Portrait en Lettres Capitales : Jennifer Richard

 

 

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?

Née à Los Angeles, j’ai grandi à Tahiti, Wallis et Asnières-sur-Seine. J’ai longtemps vécu à Paris, sans m’y sentir vraiment chez moi, hormis quand je la quittais. A l’inverse, lorsque je rentrais des grandes vacances passées chez ma mère, à Mayotte, en Guyane ou en Nouvelle-Calédonie, je me sentais étrangère à cette ville qui m’apparaissait grise et froide.

Je ne me sens française que depuis que je vis en Allemagne. Il faut sentir peser sur soi ce regard d’incompréhension inquiète quand on a osé introduire le second degré dans la conversation, ou percevoir la panique dans le regard de l’invité à qui on sert une mayonnaise maison et un camembert qu’il coupe en biais, pour sentir que, dans chaque fibre de son être, s’exprime la culture française.

Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Je ne vis du métier d’écrivain que parce que j’ai décidé de réduire mes besoins au minimum. Quitter Paris a été le premier pas. Amoindrir ses dépenses permet de s’éloigner du Marché et de réduire l’emprise de la politique sur sa vie. Malheureusement, cela ne peut se faire que « dans la mesure du possible », et difficilement de manière absolue. J’ai conscience que pour certaines personnes, c’est impossible.

J’exerce encore de temps à autre le métier de documentaliste, pour certains projets audio-visuels qui m’intéressent ou que des amis me proposent, mais je ne dépends plus de cette activité pour vivre.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

Les deux sont apparues en même temps. Enfant, dès que j’ai commencé à lire, je me suis demandé quelle vie menait un écrivain. Je me figurais un grand confort : solitude dans la chaleur du foyer, maîtrise du temps et absence de pression de quelque sorte que ce soit.

Je me rappelle la détresse qui m’a saisie le jour où j’ai terminé la lecture du dernier livre de la comtesse de Ségur. Je les avais tous lus. L’été touchait à sa fin et avec lui les grandes vacances. Je me sentais seule. Jamais plus je ne lirais un livre de la comtesse de Ségur, me lamentais-je. Je découvrais pour la première fois la finitude, l’irrémédiable et l’irréversible. Le drame s’est reproduit peu de temps après avec l’œuvre de Roald Dahl.

J’ai le problème inverse, aujourd’hui. Il y a tellement de livres formidables qu’une vie ne suffit pas pour tarir la source.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

J’ai lu beaucoup de récits de guerre, à l’adolescence, et je pense que ma conscience politique est née à ce moment, sans prendre de contours précis, alors. Après l’horreur des tranchées, j’ai découvert la solitude des soldats français dans Weekend à Zuydcoote de Robert Merle, puis l’angoisse de la jungle indochinoise avec La 317ème section de Pierre Schoendoerffer. Je me rends compte que ce sont les hommes, par l’expression de leurs peurs et de leurs doutes, de leur virilité broyée, qui m’ont rendu exigeante quant à la façon de se tenir droit, dans la vie.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

Après deux romans de science-fiction, je m’attache à exprimer une pensée politique à travers des romans historiques. Je ne décris pas les événements pour eux-mêmes, mais pour les parallèles qu’ils offrent avec l’époque contemporaine.

Un jour, j’aimerais écrire un livre drôle.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

Il me faut avoir en tête la liste des chapitres, la fin de l’histoire, l’essence du propos et la façon de l’exprimer, avant de taper la première touche. Se pencher sur son clavier sans avoir de plan précis me semble un exercice périlleux. Pour mon roman Il est à toi ce beau pays, et sa suite, dont je viens d’achever la rédaction, je m’étais constitué une frise chronologique sur un carton de deux mètres de long, faisant apparaître chaque date et chaque événement à narrer par rapport aux lignes de vie de tous les personnages.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

Un article lu dans un guide touristique (Il est à toi ce beau pays et sa suite), une discussion avec mon mari (Le diable parle toutes les langues), ou un journal télévisé datant de 1990 (mon prochain projet) peuvent me marquer au point de vouloir approfondir le sujet et me confronter aux questions qu’il soulève.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Le titre arrive sans crier gare, à un moment plus ou moins avancé de l’écriture. Parfois avant, parfois après. Par exemple, au moment où je réponds à vos questions, le titre de mon prochain roman s’est déjà insinué dans mon cerveau alors que je n’ai pas écrit une ligne. Le titre agit comme un coup de fouet. Il me motive et me donne une direction (ou, lorsqu’il se manifeste après l’écriture, me conforte dans mon idée).

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

Je pourrais vous dire, comme font souvent les écrivains : je n’invente pas mes personnages, ils sont là, je n’ai qu’à les suivre et les comprendre. Mais alors je vous le dirais au sens premier : mes personnages ont vraiment existé. Depuis quelques années, je n’ai plus envie d’aller chercher dans mon cerveau des personnes et des événements qui n’existent pas. En tant que lectrice, les personnages inventés m’intéressent rarement. 

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Le diable parle toutes les langues est sorti au mois de janvier 2021 aux éditions Albin Michel. J’y décris les affres spirituelles de Basil Zaharoff (1850-1936), un des plus grands marchands d’armes de son temps, dans les mois qui précèdent sa mort. Il revient sur son parcours et se questionne sur l’âme humaine, l’argent et le désir de pouvoir.

Après Il est à toi ce beau pays, qui avait pour thème la colonisation, la ségrégation et l’industrialisation de l’Europe, et avant la parution de la suite de ce texte, le personnage de Zaharoff m’a permis d’universaliser mon propos sur les marchés financiers.

J’ai par ailleurs entamé l’écriture d’une trilogie pour enfants, dont le personnage principal se nomme Timothée Pacap et dont le tome I vient de sortir en librairie. Au mois de septembre paraîtra une biographie de Booker T. Washington, que je viens d’achever : Le chemin de la liberté. J’ai découvert son parcours formidable lors des recherches effectuées pour Il est à toi ce beau pays. Né dans la servitude, il a passé sa vie à instruire les autres esclaves et à élever leur conscience. Il est l’un des pionniers de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis.

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