Sarah Oling : «J’ai très tôt dans mon existence commencé à écrire, fiévreusement»

 

Avec son nouveau roman, Pour un peuple d’oiseaux, Sarah Oling réussit à donner une signification encore plus surprenante à la métaphore porteuse de par sa nature de l’idée de la liberté volatile. Apprivoisés, les oiseaux deviennent public tumultueux face au drame qui transparaît à travers les lettres lues par Yann Holdman. Qui est ce vieillard que l’on pourrait prendre pour un personnage étrange ? Et ces lettres qui nous délivrent petit à petit leur secret, tissant une histoire tragique, troublante d’une jeunesse blessée en plein essor par les affres de l’Histoire ? Et que veut nous dire Yann par cette secrète déclaration : « C’est pour eux tous, mes chers compagnons de jeunesse que je dois vivre encore un peu » ?

Seule la mémoire serait à même de l’aider à faire la paix avec soi-même et avec ce qu’il appelle « ses fantômes ».

Comment décide-t-on d’écrire un roman sur la mémoire où vos personnages tentent de retrouver « une énergie vitale spoliée » par l’Histoire ?

La Mémoire… j’ai en premier lieu eu à me détacher de ce poids qui aurait pu inexorablement « me couper les ailes » … Et qui, pendant longtemps a été source de confusion identitaire. Étais-je «seulement», par cette lignée-là, celle de mon père, condamnée à une éternelle errance intérieure, une culpabilité sourde d’enfant de survivant ? Que devais-je accomplir en son nom ? En leur nom ? Comment exister par soi-même avec ces valises de nuit et de brouillard à porter, à trainer même ? Puis j’ai accepté un héritage par procuration, non nommé…

Celui d’un univers entier de mots qui dansaient dans ma tête. Dont certains venaient certainement de très loin. Le français n’était pas la langue que j’ai reçue de cet héritage-là… Mais plutôt le yiddish, la langue de tous mes ancêtres, l’allemand, la langue de mon père, né à Karlsruhe. Langues qui, depuis, sont comme une musique mémorielle. Ainsi est né mon premier roman « Sarah… pour mémoire ».  Mémoire… Déjà… Alors. Est-ce une décision ? Et ce roman-là, « Pour un peuple d’oiseaux », mon cinquième, je le porte depuis très longtemps.  C’est une fiction, avec, comme dans tous mes romans, une trame historique, mais une fiction. Ce qui m’a ôté mes ailes de plomb et de cendres. Yann Holdman, le personnage principal, est devenu en quelque sorte mon « porte- mémoire »

Le titre de ce nouveau roman a une connotation tellement riche qu’il demande un supplément d’explication. Comment l’avez-vous choisi et en quoi réside sa force première au service de votre récit ?

Ces oiseaux… Tout un peuple d’oiseaux… Ce sont pour moi, symboliquement, des messagers entre le Monde d’en Haut et le monde d’en bas… le Maestro Yann Holdman ne s’adresse plus aux « humains », les siens, tous les siens sont peu à peu devenus des absents, fantômes, trop de fantômes. Alors, son dernier public, celui auquel il daigne s’adresser encore, ce sont ces messagers-là, des oiseaux. Il espère, peut-être, que ses paroles monteront, grâce à eux, traverseront les murs de l’absence…

Vous utilisez avec aisance le style épistolaire qui aide le lecteur à voyager à travers l’histoire mais également à percer les secrets des vos personnages. Ce contenu épistolaire donne à votre récit du dynamisme et un goût prononcé pour le théâtre. Pourquoi ce choix ?

Écrire… Pendant longtemps, ma parole fut empêchée. Par moi. Je ne m’exprimais pas avec aisance. Une forme d’empêchement, oui, c’est ainsi que je peux le définir avec le recul. Peut-être parce que j’ai un tel amour de la langue française que je craignais de la trahir.  Je pense qu’il y a un effet « miroir » dans la construction d’un être. Nous nous construisons en référence. Mes références alors étaient presque absentes. Mais j’avais cet univers de mots qui dansaient dans ma tête… J’ai très tôt dans mon existence commencé à écrire, fiévreusement, j’ai couvert des carnets entiers de poèmes, de notes, de réflexion. Construction d’un être…  Puis, j’ai fait des rencontres, une particulièrement avec celle qui est devenue ma sœur d’élection. Et qui est partie vivre à des milliers de kilomètres. Nous nous sommes écrit, longuement, souvent. C’est ainsi qu’est née cette affection particulière pour le mode épistolaire.

Sur cette scène, en premier plan il y a Yann Holdman. Qui est-il et pour quelle raison l’avez-vous choisi comme personnage principal ? Qu’incarne-t-il à vos yeux ?

Permettez-moi de vous répondre en vous citant la présentation que j’ai faite de ce roman. Elle illustre, je crois, ce qu’est Yann Holdman pour moi…

« C’est l’histoire de personnages reliés par une tragédie historique à l’un d’entre eux, passerelle entre tous les autres. Un homme qui aurait pu changer le cours des choses. Et ne l’avait pas fait. Qui aurait pu rendre l’amour qu’il avait généré. Et ne l’avait pas fait. Qui aurait pu donner la vie… et ne l’avait pas fait. Seul. Avec un océan de mots pour attiser les regrets. Et des oiseaux pour public, le dernier public de celui qui fut reconnu comme le plus grand chef d’orchestre de tous les temps. Et le refusa.  

