Portrait en Lettres Capitales : Roger Aïm

 

 

Qui êtes-vous, où êtes-vous né, où habitez-vous ?

Je suis né à Oran en Algérie. J’y ai vécu jusqu’à l’âge de 11 ans. À la seule évocation du nom d’Oran, des précipices intimes de mon enfance se réveillent. « On est de son enfance comme on est d’un pays » j’aime cette formulation de Saint-Exupéry qui dit l’essentiel de ce que nous sommes et de ce que nous devons aux parfums, aux sons, aux couleurs, aux paysages et aux événements de notre enfance. Après avoir vécu à Paris, Nice et Cannes, j’ai la chance aujourd’hui de vivre dans un charmant village perché de l’arrière-pays niçois, Tourrette-Levens.

Vivez-vous du métier d’écrivain ou, sinon, quel métier exercez-vous ?

Non bien sûr. Ingénieur, j’ai fait ma carrière dans l’industrie aéronautique et spatiale. Pendant toutes ces années de totale immersion dans le monde de l’entreprise, la littérature a été mon arrière-pays, un refuge, un réconfort. Avec mon premier livre consacré à la vie de Filippo Brunelleschi, l’ingénieux-ingénieur, j’ai posé un pied déterminant sur une autre rive, celle de l’écriture.

Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?

Comme je l’ai confié précédemment, la littérature m’a toujours accompagné, mais le passage à l’écrit est évidemment autre chose. Si lire incite à écrire comme l’a dit Julien Gracq, il a fallu se vaincre, descendre en soi, surmonter de longues périodes d’hésitations et de découragement, avant que la confiance ne s’installe et avant d’assumer un « j’écris comme je peux ». Lorsque le doute renaît, je me replonge dans la lecture d’un livre de Julien Gracq et sa phrase opère comme par magie. Une sorte de connivence immédiate s’installe. Je retrouve alors mon chemin.

Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?

L’auteur, vous l’avez deviné, est Julien Gracq. Le livre fut Le Rivage des Syrtes. Une révélation. Dès les premières lignes une résonnance poétique m’a saisi. Le style reconnaissable entre tous s’est ancré en moi comme une musique intime. Les thèmes de l’attente, de la vacance, du lendemain qui n’arrive pas, sont traités dans Le Rivage des Syrtes comme des éléments tragiques qui maintiennent le lecteur dans une non-histoire qui finira par se mettre en marche à l’instant même où le roman prend fin. Ses phrases presque libérées du texte deviennent de purs objets d’émotion et autant de fragments poétiques qui se suffisent à eux-mêmes. Julien Gracq a su dégonder le roman de sa prose habituelle en lui offrant un mouvement libre, inattendu, théâtral et visuel.

Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?

Je passe du roman (plutôt de la novella), à la biographie, au récit ou à l’essai en fonction du sujet qui me passionne. Mais la poésie et particulièrement la poésie fugitive, celle qui saisit un paysage, retient un instant, s’attarde sur ces presque riens qui nous entourent, reste toujours à mes côtés.

Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?

J’écris tous les jours avec le bonheur de l’artisan qui revient sans cesse sur ce qui vient d’être fait. L’écriture s’apparente pour moi à une menuiserie fine. La phrase arrive mal dégrossie. Je l’observe, prends ma caisse à outils, mes carnets de notes, toutes sortes de dictionnaires et commence alors un travail d’ébavurage, d’ajustage, de polissage et lorsque tout semble bien chevillé, je passe à la phrase suivante. C’est la raison pour laquelle mes livres ne sont jamais de grands voiliers.

D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?

Les sujets émanent le plus souvent d’un événement pouvant paraître insignifiant au premier abord mais qui s’inscrit en moi pour ne plus me quitter. Je pense à mon livre sur Kant. Après avoir lu cette règle : « Une assemblée, hôte compris, ne devrait pas être inférieure à celui des Grâces et ne pas dépasser celui des Muses » dont le philosophe était l’adepte, j’ai souhaité en savoir plus. Ce sera le début d’une belle aventure qui a duré plus de trois ans. L’écriture est une école de patience.

Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?

Le titre c’est la grande affaire ! Je ne choisis jamais le titre avant de commencer un ouvrage. Soit, il apparaît comme une évidence et ce sera le cas avec mon dernier livre sur le confinement : « Dehors ne veut plus de nous », soit, le titre arrive naturellement au détour d’une phrase.

Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?

Je vis avec lui, avec elle, avec eux continuellement. Je n’ai pas vraiment l’impression de les avoir inventés, ils viennent à moi et s’imposent d’eux-mêmes.

Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.

Aucune description disponible.« Dehors ne veut plus de nous » est mon dernier livre paru aux éditions Domens, fin 2020. Né du confinement, ce livre est un journal tenu du 15 mars au 11 mai. L’écriture a structuré cette sidérante période et dès le premier jour, je me suis mis en quête d’un mot entendu à la radio, d’une image saisie à la télévision, d’une émotion ressentie en regardant le ciel, les arbres, mon village…Instants minuscules qui ont rejoint ma plume, occupé mes jours et mes nuits. Je ne remercierai jamais assez ces petits riens qui mis bout à bout ont fait naître cet écrit. Actuellement j’ai deux projets en cours et il bien vrai que « le chemin est long du projet à la chose. »

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