le soleil gratte en faisant apparaître
une inconnue
dans le miroir brumeux
une réalité imprégnée
par l’intensité du désastre
que tu as creusé
comme un ver pendant des années
tu regardes l’horloge
avec la même indifférence
avec laquelle tu regardes
les becs sanglants
des corbeaux
et cela te semble naturel
l’horloge affiche une heure propice à la vie
cela ne te concerne pas
cette structure compacte profitable
the world is a business
le soleil continue à racler
et tu regardes la mer embrumée
une inconnue dans le miroir
pendant que les grappes de gens cristallisés effacent
tes traces au monde
c’est une heure à vivre
la voix siffle et siffle
et le vent est un frôlement
et tu ne cesses d’en redemander
tu es avide de plaisir
et avide du fouet
et une autre mer te tente
et tu restes immobile
et tu dis que c’est bien
et le fouet devient laisse
tu lèches ses bords
tu souris heureuse
sans rien à voir avec cela
***
tu te réveilles sans voix
tu n’as pas besoin d’en faire plus
rien n’a changé
ce qui est gris et nuageux en toi
c’est peut-être juste la mer
***
tout ce que tu dois comprendre sur cet effondrement
c’est de ne plus laisser aucun éclat te faire perdre l’esprit en nommant les choses par défaut
la fréquente victoire de l’absurde
et que boire tout ton sang ne suffit pas à l’empêcher de couler
et si tu ne peux pas
tu devras t’y habituer
à te heurter à la seule place vide restante
***
j’aime ouvrir
les fenêtres en hiver
le froid et la lumière crue du matin m’aident
à me regarder avec plus de douceur, avec plus de nostalgie désolée avec laquelle je regarde les murs
en ruine qui, je pense, ne devraient jamais être recrépis
j’ai froid parce que c’est l’hiver et je me dis que c’est la seule façon d’être en hiver et dans la solitude
la flamme bleue grandit sous la bouilloire
et le plaisir lénifiant du sable blanc de Sylt
grandit avec elle dans le contexte industriel de la ville
sur la Mer du Nord, on ne peux pas avoir chaud
les plages sont parsemées de silhouettes dessinées à travers un anneau de néoprène
et le vent souffle et les brins de lumière
se glissent sur la chair liquide
d’où, au mieux,
tu peux avoir un sandwich au petit pain et au poisson mariné
à travers la fenêtre les gens circulent et j’envie leur courage
et le vent souffle
et seuls les désastres des autres les maintiennent en vie
leurs têtes inclinées me rappellent mes bonnes intentions
et le vent souffle dans les canettes de bière sur la plage et Brunhilda chante
try a little tenderness
et c’est beau et triste
de voir le cendrier où tous les mégots de cigarettes portent des traces de rouge à lèvres
c’est difficile d’être généreux devant la fenêtre
et au bord de la Mer du Nord
Tatiana Ernuțeanu©
Tatiana Ernuțeanu est née en Roumanie et est publiciste et poète. Diplômée de la Faculté des langues et littératures étrangères et d’un Master en relations publiques à la SNSPA, ancienne enseignante de langue roumaine et spécialiste des relations publiques depuis plus de 15 ans, elle s’est fait connaître avec son premier livre Carne, vise si oase triste uitate în Hydra (Viande, rêves et os tristes oubliés à Hydra), publié aux Editions Eikon 2020. Elle a publié des poèmes dans des revues littéraires en Roumanie et à l’étranger, comme Neuma, Viața Românească, Luceafărul, Steaua Magazine, To The Lite House, Tastzine etc.
Sensuels-mystérieux, ambiguës, pénétrants et intenses, cherchant à explorer les ressorts intérieurs, ses écrits proposent une poésie expressive, fortement marquée par le visuel, dominant les niveaux émotionnels.
L’année dernière, elle a été invitée au Festival international de poésie de Bucarest, 11e édition, et au Marathon de poésie et de jazz, 13e édition, organisé par le Musée national de la littérature roumaine de Bucarest.
Tatiana aime non seulement la poésie pure, mais aussi la prose poétique, et écrit chaque mois pour le magazine Forbes Life, dans la rubrique Chicstalgia, ainsi que pour d’autres magazines en tant qu’invitée spéciale.
(Traduit du roumain par Dan Burcea)