficile et de revenir à la lumière », dit-elle. Ne devrions-nous, au contraire du sensationnel recherché par les media people, lui accorder ce qu’elle mérite amplement, la noble image d’une femme contemporaine à notre époque « tellement difficile en ce moment », telle qu’elle la décrit, avec en prime sa capacité d’exprimer au plus haut degré nos joies et nos peurs, nos espoirs et nos besoins des autres ?
Je pense que ce qui caractérise Jennifer Aniston, c’est qu’au-delà d’être une immense star, c’est une femme vraie. Comme chacun d’entre nous, sa vie a été jalonnée d’épreuves, dont nous avons été témoin par presse interposée. Et, pourtant, elle est toujours restée très digne. Elle s’est relevée de chaque rupture amoureuse qui faisait les choux gras de la presse people. Elle a prouvé qu’elle était capable de se faire un nom au cinéma. Quand passé l’âge de 50 ans, les propositions de rôles se sont raréfiées, elle a produit la série The Morning Show pour s’offrir celui dont elle rêvait. C’est une femme pleine de ressources, au parcours exemplaire.
Propos recueillis par Dan Burcea
Anaïs Maquiné Denecker, Jennifer Aniston, L’impossible bonheur, Éditions Hachette pratique, 2024, 320 pages.
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