Michael Uras, Des moutons plein ma chambre : écrire l’innocence

 

Des moutons plein ma chambre de Michael Uras aurait pu s’appeler Un hiver à Florence, comme nous l’apprenons à la fin de ce magnifique roman qui mérite bien des éloges grâce à ces nombreuses qualités dont la plus saisissante est la sensibilité savamment dosée qui l’imprègne. Sauf que lui donner ce second titre aurait sans doute réduit l’angle que l’auteur voulait donner à la vision qu’il comptait utiliser pour construire l’histoire de Marco, « un jeune garçon très drôle, très courageux, très malade aussi ».

Michael Uras assume le pari d’un tel récit et contourne avec brio le piège de la mièvrerie qui guette, hélas, nombre de productions de ce genre dans le paysage littéraire contemporain. L’histoire que raconte son roman réfute toute compassion d’atmosphère et garde entière l’humanité qui entoure son personnage. Vu dans cette perspective, Des moutons plein ma chambre est un roman d’apprentissage, un double récit initiatique à la fois vers l’âge adulte et un contre-pied à la souffrance et même à la mort.

L’image proposée par le titre renvoie à la célèbre stratégie censée conduire tout insomniaque dans les bras de Morphée. Mais elle est plus que cela. Au-delà de cet exercice imaginaire, elle ouvre sur le monde de Marco l’ombre d’une angoisse qui empêche ses rêves de se déployer et qui en appellent à l’amour maternel réparateur.

La famille de Marco a tout ou presque pour devenir, selon lui, une famille à part : la mère, qui, par le simple geste de poser sa main sur la joue de l’enfant, sait « rompre la distance » qui les sépare, le père, « l’homme au moral d’acier », le frère « tellement maigre qu’on a l’impression que ses épaules ont été oubliées au montage ». 

Les hypostases nombreuses de leur quotidien finiront par crayonner le caractère de chacun, leur rôle dans une existence que l’on pourrait nommer commune, si on se contentait à ces quelques traits.

Michael Uras sait qu’une telle histoire demande plus qu’à être racontée, elle doit être scrutée à la loupe qui rendra visibles ses fragilités et son humanité. Il fera sauter les verrous de l’insignifiance et pénétrera avec une délicate attention à l’intérieur du cœur de Marco.

Dans ce sens, son roman s’anoblit en touchant du doigt l’intime d’un garçon de 12 ans traversé par les interrogations de son âge et du monde qui l’entoure et qui se déploie devant lui : un monde où la naïveté rime avec l’innocence, où l’imaginaire donne des ailes aux fantasmes. Ainsi apparaîtrons le cousin Axel et tante Adélaïde, Élise, l’amoureuse hypothétique de Marco, France, la Finlandaise et son igloo, Sam, Carolina, ses collègues de classe, même un Mike Jagger imaginaire et tant d’autres.

Et puis, il y a le voyage à Florence, et le retour à la source dans l’Italie de la famille de l’auteur, né d’un père sarde et d’une mère française.

Le périple de Marco et des siens est parsemé de toute une série d’aventures racontées avec humour et entrain. L’auteur évite en revanche le piège du tourisme de masse et confirme plutôt la thèse que chacun visite un lieu en emportant son monde intérieur et que la pertinence d’une telle expérience tient plutôt du regard intérieur de chacun. C’est pour Marco l’occasion de nous présenter de manière plus détaillée ceux qui l’accompagnent, leurs préférences, leurs centres d’intérêt, comme on dit aujourd’hui, mais aussi les pièges tendus par la routine dont ils ne peuvent pas s’en délester. Un vrai bonheur ! Ainsi, visites, conversations et réalités des lieux passent par la plume amusée du narrateur qui se régale à la vue de la beauté qui l’entoure et qui lui fait découvrir des lieux et des personnes enchanteurs.

Il y a ensuite l’hôpital.

Réduire son champ narratif à celui d’un tel huis clos demande de la part de Marco, le narrateur, un arrêt sur un monde à part où seule sa candeur avec laquelle il raconte son expérience arrive à sauver l’austérité des lieux. Cette fois, l’expérience initiatique de Marco se hisse à la hauteur d’une réelle démarche ontologique, d’un apprentissage de ce qui est la vie et la mort, choses qui mettent à l’épreuve son être fragile et, encore une fois, que seul l’amour maternel peut soulager.

Cela nous amène à réfléchir à la manière dont Michael Uras traite de point de vue littéraire le thème de la souffrance et de la mort. Surtout qu’il s’agit dans ce roman de la souffrance enfantine, celle qui s’alourdit par l’idée de l’atteinte à l’innocence.

Des moutons plein ma chambre est un exemple très réussi de ce que nous pourrions appeler l’écriture à hauteur de l’enfance, exercice d’autant plus difficile lorsqu’il s’aventure sur la crête sensible entre la fragilité de l’être et la compassion qu’elle réclame avec pudeur. Marco, ce petit bonhomme, qui se bat avec ses modestes moyens contre une maladie incurable, devient ainsi la figure héroïque de l’Enfant majuscule, de la VIE en grandes lettres.

En proustien avisé, Michael Uras connaît l’enjeu qu’implique ce type de récit, cette vraie jonction du réel et de la mémoire, de la présence protectrice et de son absence, cette permanence du plus petit instant de la vie capable de nier la mort, comme disait André Gide. C’est la raison pour laquelle l’auteur choisit de plonger sa plume dans l’encre de l’imaginaire, de la rêverie qui aident son héros à s’évader de la lourde chape qui pèse sur sa condition.

Le suspense est maintenu jusqu’à la fin. Vous aurez le plaisir de le découvrir.

L’écriture, elle, enchante et captive du début à la fin, comme une mélodie douce sortie d’un instrument très proche de la lyre tombée des mains d’Hermès, son inventeur. 

Penchez l’oreille.

Vous entendrez les arbres pousser.

Regardez à nouveau la ville de Florence, en hiver cette fois-ci : « Les monuments. Les musées. Les fleurs. Le fleuve. Les habitants. Chacun reviendrait avec moi en France. Dernières images de la ville qui couleraient en même temps que le jeune garçon. Il faudrait les attraper au passage et les chevaucher pour ne pas toucher le sol sablonneux ».

Restera l’histoire qui portera, cette fois dans la fiction, ce second titre déjà annoncé, Un hiver à Florence

Dan Burcea©

Crédits photo : Eric Chatelain

Michael Uras, Des moutons plein ma chambre, Éditions La Belle Étoile, 272 pages. 

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