Ilhem Brini – Fleurir de Wafa Ghorbel : un roman qui chante et qui danse

 

Fleurir de Wafa Ghorbel paru aux Éditions Kalima est un livre qui chante, qui danse, on dira même qui galope « Como un caballo sin freno ».

Plus qu’un livre, il est une tierce musicale, une valse à trois temps ou plutôt « un zapateado à trois temps », cette danse espagnole faisant partie du répertoire du flamenco, exécutée sans accompagnement musical, dans laquelle le danseur ou la danseuse frappe le sol en rythme avec la pointe et le talon de ses chaussures… Un passé lourd, un présent tumultueux et un futur serein mais ouvert à toutes les possibilités… Une phrase pourrait à elle seule constituer l’essence du livre « l’amour maladroit est souvent plus dangereux que la haine ».

Fleurir captive par la musicalité des mots, les rimes et le sarcasme fin et charmant de l’écrivaine qui a utilisé souvent des adjectifs successifs doublant d’intensité pour décrire la « descente aux enfers…effrénée ! Effrayante ! » de son personnage principal. Le texte est aussi riche en sonorités qui détonnent : « Noces de l’urgence. Noces de la répugnance. Noces de la pénitence » comme pour marquer la fulgurance de l’abîme. Le contraste « Je le laisse faire. Je le laisse me défaire » est aussi présent tant dans le style que dans les couleurs et les images propres et figurées ; le jasmin contre le viol (ou la « violette »), l’émancipation contre le patriarcat, l’innocence contre le vice, les attentes contre la réalité crue et cruelle.

La richesse de style, les dualités, les oppositions, ne sont que l’écume provoquée par des tumultes plus profonds qui l’aspirent au plus profond des « abysses » tel un navire est aspirée dans les mystérieuses vagues fougueuses des Bermudes… du triangle des Bermudes. Les fins de phrases/paragraphes avec une succession en tiercé galopant de trois verbes/noms/adjectifs variant tonus et musicalité, portant le sens en crescendo ou se battant pour nous percuter avec l’intensité de l’image, du sentiment, du ressenti. Dès qu’il y a cette prise de conscience, les trois temps raisonnent comme des sons de cloche au fil de la lecture.

C’était pourtant lisible dès la très esthétique couverture annonçant la couleur, les trois couleurs : Le noir de l’obscurité, le blanc de l’espoir et le bleu de la mer, qui dépasse l’espace et frôle le statut de personnage confident et sauveur tel que l’affirme Yasmine dans son journal : « L’eau est ma délivrance. Ni viol ni violence, ni divorce ni alliance, ni parents ni descendance, ni société ni malveillance… »  

Les trois polices pour distinguer à chaque fois le narrateur dont le journal manuscrit de Yasmine Ellil, jasmin de la nuit en quête de floraison. Ne dit-on pas que le secret de la vie est dans le chiffre 3 en référence aux trois matières ? Trois espaces, trois pays, trois histoires, trois langues, trois personnages et une seule voie…Une révolte salvatrice à travers l’art, la résilience et l’amour. Sortir du triangle de l’enfer, la recherche d’un « re-père » se fait ainsi à trois, encore une fois, laissant loin derrière « ce cœur brisé…ce corps malmené, ce corps saccagé, ce corps ravagé… ».

De A à Y, entre Adam, Yassine et Yasmine, il y a tous les angles à reconstituer, un triangle, une trinité, un trio pour une éternité.

Porte-parole de ces multiples facettes enfermées secrètement dans une narration, redisons-le, haletante, Wafa Ghorbel prouve encore une fois son talent et sa capacité à ressortir du profond des cœurs ses battements multiples et ses nombreux secrets.

Ilhem Brini

Crédits photos : Maya Jarraya  pour la photo de Fleurir) et Saif Boulifa pour la photo de Wafa Ghorbel.

Wafa Ghorbel, Kalima Éditions, 2023, 416 pages. 

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