
En 2014, l’atelier d’c situé à Breaza de Jos en Roumanie, débutait son activité avec trois modèles de blouses roumaines pour arriver aujourd’hui à proposer à ses clients une large gamme de produits artisanaux d’une rare beauté. Nous nous entretenons avec la créatrice de ces modèles et la patronne de cet atelier pour connaître l’histoire de cette merveilleuse aventure.
Bonjour Madame Mănescu, nous sommes très heureux de pouvoir entrer en contact avec vous et d’apprendre l’histoire de l’extraordinaire succès de votre atelier. Pourriez-vous nous dire en quelques mots qui vous êtes et d’où vient votre passion pour les costumes folkloriques ?
Bonjour Monsieur Burcea, merci de l’attention que vous portez à mon travail et à l’atelier Ii Breaza. Je m’appelle Anda Mănescu, je suis originaire de la ville de Breaza, département de Prahova, où, par hasard, se trouvait autrefois le plus grand centre de broderie d’Europe. Nos arrière-grands-mères aux mains d’or vivaient dans cette petite ville, où elles cousaient pour de grandes personnalités du monde comme, par exemple, Brigitte Bardot, et travaillaient les broderies les plus fines pour les grandes maisons de couture de l’époque. Sur les grandes scènes parisiennes, les bijoux de Breaza étaient mis en valeur comme de véritables œuvres d’art.
Comment cette passion est-elle née en moi ? Je suis probablement née avec, cela fait partie de l’ADN local. Toute petite, j’ai appris à coudre à la main avec ma grand-mère, j’ai appris les noms des symboles et leurs significations, j’ai grandi avec les incantations dans le monde magique donné par ces merveilles transmises de génération en génération. Presque toutes les femmes autour de moi faisaient de la couture, c’était un véritable enchantement donné par la finesse du tissu en voile de coton, que seul Breaza possède, et la brillance du fil de soie avec lequel il était cousu. Pratiquement, ce patrimoine culturel de la région était reconnu au monde entier.
Quant à moi, ma passion, outre la broderie, était la haute couture. Je n’avais pas grandi dans une famille passionnée par la haute couture, mais je voulais étudier le stylisme à l’université. Malheureusement, je n’ai pas eu cette possibilité : j’ai obtenu un diplôme de l’Académie d’études économiques et j’ai suivi des cours privés de stylisme, afin de pouvoir créer et remodeler l’art traditionnel et l’adapter à la mode d’aujourd’hui.
Depuis combien de temps avez-vous ouvert votre atelier ? Combien de personnes y travaillent actuellement ?
Cette année, nous avons fêté nos dix ans d’activité, dix ans qui ont passé tellement vite et au cours desquels nous nous sommes agrandi, contribué à inscrire les blouses roumaines sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO et les avons fait connaître dans le monde entier. L’année dernière, en décembre 2023, nous avons été invitées en Chine pour le Festival international des arts de Quanzhou, et dans le musée qui s’y trouve, tous les visiteurs on pu admirer notre magnifique blouse de Breaza.
Notre atelier et notre magasin se trouvent en effet sur la route entre Bucarest et Brasov, dans la petite ville pittoresque de Breaza, mais nous avons également une boutique en ligne très bien organisée, de sorte que n’importe qui, dans n’importe quel coin du monde, peut acheter et profiter de nos produits. L’adresse web de notre site est : www.iibreaza.ro
D’où proviennent les modèles que vous fabriquez ? Rappelons que tout est fait à la main.
Notre spécialité, ce sont les blouses de la région de Breaza, que nous avons étudiées et travaillées avec beaucoup d’art. Je dois préciser que chaque région de Roumanie a ses propres particularités en matière de costumes folkloriques.
J’ai hérité des motifs de ma grand-mère, que j’ai commencés sur des pièces de tissu. Je les ai conservés dans l’espoir qu’ils se retrouvent un jour dans un musée. (Je reviendrai avec des photos) En effet, tout est fait à la main, à commencer par les ourlets, la broderie, le boutonnage de la blouse et le pli unique de l’encolure qui permet à la blouse d’être portée à la fois serrée à la base du cou et décolletée et de posséder une beauté unique dans l’une ou l’autre de ces poses. Sur ces blouses, nous n’avons rien modifié, nous avons conservé tous les détails que nous avions hérités. Pour de nombreux modèles, nous avons également conservé les poids d’origine datant du 19e siècle.
Nous nous sommes également spécialisés dans la remise à neuf de modèles anciens afin de préserver notre patrimoine. En effet, chaque fil brodé raconte une histoire et nous voulons que cette histoire perdure. Ainsi, nous rendons des pièces anciennes, dont certaines ont plus de 100 ans, prêtes à être portées aussi longtemps que possible.
Ces deux dernières années, nous avons également équipé l’atelier de machines à broder industrielles de qualité, avec lesquelles nous travaillons des vêtements inspirés de la tradition. Si pour les vêtements brodés à la main, nous suivons les anciens motifs, nous jouons avec les motifs et réinterprétons la tradition, ce qui nous permet de créer des vêtements de qualité.
