Laurent Bénégui – Sa guerre : le combat d’une mère pour sauver sa fille de l’enfer djihadiste

 

 

Au milieu des battements tragiques de l’Histoire, lorsque l’humanité trébuche et glisse vers le gouffre du désespoir, seule la littérature est capable de rendre compte de cette négation de sa noble substance et de la menace de sa défaite.

Avec Sa guerre, Laurent Bénégui nous fait monter justement dans ce train qui sillonne les soubresauts de l’histoire contemporaine dans ce que celle-ci a de plus brutal et de plus barbare, de plus mortifère aussi. Un voyage à la lisière de la mort, une traversée effrayée et effrayante d’une mère qui, confrontée à la fugue de sa fille sous l’emprise d’un terroriste notoire, perd pied, se redresse et se bat pour la sauver, dans le cœur même de l’enfer djihadiste. Elle s’appelle Hélène Dompierre, elle est cardiologue de renommée internationale et se retrouve, à son retour d’un congrès aux USA, devant l’évidence de la disparition de sa fille, Manon. Après plusieurs tentatives de retrouver ses traces, en faisant appel aux autorités françaises compétentes, elle décide d’aller sur place, sur le front en Syrie. Elle y retournera une seconde fois, malgré les risques encourus.

Le récit emprunte le rythme haletant du reportage de guerre avec tout ce qu’il suppose de présence sur le terrain, de courage face aux défis et aux multiples dangers, tout en comptant sur le courage de cette mère et sur le hasard des rencontres bienveillantes. Laurent Bénégui fait appel à une documentation rigoureuse qui accompagne le déroulement des faits et offre force, crédibilité et dramatisme à son roman, preuves indéniables d’une volonté de mettre en avant l’ampleur de ces situations tragiques. Les périples d’Hélène Dompierre dans la proximité des zones de combat donnent à voir la complexité des conflits qui engagent le régime syrien moribond de Bachar, les forces de l’État islamique, à bout de souffle lui-aussi, les Russes et les Occidentaux, les Turcs et les Kurdes. Calculs diplomatiques et intérêts géopolitiques croisés ouvre en grand la voie des conséquences macabres sur les populations décimées ou forcées de prendre le chemin de l’exil, entassées finalement dans des camps de réfugiés.

À ce chapitre tumultueux, le roman ajoute un volet introspectif qui met en lumière la complexité psychologique que provoque sur ses personnages cette tragique expérience humaine de la guerre et de la radicalisation, conséquence ultime et quasi irrécupérable qui s’ajoute à la cruauté des combats, à la mort des innocents, à ’effondrement des consciences et au crépuscule des âmes.

Une fois ouverte, cette porte intime conduira vers le territoire complexe du cœur maternel d’Hélène Dompierre qui vit à la fois une brutale remise en question de son devoir de mère et une terrible nécessité de sauver sa fille de la radicalisation islamiste et de l’arracher des griffes de son ravisseur. En confiant le rôle de narratrice à cette mère, Laurent Bénégui sait qu’elle sera capable d’exprimer à la fois toute l’intensité de cette tragédie intérieure et la ténacité de mener à bout ce que l’on pourrait nommer sa mission salvatrice. Des circonstances favorables et des rencontres inattendues vont l’aider à retrouver la trace de Manon, sa fille, dont elle apprendra stupéfaite le parcours et le sort subi dans la longue pérégrination. Entre doute et stupeur, entre révolte et remords, Hélène Dompierre trébuchera, connaîtra l’alcoolisme, mais arrivera à se relever, à mener à bien sa mission de mère grâce au devoir le plus puissant qui l’anime, celui de faire plier le passer et démentir le cours fatal d’un présent catastrophique. L’Occidentale et le médecin qu’elle est, mais surtout, redisons-le, sa condition de mère, ne peut accepter ni cette fatalité ni la négation des droits humains les plus élémentaires. Elle croisera sur sa route des femmes et des hommes qui comprendront son combat, chacun avec ses motivations, ses interrogations et ses blessures. Parmi eux, des familles syriennes, des femmes kurdes, des agents secrets français et tant d’autres.

Va-t-elle réussir, à quel prix et avec quelles conséquences ?

Le suspense est gardé jusqu’au bout, avec l’art d’un vrai polar qui offrira enfin la clé de cette intrigue complexe et si bien menée.

On laissera aux lecteurs la surprise et le plaisir de la découvrir.

Remarquons la force des personnages et l’acuité du discours littéraire, sa précision et sa complexe documentation, l’humanité qui traverse cette histoire qui nous concerne tous, tellement elle peut se répéter n’importe quand et à n’importe qui d’entre nous.

En écrivant Sa guerre, Laurent Bénégui a voulu donner la parole à la lignée la plus sensible que notre humanité incarne dans la figure symbolique de la mère, don et maintien de la vie. Il signe un livre percutant, tragique par son actualité et émouvant par la réponse que donnent ses personnages qui refusent la mort et s’accrochent de toutes leur force à la flamme de la vie.

Un grand roman et une ode à l’humanité renouvelée si nécessaire de nos jours.

Dan  Burcea

Laurent Bénégui, Sa guerre, Éditions Mialet-Barrault, 2025, 288 pages.

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