Poètes roumains contemporains : Loreta Popa – Cinq poèmes inédits

 

 

Au bout du monde

Me voici à nouveau éveillée
au bout du monde,
où je laisse mon cœur attendre.

Il comprend que je reviendrai
quand le ciel brûlera
la première neige.

Tu ne pourras jamais franchir
le seuil de la grande eau
sans parler le langage du cœur.

J’ai appris ce langage à la maison,
il y a longtemps,
quand les mots tombaient
dans la paume de ma main
parvenus du soleil.

Et me voici aujourd’hui,
respirant
dans la salle d’attente
de celui qui m’a porté,
dans le plus blanc des hivers,
dans la plus silencieuse des résurrections.

Tu sais te taire.
Tu sais respirer.
Tu sais tomber et
Tu comprends
que la mort est
le plus naturel des ponts.

La traversée se fait à la vue de tous,
lorsque les blessures illuminent le ciel de la vie,
quand les papillons sont lâchés sur la terre.

Tu comprends que j’ai l’amour dans le sang,
que mes douces paumes ont été déchirées sans raison.

J’ai la mesure de la vigueur de mes ailes
où l’on jette encore des pierres.

J’ai aussi la mesure des pierres.

Un champ de blé
a poussé grâce à ton toucher
et j’attends ma première récolte.
Elle est à moi.

Quand ils ont brisé tes chaînes,
la fosse aux lions a pleuré
et t’a donné le baptême.

C’est mon feu
qui t’a guéri
à partir des ombres.

Je tiens l’éternité dans ma main droite,
et l’autel attend
avec le chrême de ma foi
pour en illuminer le milieu,
le temps n’a plus de faiblesse,
la croix gravit le Calvaire pieds nus,
pour que l’amour
soit à nouveau la langue la plus parlée
sur terre.

Il est bon de savoir qu’en hiver,
un seul mot de ma part
peut te convaincre de vivre
dans mon œil magique.

Je dois juste lui demander de te prendre dans ses bras.
Tu sais que mon sang suffit
pour partager la vie avec toi.

Je servirai l’infini,
de la même cellule
que j’avais.
quand je voulais
pouvoir leur montrer que
seul l’amour est la prière
que les géants ont toujours gardée
et aux pieds desquels
ils sont tombés eux-mêmes.
 

Au bout de ce que tu es,
brûle la flamme de ma foi
et c’est ainsi que ton chemin est éclairé.

séparateur-de-texte-png-6 - SOLE D'ITALIA

 

 

Le temps des toiles blanches

C’est le temps des toiles blanches,
c’est le temps où des pierres
coule le silence
et des arbres
les fruits frémissent, rêvant d’eau.

Je t’ai attendu
la pluie sur mes joues,
sur mes épaules et mes cils,
sur la plaie ouverte du feu
j’ai posé un baume.

Je savais que tu viendrais en plein équinoxe,
j’avais senti
que les nuages se chassaient les uns les autres.
Le temps te cherche pieds nus
à travers les feuilles de notre saison.
Je t’ai attendu
en portant mon amour à mes oreilles,
des boucles d’oreilles.
Je t’ai attendu,
pour être mon habit,
pour assortir mon soleil
sur mes épaules.
Je t’ai attendu
avec ma robe d’étoiles dormantes en lanières,
portant ma couleur paisible sur mes paupières,
mon cœur battant,
miracle et sourire.

Témoin,
l’herbe a ressenti le désir de nous appeler
de nous hisser vers le ciel
rapidement et admirablement.
Comme elle.
C’est pourquoi j’ai rassemblé
un peu de bleu,
des mots noyaux et
des signes de lumière.

Il n’y a jamais d’ombres quand il pleut.
Nos corps
disent la vérité,
tandis que l’automne
s’installe dans les feuilles
embrassant le temps.

Je t’ai attendu pieds nus,
apprenant à respirer.
Je t’ai attendu,
apprenant à couler comme le sable.
Je t’ai attendu, le rêve en poupe.
Je t’ai attendu, eau silencieuse.

Silence.
C’est notre temps.
C’est le temps où
À travers le pierres coule le silence
et des arbres
tombent
des fruits, rêvant d’eau.

