Malgré ce que la plupart des lecteurs pensent – et même malgré ce que certains écrivains proposent comme motivation à leur profession – écrire n’est pas tout à fait un projet de vie. On ne devient pas écrivain parce que l’on se l’est proposé depuis son enfance. C’est seulement une de ces versions « sages » de l’histoire, celles qu’on est tenté de servir au monde parce qu’on sait qu’elles sont plus faciles à avaler par les autres.
En fait, être écrivain c’est une sorte de malformation avec laquelle on naît. Il n’est pas rare de la ressentir comme un vrai handicape. L’enfant ainsi né n’est pas forcément un enfant heureux. Ni ses parents d’ailleurs, car écrire est considéré, dans pas mal de sociétés, comme une perte de temps, une occupation trop frivole pour les hommes ou, quand on est femme, le signe d’un penchant dangereux vers une vie de péché. Il peut donc vous arriver de passer une bonne partie de votre vie en essayant de supprimer, par honte, ce bizarre et inexplicable désir d’écrire. Mais ce n’est pas si simple que ça.
Écrire, c’est pire que fumer, car fumer c’est une simple habitude qu’on apprend tandis qu’écrire nous vient d’une profondeur cachée à l’intérieur de nous-mêmes.
Écrire n’est qu’un faux moyen de nous calmer, mais qui agit en fait comme une manière insidieuse de nous ravager. On le pratique malgré nous, une fois et encore davantage, se disant toujours que cette fois c’est la dernière, comme dans ces relations amoureuses à la fois toxiques et pleines de volupté.
Écrire est un jeu de motivations qui fonctionne comme un jeu de miroirs : on écrit pour se raconter à soi ; on écrit pour raconter le monde au monde ; on écrit pour expier des souvenirs et pour se souvenir de ce qu’on a oublié. Mais surtout on écrit parce ce qu’on ne peut pas faire autrement.
Finalement, tout comme partir, mais par d’autres chemins, écrire, c’est mourir un peu. C’est pourquoi, après avoir mille fois essayé de s’échapper à son destin, après avoir été mille et une fois vaincu, mille et deux fois victorieux, un écrivain finit par devenir la somme vivante de toutes ses morts.
Alina Pavelescu, 28 août 2020
Alina Pavelescu est une historienne et archiviste roumaine. Elle est docteur en sciences politiques de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Ses débuts littéraires datent de 2016 avec le roman Moștenirea babei Stoltz aux Editions Herg Benet. En 2019 elle a publié le roman Sindromul Stavroghin, aux Éditions Humanitas, dans la collection Scriitori români contemporani. Elle est l’auteure de proses courtes publiées dans de revues littéraires comme Jeni, dans Viața Românească, (2017) ; Povestea fetiței celei proaste, în Actualitatea Literară, (anul IX, nr. 78, février 2018). D’autres contributions dans des volumes collectifs, comme Alegerea, dans In the mood for love. Antologia prozei erotice feminine, coordonée par Marius Conkan, Éditions Paralela 45, 2019; Sfânta Paraschiva a păduchilor, în Cartea întâmplărilor. Mistere, ciudățenii, uimiri, coordonnée par Tatiana Niculescu, Éditions Humanitas, 2019; Școala vieții, în Viața pe Facebook. Dau like deci exist, coordonée par Cristina Hermeziu, Polirom, 2020.