
Partir est le nouveau roman de Marie Dô publié aux Éditions MEO de Bruxelles.
Marie Dô a été la première danseuse française à avoir été engagée dans la compagnie Alvin Ailey American Dance Theater de New York à l’âge de dix-neuf ans. Elle a également été danseuse au Canada, dans Les Ballets Jazz de Montréal et dans de nombreuses compagnies françaises. On se souvient de ses brillants débuts en littérature avec Fais danser la poussière (Plon, 2006), roman adapté au cinéma sur France 2 et qui parle justement de sa passion pour la chorégraphie.
Ce cinquième ouvrage qui vient de paraître est une preuve supplémentaire de son talent et de son lien durable avec la création littéraire.
Le désir d’envol « de ceux qui partent pour partir » finit par prendre « la forme des nuages », selon la devise baudelairienne placée comme motto. Il s’agit en réalité d’une forme éthérique, fragile et d’une vocation réparatrice qui mènera, comme nous le verrons, à une remise en cause intérieure de tous les personnages de ce récit, confrontés à la vérité sur eux-mêmes et sur les autres.
De manière surprenante – car ce titre invite à prendre le grand large –, Partir est construit comme un huis clos dans une presqu’île quasi déserte en période de hors saison et, si on zoome encore plus, dans un camping ouvrant sur une plage au bord de l’Océan. L’injonction exprimée par l’infinitif de ce verbe est perçue comme étant plus distante et moins prescriptive que l’impératif. Elle a plutôt valeur de désir d’aventure et de saut dans l’inconnu. Cinq personnages s’invitent dans cet espace narratif, certains ayant des liens familiaux comme Yzant et son neveu Teho, d’autres étant de simples amis, voire de parfaits inconnus comme Romain, l’ami parisien de Teho ou encore comme Amaïka, une femme mystérieuse, venue de nulle part et repartie de manière tout aussi énigmatique à la fin du récit.
À la lumière de ces quelques détails, on constate déjà le caractère scénaristique du texte, une mise en scène que Marie Dô maîtrise à merveille. Elle est surtout illustrée à travers les dialogues et les actions qui vont s’imposer jusqu’à suivre le tumulte des vagues, la valse des surfeurs défiant même la force majestueuse de l’Océan.
Le style devient au fil des pages plus alerte, prenant la place des belles images et des phrases de l’incipit que l’on ne peut pas s’empêcher d’admirer. Un des meilleurs exemples est ce portrait d’Amaïka qu’Yzant dresse avec ces mots : «Cette femme s’imposait à peine les brumes de l’aube dissipées, d’une liberté indécente. Il lui inventa des larmes cachées, ses propres épines dans le cœur, un si grand naufrage qu’elle ne saurait plus nager en eaux amoureuses. Il la drapa de la nudité fragile des paumées, de la duplicité des allumeuses, ouvertes et disponibles à tout ce qui vient et passe, la couronna de l’insolence des prétentieuses qui se pavanent la tête haute et rien dedans. Encore une qui finira sans personne pour la pleurer».
Ajoutons l’admiration d’Yzant devant la solennité de l’Océan : «Il cédait toujours à la fascination de cet océan qu’il vénérait autant qu’il le maudissait, aux charmes de ses moirés et drapés frissonnants, tumultueux, de ses flux et reflux qui drainaient chaque jour des vestiges d’existences, victimes de sa cruauté : bois flotté issu d’avaries, troncs d’arbres arrachés puis emportés par les courants, balises de chalutiers, dépouilles de dauphins sur lesquelles mouches et mouettes s’acharnaient».
J’ai souhaité reproduire ces longues citations pour illustrer à la fois la couleur lyrique qu’imprègnent ces phrases. L’admiration devant la beauté captée par l’œil humain et l’ampleur du souffle narratif lorsque ce même regard se met à observer la majesté des forces qui le dépassent et où il tente de se hisser à la plus haute place possible est saisissante.
Dès lors, l’action peut se mettre en place tout en suivant une intrigue déclenchée par l’apparition d’Amaïka, cette femme mystérieuse, venue de nulle part, et par les retrouvailles de Teho et Yzant, son oncle surfeur et maître-nageur devenu sédentaire, rongé par son passé. accompagné par Romain, l’ami parisien de Teho en sera témoin.
Plusieurs questions vont désormais se poser au fur et à mesure du déroulement de ces actions. Qui est Maddie, cette femme absente pour toujours qui occupe pourtant de manière obsessionnelle la mémoire des habitants du coin ? Pourquoi Yzant traîne en lui un désespoir sans fin : est-ce que c’est l’alcool, l’âge qui avance en laissant des traces, ou est-ce qu’il y a autre chose de plus grave encore ? Des remords ? Que lui reproche Teho, son neveu ? Comment réagit Romain qui ne connaît rien des histoires de famille de Teho et Yzant, mais qu’il va apprendre petit à petit quel est le nœud de l’histoire ? Et Amaïka, en tout ça, son apparition mystérieuse et surtout son départ inattendu ? Rajoutons à cela des débats sur des croyances new âge ou sur l’Atlantide qui mettent un grain d’exotisme à l’histoire.
À la lumière de tous ces détails, Partir est avant tout un roman d’initiation portant un double regard sur le rituel d’entrée dans la vie d’adulte et sur le chemin résilient engendré par l’absence et le non-retour de l’être aimé.
Marie Dô scrute avec minutie les voies du hasard, du devoir et de sa faillite, du devenir et de la permanence d’une humanité confrontée aux nombreux questionnements autour de sa condition fragile, de sa pérennité et de sa finitude, miroirs impuissants devant les forces de la nature qui ordonne tout et règle le rythme des choses.
Encore une fois, laissons aux lecteurs le plaisir et la curiosité de découvrir l’histoire que raconte ce livre.
Une chose est pour nous évidente. Ce scénario réussit à mélanger le romanesque et la trame d’une dramaturgie qui utilise l’écho des vagues comme la voix éternelle du cœur antique résonnant encore à travers les temps.
En chorégraphe magistrale, Marie Dô transmet aux pages de son livre le rythme vivifiant et alerte qu’elle porte dans ses gênes.
Remarquons enfin le plongeon dans la fiction opéré à la fin du roman. Cet artifice est censé de se soustraire ce texte au réel et de l’élever au rang tant convoité d’œuvre de littérature et de lui donner ainsi l’assurance d’une preuve évidente de l’humanisme qu’elle incarne.
Dan Burcea©
Crédit photo : Florence Sortelle
Marie Dô, Partir, Éditions MEO, Bruxelles, 2025, 152 pages.