La ligne que je suis
a franchi la ligne que tu es.
L’air et le feu
portent leur rencontre
au-delà de l’horizon.
Je t’ai attendu
pour une douce élévation.
Et tu es venu,
franchissant nous deux le seuil de la maison.

séparateur-de-texte-png-6 - SOLE D'ITALIA

 

 

Le bout de mon doigt

Au bout de mon doigt,
le droit, immaculé,
ton cœur a bien tendu son arc.
Il n’y a pas de flèches derrière toi,
ni devant toi.

Au bout de ton arc tendu,
en dehors de tous et de toutes,
se trouve la racine sacrée.
La tienne et la mienne.
Nourrie de prières
non pas à genoux,
mais debout, dans l’amour.
Au milieu de tout cela.
Là où la lumière est vivante.
Tout comme moi, tout comme toi.
Je me suis arrêtée.
C’est ici que je me suis arrêtée.
Là où se trouve ma cellule.
Là où mon doigt est transpercé par ta flèche.
La flèche de l’arc tendu par ton cœur.
C’est ici l’éternité.
Je suis devenue un lac.
Profond.
Je n’avais nulle part où couler
et j’ai laissé mon être entier
à mes rives boire de l’eau.
De ta main tendue
un chemin s’est ouvert
fluide.
Timide.
De la pluie que ton baiser
abandonne
des pierres blanches tombent, fondation.
J’ai la trace de ta pensée.
J’ai ta blessure dans mes paumes.
Quand la lune me réclamera,
je germerai dans le premier
et le plus chaud des mots.
En silence.
Personne ne se cache.
Ton pied ne marche pas sur mon herbe.
Tu es ma mesure.
Des rochers de mes sources
ma grâce commence
et des chants ronds se déploient
en accord avec ce que tu es,
en accord avec ce que je suis.
Le chemin n’est pas le tourment, mais la joie.
Ce n’est pas la souffrance qui est le don,
mais l’amour.
Je souris
et du bout de mon doigt,
le droit, l’immaculé,
une rose a éclos.

séparateur-de-texte-png-6 - SOLE D'ITALIA

 

 

Les braises des incendies passés

Sans sentir la douleur
tu ne comprendras pas que tu es la braise des incendies passés
et tu dois chercher tes yeux
là où tu n’as jamais pensé qu’ils pouvaient être aperçus.
Jusqu’à ce que tu voies les bénédictions
au-delà des prières
et que tu ne colleras pas tes oreilles à la étendue de la terre
tu ne pourras pas apprendre par cœur
les battements de ton cœur,
le son de l’océan
qui pleure de douleur.
Ton toucher retient
la bande de sable qui unit les mondes
en toute quiétude.
Alors, tu es libre,
quand tu t’efforces
de donner un sens au mot,
lorsque chaque lettre
réclame ton attention,
quand la pluie te bénit
te nettoyant du mal que tu as amassé
en pensant que c’est de ta faute.
Alors, tu deviens chemin,
quand tu te laisses piétiner
par des pèlerins mesurant leur foi
aux pas de leurs pieds ensanglantés.
Alors, tu deviens amour,
quand tu laisses Dieu
respirer à travers toi,
attendant l’instant de l’aube
avec la même fraîcheur avec laquelle l’eau
jaillit du rocher
pour étancher la soif des voyageurs
dispersés par le vent de l’existence.
Alors, tu deviens instant,
lorsque tu frappes avec ta tempe
contre le sablier qui a été ton maître
jusqu’à présent
et le passage à travers la grande porte
te révèle, toi, grain pur,
avide de fruits.
Ainsi, tu es la vie,
quand ta pensée
apprend l’altruisme
et que la graine de lumière
germe dans ton ventre, s’enracine.
Ainsi, tu es enfin lumière,
lorsque tu laisses être tout ce que tu es,
quand les vêtements et les masques
que tu as portés pendant des saisons
coulent sur ton corps sans trouver
quelque chose à quoi s’accrocher désespérément,
lorsque tu guides des âmes pour la première fois
en sachant que tes pas n’écrasent pas l’herbe,
parce que tu es toi-même le tout premier brin.

séparateur-de-texte-png-6 - SOLE D'ITALIA

 

