Cinq poèmes d’Ofelia Prodan – Prix spécial Virginia Woolf pour le livre de poésie Novoli-Lecce, Italie, 2024

 

 

La bicyclette jaune

Il pense à la mort de façon tangentielle! il ignore les ligaments

douloureux, l’ostéoporose précoce, les tremblements parkinsoniens !

nous nageons en apathie dans la même soupe indifférenciée.

continuité réflexive.

nous devenons les impulsions d’un univers aléatoire.

nous plongeons dans l’asphalte, rebondissons comme une balle dans la main

d’un enfant géant.

carence en calcium. et c’est suffisant pour une crise d’hystérie.

je vais consigner dans un fichier word et sauvegarder sur

ta clé usb

comment avons-nous fini coincés l’un l’autre à travers des regards indirects.

pause de récupération mentale à venir. terminé

l’horaire de travail,

seulement l’haleine salée de la patronne nymphomane.

jète les papiers imprimés à la poubelle ! sors discrètement par la porte

de derrière ! prends l’ascenseur !

ta bicyclète t’attend en bas, elle est jaune. ma couleur

 préférée.

 

 

la blonde de la morgue

les affinités se complaisent brutalement. les cuisses blanches

enveloppées dans des sacs en plastique, défilaient autrefois

dans des jeans à tétons.

je l’avais surnommée la blonde de la morgue.

les étudiants en médecine se sont exercés sur son corps,

lui ont caressé nécrophilement les cuisses. on en déduit que vous êtes

intéressés à assister à une dissection. absolument.

absolument pas.

vous êtes confuse, nous vous prescrivons quelque chose de non invasif, sans effets secondaires.

sans effets secondaires.

contrepoint de la discussion, les affinités. nous vous réévaluons.

ce serait le cas. torsion soudaine sur le talon. marche apparente.

nerveuse.

éclats de rire démentiels dès que je l’ai coupée

net sur les portes à senseurs. avec un visage grimaçant,

académique, je leur ai montré le majeur.

tu aurais dû être là, toi aussi, tu aurais dû les photographier

leurs tronches.

t’aurais pu peut-être les publier quelque part, tu aurais fait parler de toi.

message – actuellement indisponible. nouveau message –

seulement pour le moment, pas de panique. de toute façon, la patronne

nymphomane va collecter

les preuves de ton incompétence aujourd’hui.

ne m’attends pas, je ne t’attends pas. tu vois ? ! nous sommes semblables.

 

 

to dream to Matrix, dream

le rêve qui se répète. je détecte une fixation

dans le rapport entre mes réactions inconscientes

et tout ce qui se passe quand tu es au travail.

bon, je n’en dirai pas plus sur ta patronne.

Interprétez-le comme bon te semble.

dans mon rêve, je suis un programme complexe dans Matrix,

conçu pour séduire Neo.

je me multiplie, j’agis beaucoup plus vite…

que l’Oracle ne l’avait prophétisé.

Neo – connecté, totalement dépendant de moi.

je profite de la situation, je le convaincs

avec un virus astucieusement glissé…

que Trinity et Morpheus sont des programmes

maléfiques qui veulent le manipuler…

pour détruire Matrix.

Neo se reconditionne, utilise ses super-pouvoirs.

Trinity, Morpheus – se éliminés de Matrix.

Neo se multiplie de façon exponentielle,

Neo se combine avec chaque agent Smith

créé exclusivement pour le divertissement.

le rêve se termine quand je découvre que tu es l’agent Smith.

 

 

se la couler douce avec professionnalisme

réfléchi jusqu’à l’intimidation. vide mental

projeté dans la paume des affects.

je suis mon propre metteur en scène. le décor à peine esquissé.

rôle épuisé par l’absence d’implication.

formellement, je réinterprète mon échec psychologique.

officieusement, je me la coule douce avec professionnalisme.

tu continues à m’imposer ta patronne nymphomane

et moi ma psychologue psychopathe.

si j’étais toi, je saperais tous ses projets.

je sais, tu es un type impeccable.

au moins, envoie un virus dans sa boîte de réception.