« Je ne suis pas le gardien du passé », clame Yann Holdman avant d’accepter de retourner dans les couloirs sombres de sa propre histoire et de celle de ce qu’il appelle « ses fantômes ».  

Il y a dans cette réflexion, à la fois, les braises mourantes d’une révolte intérieure contre le destin et un renoncement à lutter. Yann est persuadé qu’il ne peut plus rien apporter au monde, rien sauver, même lui-même. Le sentiment de la faute impardonnable qu’il a commise et dont le secret le ronge comme un lent poison le conduit donc à rentrer en lui-même.

Peut-on considérer votre roman comme une tentative de rebâtir des fondations nécessaires à toute vie, de redonner de l’incandescence, comme l’affirme Léah, un autre personnage de votre récit dramatique ?

C’est un roman. Et comme tout roman, je crois, c’est au lecteur de trouver ce qui fera sens pour lui dans ce récit. Pour me placer du côté de Leah, l’un des deux grands amours de Yann Holdman, il est déjà trop tard pour elle. Elle a essayé, ils ont d’ailleurs tous essayé, mes personnages, Simon, Etty, Marthe ou Leah, de croire qu’il y avait un monde d’après. Ce qui les unissait tous, c’était Yann et la musique. Le renouveau viendra, à la fin du roman… mais…je ne veux pas en révéler la fin. 

Cette douloureuse recherche de vérité est égale pour vos personnages à leur immense besoin d’amour. Peut-on dire que cette soif d’amour est ce qui les définit le plus ?

Cette soif d’amour, c’est même un miracle qu’elle ait survécu à l’horreur absolue qu’ils ont traversée.  Seul Yann Holdman semble s’être muré. A-t-il encore des sentiments ?  Ses longs monologues sur son banc pour son public d’oiseaux trahissent parfois cette trace ancienne, celle où il était un jeune homme vibrant et intensément amoureux… Mais si lui ne croit plus à aucun sentiment « humain », Yann a été aimé, il est encore aimé, par Etty, sa sœur, par Léah et Marthe. Un amour sans retour, un amour condamné à se heurter à la forteresse de ses refus. Un amour dans sa définition même d’impossible et d’inconditionnel cependant

Malgré tout, est-il possible, selon vous, de renouer avec le passé ? Que vous inspire ce « malgré tout » ? Peut-on l’affubler du titre de victoire ou de renoncement ?

Selon moi ? C’est à l’auteure que s’adresse ce questionnement ?  Selon moi… renouer avec le passé… Si ce passé vous entrave, s’il empêche la lumière d’advenir, s’il est peuplé d’absents, de ces absences inconsolables… Est-il « utile » de refaire lien ? Selon moi… A titre personnel, il me fallut longtemps pour traverser ce questionnement-là… celui de l’utilité d’aller derrière le silence de mon père, de chercher encore et toujours un sens à ce qui n’en avait pas.  La victime de ce passé-là, dont j’avais hérité par filiation directe, ce n’était pas moi. Je n’épouse pas, désormais, ce « malgré tout ». Et tout le sens de ce que j’accomplis depuis est d’abolir tous les « malgré tout ». « Pour un peuple d’oiseaux » est au cœur d’un acte artistique autour de la transmission des mémoires, que j’ai nommé « Consciences en Convergences ». C’est ma réponse … Non un renoncement, mais une forme de volonté d’aller vers la vie, je dis toujours que je veux célébrer Eros et non encenser Thanatos

Vous préparez une adaptation au théâtre de ce roman. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce projet ?

Ce n’est plus un projet. J’ai terminé d’écrire l’adaptation théâtrale en janvier dernier. 

Alain Bourbon, metteur en scène, entre autres, du Journal d’Anne Franck, ou du Silence de la Mer de Vercors, en réalisera, prochainement, la création sur scène. 

Cette adaptation est une plongée dans la psyché de Yann Holdman, personnage principal du roman en lutte intérieure face à un personnage –Dieu- absent dans la version littéraire. 

Le titre choisi pour l’adaptation théâtrale : « Dieu riait ? ».  Pourquoi ce titre ? Il fait référence à un célèbre proverbe yiddish généralement traduit par “l’Homme fait des projets et Dieu en rit” (Der Mentsch tracht und Gott lacht), résumant l’impuissance de l’Homme face à un Dieu tout-puissant dont le Grand Dessein ne donne aucune importance à l’existence terrestre de ses créatures.

C’est la lecture de « Dieu riait ? », qui devait être présentée, en toute primeur, au festival national de Théâtre de Châtillon sur Chalaronne le 24 mai 2020. Et qui est reportée début octobre, nous l’espérons.

Interview réalisée par Dan Burcea

Sarah Oling, « Pour un peuple d’oiseaux », Les Éditions Absolues, mars 2020, 124 pages.

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