 

La grâce d’être coquelicot

Tu crois que j’ai peur de tes semelles boueuses ?
Ce sont les mêmes que celles de n’importe quel autre salaud.
Tes bottes non plus
garnies de pics
ne me font pas frissonner.
Ce n’est pas la première fois,
Ce ne sera pas la dernière.
Quelle drôle d’idée ?
Penser que
si tu couvres de tes semelles
tout mon être,
quelque chose en moi
se brisera.
On dirait que c’est toi, l’inhumain,
Qui n’as aucune idée de ce qu’est la grâce,
tu n’as aucune intuition,
tu ne vois pas
au-delà de ton orgueil,
qui te rend aveugle
souvent jusqu’à la stupidité.
Mes couleurs vives t’ont-elles effrayé
ou t’es-tu souvenu du sang ?
Regarde-moi bien !
J’ai l’air frêle, ridé,
aérien, rêveur,
mais je n’ai pas peur de toi.
Être un coquelicot est une grâce
que Lui
dans son grand amour,
a choisi de m’offrir.
Il savait que cela me convenait.
Qui suis-je pour Le contredire !
Je ne peux que L’écouter
lorsqu’Il me murmure
que je peux accomplir ce
qu’est ma mission et la mener à bon port.
Venant des Cieux,
une folle tempête
a brisé sur son passage l’être entier.
Je me suis jeté
aux pieds des racines des âmes
que la délivrance a mis en lumière
et j’ai retenu mon souffle.
Les leçons de la vie,
si tu les apprends,
t’aideront à t’élever
quand les autres pensent
que tu n’as plus de force.
Au premier rayon de soleil,
la rosée m’a aidé à me relever.
Et aucune autre fleur
n’a dépassé mon éclat.
Ce n’était pas le seul spectre !
J’ai rencontré des démons encore plus forts
qui se sont efforcés
de plonger mes racines
dans le venin que j’ai recueilli au cours du dernier millénaire.
Mais c’est une grâce d’être un coquelicot…
Dans ce que tu vois comme une faiblesse
réside ma force.
Dans mon nom se cache la vérité
que tu n’atteindras jamais.
Tu as bouleversé la famille
dont je fais partie
avec tes semelles boueuses
et la haine sur ton visage
aurait pu faire peur,
peut-être
à d’autres familles de fleurs.
Je suis un coquelicot
et quand tu repasseras
mon chemin,
regarde-moi, je te prie !
Je suis plus vivante que jamais.
Alors que tu dors sans repos,
tu marches sans dormir
et tu cherches sans trouver.
Juste si tu demandes
pardon à la terre
d’où nous sommes sortis ensemble,
au ciel qui nous a consolés tous les deux,
à l’eau qui a étanché notre soif,
à l’air qui nous a appris la liberté
et au feu que je suis
tu pourras sortir
de l’obscurité de l’esclavage
de mes semences.
Ce que tu ne sais pas
c’est que la grâce d’être un coquelicot
est venue avec la patience
et, après avoir été guéri,
j’attends que tu sois pardonné !

Loreta Popa est une poète roumaine née à Bucarest en 1968. Elle a débuté en littérature avec « Scrisori pentru Ema » [Lettres pour Ema] (Editions Semne, 2009), suivi de « Povestea Lupului Albastru » [L’histoire du loup bleu], « Scrisori de dragoste , Acum » [Lettres d’amour, Maintenant]- 2010 (Editions Mateiaș), « Cântecul culorii » [La chanson de la couleur] – 2011 (Editions Neverland), « 33 » – 2015 (Editions TracusArte) et d’une réédition de « Scrisori pentru Ema » (2017, Editions For You). Après 30 ans de presse culturelle, un passage comme rédacteur et éditeur aux journaux Dimineața, Cronica română, Vocea României, Sport XXI, Național, Jurnalul Național, Revista Cariere, Taifasuri, Evenimentul Zilei et comme rédacteur en chef du Jurnal Spiritual, elle est depuis janvier 2017 Responsable des relations publiques au Musée national de la littérature roumaine.

(Traduction du roumain, Dan Burcea)

Crédits photo, Dan Marinescu

Print Friendly, PDF & Email
Partagez cet article