Mihaela Dordea : Le miracle dans les coulisses ou comment faire un spectacle

 

 

 

Motto :

«Le théâtre n’est pas un art, c’est un secret»

(Gustave Flaubert)

                                                                                                          

Le théâtre vit de ses propres valeurs, celles qui, à travers les âges, ont éveillé les consciences et réchauffé les cœurs faisant éternellement lever le rideau sur l’héritage laissé par les grands dramaturges.

Mais pour qu’un texte dramatique devienne un spectacle, un chemin assez compliqué doit être parcouru. Le théâtre est une machine complexe dont tous les rouages sont aussi importants les uns que les autres.

Pour qu’une pièce entre au répertoire, il y a deux possibilités : l’une est que la direction du théâtre propose un texte à un metteur en scène, l’autre est que le metteur en scène fasse une proposition, la justifie et l’étaye de manière qu’elle soit convaincante. L’un des moyens serait que l’un des acteurs, et nous parlons des plus importants, propose un rôle qui lui convienne et que la pièce soit acceptée si elle correspond aux besoins du moment.

Une fois la première étape franchie, le théâtre où la pièce sera jouée – je parle ici du Théâtre National de Bucarest, qui compte plus de quatre salles de spectacles – est mis en place et le financement est ouvert.

C’est alors que commence le véritable travail de création. Pour que la représentation puisse se produire en toute sa splendeur sur la scène, il faut qu’il y ait de manière absolument nécessaire une interactivité émotionnelle entre le metteur en scène et le texte dramatique.

« Les grands répertoires naissent précisément grâce à ces belles rencontres entre un metteur en scène et un texte – dit l’acteur George Motoi (1936-2015), cette fois en tant que metteur en scène. De cette rencontre commence le chemin vers la première. Le metteur en scène est d’une nature particulière. Le texte mobilise ses ressources, sa force créatrice, sa personnalité – continue George Motoi. Il peut valoriser le mot, lui donner vie et même surprendre un peu. Ce sont des secrets du métier qui s’expliquent difficilement. »

Le metteur en scène entame ensuite un sérieux travail de documentation sur l’auteur, sur l’époque, et en tire des conclusions qui reposeront à la base de la conception du spectacle. Il commence à « voir » dans l’espace, l’éclairage, le décor, et maintenant il « aperçoit » la distribution. Fin psychologue, celui-ci choisit les acteurs qui conviennent le mieux au rôle à tous points de vue : physiquement, en termes de traits de caractère, de style, etc.

Dans un spectacle, l’harmonie du couple est très importante. « Lui » et « Elle », deux acteurs ou deux actrices qui doivent communiquer parfaitement l’un avec l’autre. Le dialogue, le ton de la voix, le mouvement sont autant d’éléments dans lesquels ils doivent s’accorder et se compléter. La distribution est extrêmement importante, car, en fin de compte, c’est elle qui illustre le choix du metteur en scène et engage l’image de marque du théâtre dans son ensemble.

Pendant que la distribution est établie, le metteur en scène commence à travailler avec le scénographe. Tous les deux discutent du texte et mettent au point les détails. Un autre grand secret est la maîtrise des proportions par le scénographe et le metteur en scène.

Commence alors le travail de routine dans les ateliers : couture, cordonnerie, menuiserie, charpente, ébénisterie, moulage, peinture, tapisserie, où les produits finis sont réalisés selon les croquis du scénographe. Pour qu’un spectacle prenne vie, une multitude d’accessoires sont mis en branle dans cette mécanique infernale qu’est le théâtre, et des dizaines d’anonymes sont parfaitement intégrés à cette mécanique depuis l’ombre des coulisses, servant les tableaux dramatiques, veillant sur l’ensemble de la production, ayant le spectacle entre leurs mains depuis la première ligne tracée par le scénographe jusqu’au dernier lever de rideau. Le coordinateur technique transmet aux accessoiristes, aux mécaniciens, aux décorateurs et aux autres départements tout ce qu’ils doivent faire, et ils suivent à la lettre le plan de réalisation technique du spectacle.

Cela commence par le marquage de la scène pour chaque élément de décor.

Pendant ce temps, le metteur en scène commence à lire le texte avec les acteurs : « Je pense que la moitié de la représentation est en train de se faire ici », dit George Motoi. C’est lors de ces séances de lecture qu’ils déchiffrent les idées, le sens, la psychologie des personnages, et ce n’est qu’après cela que le mouvement le plus authentique, le plus réel, est établi.

Les répétitions commencent sur scène, d’abord par des marquages à la craie, puis le décor est progressivement apporté et les costumes sont essayés au fur et à mesure qu’ils arrivent des ateliers. « C’est toute une folie que l’on ne peut pas prévoir », m’a dit George Motoi. Mais le metteur en scène doit être cet esprit clair qui relie tout ».