Vous connaissez bien sûr le prestige dont jouissent en France les fameuses blouses roumaines, qui figurent dans les tableaux de Matisse, l’ami du peintre roumain Georges Paladi. Pensez-vous que ce costume populaire mérite aujourd’hui d’être considéré comme une marque majeure de la spécificité roumaine ?
Certainement. La blouse roumaine est avant tout un héritage culturel et spirituel. On peut y déchiffrer l’histoire. Comme j’aime à le rappeler, l’histoire s’écrit à l’aiguille sur la toile. Tout ce que je regrette, c’est qu’ils soient sous-estimés, qu’aucune de nos institutions officielles ne soient chargée à les protéger. En plus, nous sommes dans la situation où le marché roumain est inondé de millions de répliques fabriquées en Inde. Nos petits ateliers qui perpétuons cet art, sommes obligés de nous débrouiller seuls face à cette invasion et à ce piétinement de notre histoire.
Normalement, ces blouses devrait être placées sur un socle et notre travail hautement apprécié.
Il ne faut pas nier le caractère contemporain des créations proposées par votre atelier, leur capacité à s’adapter aux tendances de la mode d’aujourd’hui. Tenez-vous compte de ces critères ? Influencent-ils la conception de vos modèles, étant donné que de nombreux commentaires que vous recevez font état d’une synthèse très réussie entre « tradition et modernité » ?
J’ai réussi à intégrer nos blouses dans des tenues modernes. Je les ai fait aimer par des jeunes en l’adaptant aux jeans. Aujourd’hui, en Roumanie, il y a, comme j’aime à l’appeler, la génération des blouses roumaines et des jeans. Cet ensemble, intégré dans des tenues de tous les jours, garde ses lettres de noblesse.
J’aime aussi les inclure dans les défilés de mode auxquels je participe, pour montrer leur polyvalence et la valeur qu’elles donne à chaque tenue vestimentaire. C’est le genre de blouse qui vous sort à tout moment du problème « que dois-je mettre aujourd’hui ». Une blouse, une jupe noire et vous avez la tenue parfaite.
Quels matériaux utilisez-vous ? Où vous approvisionnez-vous ? Existe-t-il aujourd’hui un artisanat roumain capable de soutenir une initiative telle que celle que vous proposez ?
En 2014, lorsque j’ai ouvert la boutique et l’atelier, j’ai été confrontée au problème du manque du voile de coton, qui n’était plus disponible et, ne plus, ceui qui était sur le marché était de mauvaise qualité. Il ne s’agit pas d’un tissu ordinaire. Pour pouvoir coudre dessus, il faut que les points avant soient égales aux points arrière, car en broderie à la main, on compte les fils du tissu à chaque coup d’aiguille. C’est la seule façon d’obtenir un motif équilibré et symétrique. Pour obtenir une qualité optimale, j’ai donc trouvé un vieil échantillon de ce voile de coton et j’ai demandé à un tisserand près de Sibiu de le reproduire pour nous. Ils ont vraiment réussi et notre collaboration est fructueuse.
L’artisanat roumain semble avoir repris son élan ces dernières années, après de nombreuses années de déclin. Nous sommes plusieurs à travailler dans ce sens et nous semblons être sur la bonne voie. Tout ce que nous voulons, c’est que notre pays ne perde pas ses vraies valeurs, qu’il n’oublie pas ses racines.
Quels sont vos liens avec le marché extérieur ? Comment souhaitez-vous vous affirmer dans ce créneau commercial ?
Je n’ai pas réussi à établir beaucoup de contacts sur le marché étranger. J’aimerais pourvoir y arriver. J’aimerais collaborer avec des magasins étrangers afin de pouvoir faire valoir nos produits à plus grande échelle. De même, les maisons de couture actuelles qui utilisent nos dessins, ce serait bien de travailler avec nous, et pas seulement de s’inspirer de notre travail sans en préciser la source.
J’ai cru comprendre que vous pouviez répondre à des demandes nationales et internationales. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Grâce à notre boutique en ligne www.iibreaza.ro nous parvenons à vendre dans le monde entier. La plupart des acheteurs sont toujours des expatriés qui ont le mal du pays. J’aimerais également en faire la promotion auprès des étrangers, afin qu’ils puissent, eux aussi, profiter de la qualité et de l’unicité de notre travail.
Si vous deviez choisir un argument (ou plusieurs) pour promouvoir vos produits, quel serait-il ?
La qualité irréprochable, le rapport qualité-prix imbattable, l’énergie qu’ils apportent à celui qui les porte, la beauté et la noblesse que ces vêtements donnent à celui qui les porte, leur caractère unique. Chaque pièce est unique car elle est entièrement fabriquée à la main.
Et une dernière question. Comment voyez-vous l’avenir de l’atelier que vous dirigez, quel est l’argument principal que vous garderez à l’esprit pour l’avenir ?
L’objectif principal est de réussir à transmettre cet art aux jeunes générations. Pour cela, nous organisons des ateliers gratuits, ainsi que des conférences où nous racontons l’histoire de ce vêtement unique.
L’un des principaux objectifs à court terme est d’augmenter le nombre de clients afin de faire connaître notre art au plus grand nombre.
Propos recueillis et traduits d roumain par Dan Burcea©
Les photos qui illustrent cet article ont été mises à notre disposition grâce à l’aimable soutien de madame Anda Mănescu