Tu me dis que j’exagère, en fait je minimise.

le contexte fait que j’ai tendance à faire des gaffes.

je vais écrire dans un fichier word comment tu es sorti

du bureau de ta patronne nymphomane en grimaçant.

je ne t’ai pas demandé d’explication, je ne t’en demanderai pas.

 

excès

pas comme ça, tu as toutes les chances de clamcer

à cause de l’excès de café, de tabac et d’écriture à un rythme effréné.

à force de café, de tabac et d’écrire à un rythme fou.

une pause, quelque chose, sors, va te promener,

socialise avec de vraies gens, même s’ils ne sont pas parfaits,

tu penses que tu es parfaite ?

je regarde par la fenêtre grande ouverte. un air frais, agréable.

le linge coloré sur le balcon de l’autre côté de la rue.

un chat dans un arbre, un chat jaune qui joue,

sautant de branche en branche comme un petit singe.

je sors. odeur de chawarma, odeur toxique de chawarma.

un sans-abri barbu au visage ascétique.

Je lui offre cinq cigarettes. le parc est plein de vieilles dames et d’enfants.

bancs cassés, sales, odeur de sueur, d’urine.

une femme m’aborde directement – tu es étudiante, n’est-ce pas ?

ça se voit, tu ressembles à ma fille ! mais tu es un peu bossue

et tu as l’air fatiguée. pauvre petite chose, je pense même que tu ne dors pas à force d’étudier ! ils veulent détruire la jeunesse !

une dame coquette portant un bichon teint en rose,

avec un ruban bleu autour du cou. elle me dit, fière –

“c’est mon petit garçon, un chou, un gentil, que maman lui donne un bious sur son petit museau

mouillé ! et elle le prend dans ses bras. je tourne la tête, je suis en sueur.

Bubico est arrivé à sa place dans le Parc des Romanciers.

Un enfant se balance dans le berceau. puis grimpe sur l’éléphant jaune

en plastique. il me voit et il rit. sa maman chérie lui hurle –

attention à ne pas tomber, mon petit cavalier, tu regardes déjà les demoiselles,

tes yeux brillent comme ceux de ton ivrogne de père !

je rentre dans un supermarché. j’achète du café et du tabac.

une file d’attente comme à l’époque communiste.

la caissière est très en colère.

elle s’est trompée de code, elle devient hystérique. tout le monde devient hystérique.

 

Ofelia Prodan (née en Roumanie, vivant actuellement à Padoue, en Italie) a fait ses débuts en littérature en 2007 avec Elefantul din patul meu (L’éléphant dans mon lit, Prix des débuts de l’Association des écrivains de Bucarest, 2008) et a publié plusieurs recueils, dont No Exit (2015 ; Prix national George Coșbuc, Bistrița, 2015 ; Prix national Mircea Ivănescu, Sibiu, 2016), Elegie allucinogene (2019 ; Prix spécial du président du jury au Bologna in Lettere Prize, Italie, 2021), La résonance se produit lorsque nous oscillons sur la même fréquence (2021 ; Prix du livre d’auteur au Festival international de poésie Getafe-Madrid, Espagne, 2023) et Periodicamente ricicliamo cliché (2023 ; Prix spécial Virginia Woolf pour le livre de poésie dans le cadre du Prix littéraire international Nabokov, Novoli-Lecce, Italie, 2024). Elle a été invitée à plusieurs festivals internationaux et a participé à plusieurs anthologies, dont Pour le prix de ma bouche. Poésie roumaine post-communiste (coord. Jan H. Mysjkin, Les éditions l’Arbre à paroles, Belgique, 2019) et Distanze obliterate. Generazioni di poesie sulla rete (coord. Alma Poesia, Puntoacapo Editrice, Italie, 2021). Elle est membre de l’Union des écrivains roumains et du PEN Club Roumanie.

Traduction du roumain, Dan Burcea

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