Au-delà de l’Enfer, l’Éden : « Nuit sauvage et ardente » de Parme Ceriset

 

 

Une ode à la vie

En lisant d’une traite le nouveau livre de Parme Ceriset, Nuit sauvage et ardente, on ne peut qu’être sensible à la pulsion de vie qu’exaltent ses vers libres, au point d’être saisi d’une ivresse qui survole le chaos. À cette soif de vie s’oppose celle de mort, qui prend les traits de la guerre dans ce recueil contrasté. Or celui-ci se noue entre ces pôles paroxystiques où les désirs de l’écrivaine ne cèdent jamais aux sirènes du second. Comme celui de Victor Hugo, son romantisme est positif, conquête des lumières sur les ombres, aventure cosmique de l’Amour. Aussi, face aux corps blessés s’étreignent les corps jouissants des amants qui scandent les textes, dont celui de la poète qui, comme dans son précédent opus, s’incarne en filigrane à la faveur lexicale d’une « cerise blanche » et d’un « ciel pervenche », pour ne pas dire parme. Salvateur, ce lyrisme vital est sensible aux deux bornes du livre puisqu’il s’ouvre par le mot « vie » pour se clore sur le chant d’un oiseau qui symbolise la poésie, nommé « Courage » par l’écrivaine, qui place ainsi son livre sous l’égide de l’Être et des luttes exigeantes qu’il implique. Tournées vers elles, les amazones qui se dressent peu avant l’apparition de l’oiseau final figurent au plus haut ce primat de l’extase sensible et des armes qu’elle requiert.

Espoir et salut

Cosmique et terrestre, fluide et ardent tout ensemble, ce souffle lyrique se double d’une espérance à sa mesure. Sentiment primordial du recueil, cette dernière est sensible dans un quatrain de presque alexandrins. Avec l’espoir, l’ordre est retrouvé, au-delà du chaos du monde qu’indiquent les vers libres en même temps qu’ils disent la propension de la poète à s’en jouer en toute liberté :

« Au jardin de l’espoir, les mésanges s’agitent.

Autour de la mangeoire la vie palpite dans le noir,

saupoudrant les regards d’une fine poudre d’or,

occultant un instant les menaces de mort. »

Clé de voûte intime, l’espoir s’affirme d’ailleurs dans l’épopée intitulée « Femmes de la Terre », écrite elle aussi en presque alexandrins, vers l’issue du livre. Au demeurant, l’espoir ne se donne pas, il se conquiert. Il convient de se battre, de se révolter, de « défie[r] la mort et tous ses sortilèges » pour l’atteindre réellement. À ce prix, et à lui seul, la mort pourra être conjurée en ouvrant un éden invincible car, en effet, même si celle-ci « vaincra, comme l’exigent les lois du monde », la poète

« aura, jusqu’à son dernier souffle,

embrasé le chaos d’une rage de vivre insolente,

d’une étincelle d’éternité.»

Le salut est possible dès cette vie, ici-bas, à condition de savoir arracher son espérance à la violence. 

D’écriture et d’amour

Cependant, cette victoire sur le trépas réclame des forces qui nous dépassent : l’écriture et l’amour – l’écriture pour l’amour, justement. Effectivement, afin de surmonter la mort, d’en transcender la dimension tragique par passion pour la vie, l’auteure

« construit sur un nuage

l’immense empire de ses mots, à l’encre de ses veines,

et rien ne peut l’atteindre, pas même le destin… »

Faisant cela, elle s’inspire de l’oiseau dont elle guérit l’aile à la fin. Aussi bien, dans ses veines, l’encre qui coule, c’est l’amour, cause première et finale de son élan pour l’Être, l’amour qui transporte « par-delà la mort » celles et ceux qui s’unissent sous son signe astral, à telle enseigne que

« lorsque la mort passera

dans sa robe de charbon et de sang,

Ils ne la reconnaîtront pas :

Ils seront trop occupés

à célébrer la vie,

à faire l’amour sur leurs propres tombes. »

Parvenus à ce point, tout se passe comme si le déni de la finitude se voyait justifié ou, mieux encore, doté d’un pouvoir érotique grâce auquel il serait loisible d’excéder cette dernière et, plus exactement, de la laisser nous dépasser sans même la voir, sans qu’elle abolisse l’odyssée glorieuse de la vie.

Galien Sarde (2024)

Parme Ceriset, Nuit sauvage et ardente, Éditions du Cygne, collection Le Chant du Cygne, 2024.

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