On dit que tout ce que nous recevons dans la vie est soit une récompense, soit une leçon qui nous aide à monter une marche vers l’évolution. On dit aussi que l’être humain choisit le temps, le lieu et la vie qu’il souhaite vivre. Si tout cela était vrai, cela signifierait que tout ce qu’il nous arrive à présent est dû à notre choix de « l’au-delà » pour ici-bas et que toute expérience supposerait d’une manière ou d’une autre « une préparation préalable ». Et cela, au moins de point de vue spirituel, car l’être humain – cet être conscient – a su ancrer sa vie dans un vortex quotidien d’où il lui était impossible d’en sortir, tout en étant condamné à tendre vers « un bonheur tant rêvé », défini génériquement par le calme, le temps libre et la compagnie des êtres chers.
Il y a quatre-vingt-dix ans, Bertrand Russel partait « À la recherche du bonheur » dans une exploration philosophique équilibrée, en essayant d’identifier les causes à la fois du malheur et du bonheur.
Une des causes d’être malheureux, selon Russel, c’est l’ennui, défini comme étant le sentiment qu’éprouvent les gens en l’absence d’événements aptes à les aider à faire la différence entre un jour et son lendemain. Malgré le confinement, on ne peut pas affirmer que les gens manquent d’activité et s’ennuient, car des personnes utilisant le télétravail sont beaucoup plus occupées qu’en allant au bureau, ce qui nous amène à croire qu’il y a un bénéfice dans tout ça, au moins en termes de temps – en étant exonérés du trajet quotidien et des embouteillages – et surtout en termes de sérénité. Et voici que l’Univers nous a conduit à nous arrêter dans cette manière folle de vivre, engendrant des conditions « d’œuvrer » intensément à notre bonheur tant rêvé.
Russel affirme dans son essai que l’être humain est avant tout un être terrestre et que la Terre connait un processus d’évolution lent, ce qui interdit donc à celui-ci d’emprunter un autre rythme que celui de la nature. Le philosophe ne fait que réitérer les affirmations de ses prédécesseurs qui, en s’adressant aux générations du début du XXe siècle, avaient tracé à leur manière une voie dans ce sens. Le syntagme grec relatif à une certaine lenteur d’agir, reprise ensuite par Auguste à travers la fameuse « festina lente » et plus tard par Boileau encourageant les Français à « se hâter lentement » prend ici tout son sens renvoyant à son acception plus ample, celle « de faire les choses lentement et de la manière la plus aboutie ». C’est, d’ailleurs, la leçon qui nous est donné actuellement par la nature qui exige de notre part de respecter un rythme lent.
L’histoire a ensuite pris corps dans la littérature, cette forme artistique définie par un des contemporains de Russel, John Burroughs, comme « un investissement de génie qui paie les dividendes pour les œuvres futures », fruits dont nous profitons pendant ce calme tant désiré et impossible auparavant. Quelques sources du bonheur imaginé par Russel sont à notre disposition – la famille, le travail, l’envie de vivre, les intérêts personnels – et la lecture. Nous profitons de pouvoir voyager à travers notre esprit, de nous évader des contraintes du temps et de l’espace, dans un monde peuplé de personnages à l’intérieur des pages que nous lisons. Nous pouvons ainsi mieux comprendre ce qui a été écrit auparavant. Les « dividendes » de Burrough sont palpables grâce à l’histoire passée, sauf que la vitesse que nous avons donnée à la vie contemporaine nous empêche d’en profiter.
En ce moment de pause planétaire, profitons de la chance qui nous est offerte pour gouter aux plaisirs quotidiens qui nous étaient jusque-là inaccessibles, et n’oublions pas que les grandes idées sont nées dans le calme. Si l’expérience du coronavirus est une bouleversante leçon que nous devons intégrer dans notre évolution spirituelle, apeurés que nous sommes par les statistiques qui se déversent sur nous de tout part, la peur de la mort nous oblige à regarder de plus près le sens de notre destinée et celui de la vie en général. L’avenir est incertain, et la survie, la suprême récompense.
Adriana Ungureanu est docteur en économie et affaires internationales roumaine. Elle est co-auteure de deux livres d’économie et de quatre romans : Femeia la 40 de ani. Pe Facebook (2014), M-am născut să te întâlnesc (2015), Artista (2016) tous les 3 publiés aux éditions eLiteratura. Son dernier roman Urma pașilor ei-Iulia Hasdeu între viață și nemurire (2019) a été publié aux éditions EIKON. Elle collabore à de revues comme Cross-Cultural Management, Cronograf, Literatura de azi, Revista Nouă, Rotonda Valahă, Independența Română, Apollon et Mesaj Literar.
(traduit du roumain par Dan Burcea)