C’est une maison esseulée sur une terre doublement isolée : par la mer Égée et par le Covid-19. Je suis arrivée à temps. Les étrangers n’ont plus le droit d’embarquer pour Cythère, même en robe à crinoline, avec des amours folâtrant dans l’azur, ni de longer les côtes rocailleuses, d’admirer les myrtes de “l’île des doux secrets et des fêtes du coeur ”. Watteau a rangé ses galants et Baudelaire son pendu.
Désormais tout est captif, les villageois entre les murs blancs, les bateaux sur les eaux céruléennes : Eleni, Iannis ou Agia Maria ne sortent plus pêcher. Jour et nuit, la digue s’arrondit dans l’inertie et la solitude, dans l’autarcie et l’abandon. Seuls les éléments brisent le silence. Poséidon et Éole respirent fortement en duo. Ces bruits marins et aériens enrobent le port mort, où errent les chats aux fourrures lissées par le vent, perdus plus encore dans ce vide obsédant.
Aérez pour chasser le virus, conseillent les médecins. Éole ici s’en charge, aère l’île entière en livrant, par les croisées ouvertes, les senteurs tièdes de pins, iodées de l’écume où naquit la déesse Aphrodite.
Tumultueux ou nonchalant, le dieu des souffles est tenace, entêté, persistant. Il règne sur le fort vénitien et les dômes byzantins, les oliviers et les chèvres sauvages descendantes d’Amalthée, la nourrice de Zeus. En ces jours de pandémie, les îliens le vénèrent presque. Si la mauvaise étoile luisait, si le mal débarquait à Cythère par les derniers ferries, ils espèrent que sa force l’emportera vite et loin, très loin de la terre. “Par delà le soleil, par delà les éthers”, comme dit le poète.
Céline Debayle, ex-journaliste, a écrit plusieurs ouvrages, dont une biographie de Lawrence d’Arabie. Son premier roman, “Baudelaire et Apollonie”, paru en mai 2019 chez Arléa, a été bien accueilli par les lecteurs et la presse. Il a figuré dans la liste finale du Prix du Premier Roman 2019.
Son deuxième roman sortira à la rentrée 2020, également chez Arléa.