Après tout cela, il commence à avoir une vue d’ensemble de la pièce dans son domaine artistique.

Désormais, les manœuvres techniques peuvent également être établies. Le Théâtre National IL Caragiale de Bucarest est le seul théâtre de Roumanie, voire d’Europe, à disposer de mécanismes scéniques modifiables, notamment cinq trappes qui peuvent être fermées individuellement ou toutes à la fois. Certains décors peuvent entrer dans les coulisses par les deux côtés grâce à des coulissantes. Les mécanismes de scène permettent d’effectuer de nombreuses manœuvres intéressantes, comme le déplacement des grands décors dans différentes positions à l’aide de la table tournante. Les lumières montées sur les rivaltes sont levées et abaissées en fonction du plan ethnique du spectacle, également par les opérateurs qui travaillent au pupitre de commande avec le plus grand soin et le plus grand professionnalisme.

Les mécaniciens itinérants abaissent et soulèvent les décors montés sur la scène : voiles, panneaux, etc.

Les ordres viennent généralement par le directeur technique, mais les techniciens sont très bien formés et savent, à la seconde près, ce qu’ils doivent faire.

Pendant ce temps, les tapissiers de scène reçoivent les matériaux finis des ateliers et, en collaboration avec le scénographe, ils cherchent et trouvent des moyens de poser les tapis, les toiles de fond et les autres éléments qui font partie de leur corps de métier. Ils s’occupent également des nappes, couvertures, oreillers du spectacle.     

Les répétitions techniques se déroulent sans les acteurs, mais ils travaillent de la même manière que pour la représentation.

Une fois la construction artistique et technique de la pièce commencée, les lumières sont fournies en parallèle.

L’éclairagiste discute du texte avec le metteur en scène et le scénographe et, ayant participé à la préparation du spectacle depuis le théâtre, il a déjà une intuition de ce que le metteur en scène pourrait lui demander.

Trois à quatre semaines avant la première, ils travaillent d’arrache-pied, ils répètent, ils font des changements, si nécessaire. Parfois, ils travaillent 36 heures d’affilée, mais les choses fonctionnent très bien avec les metteurs en scène qui savent dès le départ ce qu’ils veulent et ce qu’ils demandent à leurs collaborateurs. Il y a des ombres et des lumières, des effets qui suggèrent certaines ambiances ou situations. L’éclairagiste est celui qui trouve les bons angles et les bons centrages, et quand il y a des problèmes, des petits incidents pendant la représentation, avec sa présence d’esprit, il improvise et sauve le moment.

Le théâtre est une création collective et les accessoires sont l’un des départements dont le champ d’action est le plus large : c’est là que tout commence et c’est là que tout finit.

Après s’être occupés des matériaux nécessaires, les accessoiristes sont chargés de délimiter le plateau et de mettre en place les décors légers, les décors lourds étant mis en place par les machinistes. Les accessoiristes fixent les tapis, ils font aussi les changements de décors entre les tableaux, tels que : tables, chaises, objets divers etc. Au signal ou selon des règles bien établies, ils entrent en scène ou depuis les coulisses, ils s’occupent des effets sonores : un bruit sourd, un bruit, une cloche, une sonnerie de téléphone, une cartouche lorsqu’un personnage sur scène tire avec une arme à feu (dans ces cas, le son et le tir ont lieu en coulisses) et également depuis les coulisses, les accessoiristes fournissent le bruit fait par un tonnerre et d’autres sons de ce type nécessaires dans le contexte. Les accessoires sont également achetés et préparés par les accessoiristes. Les accessoires consommables sont constitués d’eau minérale, de jus, de thé, de fruits et autres préparations culinaires à apporter sur scène fraîches, froides ou chaudes, posées sur des plateaux, etc… Et parce qu’ils sont talentueux, ils apparaissent aussi dans certains spectacles… Ils sont rapides et précis dans leurs mouvements et se débrouillent parfois excellemment dans l’obscurité ou à la lumière des torches.

Mais dans cette terrible machine, la pièce maîtresse reste l’acteur, dont le jeu et le dévouement apportent au public l’histoire, la joie du spectacle, la fête, qui sont le résultat d’un grand effort.

« Et là, la folie commence aussi par l’impact sur le texte – dit George Motoi, cette fois du point de vue de l’acteur. Le rôle doit être ressenti. Je reste longtemps assis à la maison avec le texte devant moi. Je n’aime pas venir au théâtre sans préparation ».

Une fois sur scène, l’acteur doit se préoccuper du mouvement, du dialogue, s’engager dans ce mécanisme complet et complexe, qui ne peut être réalisé qu’avec un texte bien connu.

 La création d’un rôle est difficile et délicate et, en tant qu’acteur, il faut surprendre à chaque fois. Chaque rôle est un type de personnage différent, dans sa nature, dans sa personnalité. L’un est un rôle comique, l’autre un rôle dramatique. L’un est un personnage historique, l’autre un personnage d’actualité. Mais chacun a sa propre complexité.

« Si l’acteur et le metteur en scène se comprennent, il est possible d’atteindre un grand raffinement dans cet art », poursuit George Motoi.

Nous avons maintenant atteint le point où nous avons les décors, les costumes, la musique, les lumières et le mouvement, et maintenant ils peuvent commencer les « répétitions générales », les répétitions qui assemblent chaque scène, chaque scène séparée répétée jusqu’à présent, et les résultats des répétitions sont une nouveauté même pour le metteur en scène qui voit seulement maintenant les fruits de son travail créatif.  S’ensuit une première rencontre avec le public. Une avant-première à laquelle participent amis, collègues, proches en tant qu’invités. De leur réaction dépend la préparation finale, dans les moindres détails, du super spectacle.

Seulement maintenant, après ce premier test, après les dernières retouches, le soir de la première est arrivé.

La première rencontre avec le public est imminente. Ce n’est que maintenant, après ce premier test, après les dernières retouches, que le soir de la première arrive.

Excitation, regards furtifs autour du théâtre, dernières indications et…gong !!! Le spectacle commence !

Au-delà de tout ce que l’on peut voir depuis la salle, se cache un monde différent de tout ce que l’on connaît. Une armée de personnes s’affaire autour des acteurs, ceux qui font le poids sous les feux de la rampe. Habilleuses, maquilleuses, coiffeuses, coiffeurs, équipes techniques, ils courent tous, s’occupent de quelque chose, chacun sait exactement ce qu’il a à faire. Les comédiens, l’oreille collée aux haut-parleurs où l’on entend la voix du directeur technique, sont entre deux entrées sur scène, soit dans les loges, soit en répétition. En coulisses, on change les costumes, on finalise les maquillages, chut ! Silence ! Les haut-parleurs des loges, de la répétition ou des ateliers sont montés au maximum pour que les instructions du directeur technique soient bien entendues. Mais il y a des applaudissements ! C’est bien !

Tout le monde se lève comme sur des ressorts pour démarrer au premier appel.

Pause. Une cigarette allumée à la volée : « Comment c’était ? » Acte deux.

Il ne reste plus beaucoup à attendre… la dernière ligne…

Applaudissements ! Nous y sommes. Fin du spectacle. Tout le monde pousse un soupir de soulagement, alors que les émotions viennent de les submerger. Fatigués et heureux parce que leur message a été entendu, le public les a accompagnés dans cette histoire et les a récompensés par des applaudissements ! Maintenant, c’est le silence, les spectateurs sont partis eux aussi. On n’entend plus que les accessoiristes qui sont sur scène pour le démontage.

En petit comité, les coupes de champagne s’entrechoquent, les félicitations fusent. Désormais, les représentations habituelles s’enchaînent, chacune avec son charme, son public, la célébration d’une soirée.

Bientôt une autre première et une autre… Le critère de valeur vraiment fiable reste ce supplément de beauté et d’émotion né de la conception du metteur en scène et marqué par la grâce des acteurs soutenus dans l’ombre par l’équipe technique, ces anonymes qui font des miracles dans les coulisses, car les miracles se produisent toujours à la fois sur scène et dans les coulisses.

                              

Mihaela Dordea©

Ce texte fait partie du livre de Mihaela Dordea, Rătăcind printre șoapte și trandafiri galbeni [Errer parmi les chuchotements et les roses jaunes], Editura Anamarol, 2010

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Mihaela Dordea est chroniqueuse de théâtre, chroniqueuse musicale et littéraire, écrivaine.

Etudes philologiques et théâtrales.

Grand amoureux de la France, de la musique et de la littérature française, de la langue française, que j’ai commencé à apprendre à l’âge de trois ans.

L’activité journalistique dure depuis plus de 30 ans en Roumanie et dans la presse internationale, aux États-Unis, au Canada, en Australie et en Europe.

Quant à l’écriture, j’écris depuis toujours, le mot faisant partie de mon âme comme la mer aussi.

J’ai été récompensé par de nombreux prix littéraires, dont je retiens quelques-uns :

-Premier Prix du Concours National de Prose “Liviu Rebreanu”, édition 2007, section prose manuscrite, pour le roman “CÁTĂ IUBIRE”

-Le Prix « NAJI NAAMAN », édition 2009, pour le roman « AU-DELÀ DU SILENCE »

– Premier Prix au Festival de Littérature” Eusebiu Camilar-Magda Isanos, section courte prose –  – Prix I – Lieux littéraires -section ESSAI

– Premier Prix – au concours littéraire VISUL-Orăștie, section Livre de l’année 2010 pour le volume “Errance parmi les murmures et les roses jaunes”

Et d’autres. Livres publiés : trois livres d’auteurs, de nombreuses compilations, des textes littéraires dans des revues spécialisées de Roumanie et de l’étranger.

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