Nous reprenons ici, avec l’accord de l’intéressée, l’interview de Gabrielle Danoux, publiée le 12 septembre 2019, sur le blog des Lectures de Cannetille:
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Quel a été votre parcours et qu’est-ce qui vous a amenée à la traduction et à l’écriture ? Êtes-vous de langue maternelle roumaine ?
Une fois arrivée en France j’ai poursuivi des études de lettres et de droit. C’est en 2006, en écoutant le CD d’Olivia Ruiz, La Femme chocolat que j’ai eu un déclic. Il y avait en roumain aussi une femme chocolat. J’ai donc, naturellement commencé à m’intéresser aux traductions du roumain et à en constituer une bibliothèque. Lors de mes lectures, je comparais de plus en plus l’original à la traduction, en constatant avec amertume qu’à une certaine époque des « coupes » étaient pratiquées.
En 2012-2013, j’ai suivi les cours de l’ITIRI de Strasbourg. Même s’il n’y avait pas de section de traduction littéraire pour le roumain, cela a été une bonne préparation. J’ai pu ainsi bénéficier d’un stage auprès de Laure Hinckel (traductrice de Mircea Cărtărescu entre tant d’autres) que je remercie encore.
Je dirais simplement « énormément ». Elle a redonné, à un moment de doute, du sens à ma vie. Et puis, c’est aussi toute mon enfance, avec des textes classiques qui m’ont inévitablement marquée.
Pour les « morts » c’est l’aspect classique de leurs œuvres. Pour les « vivants », c’est la confiance qu’ils m’ont accordée et leurs affinités avec les précédents. Ainsi, je peux vous avouer avoir connu Violeta Lăcătușu et Daniel Marcu lors du Blecher Fest 2017, à Roman, une joyeuse fête organisée à la mémoire de Max Blecher, dont j’ai traduit Cœurs cicatrisés et Corps transparent. J’ai découvert Jean Bart (Eugeniu Botez) en lisant les articles de presse de Gib. I. Mihăescu, et Emil Gulian en lisant le journal de Mihail Sebastian. Il y a, oui, des correspondances, ainsi qu’un point commun pour la plupart d’entre eux : ils sont passés dans le domaine public.
Paradoxalement, je dispose d’une vraie et grande indépendance grâce à l’autoédition. La diffusion reste très restreinte, voire inexistante, mais je travaille selon une grande liberté. Je choisis les textes qui me plaisent et qui me semblent différents de ce que proposent les éditeurs français en matière de traduction du roumain. Je peux affirmer cela, car j’ai également travaillé avec les éditions Maurice Nadeau pour une commande que j’ai essayé d’honorer au mieux.
Eu égard à ma marque de fabrique qui est une très grande proximité avec l’original, je ne vais pas vous surprendre en vous disant que cela ressemble beaucoup à une dictée. Je transpose tout d’abord, à l’aide de logiciels de reconnaissance vocale le texte à traduire en français et je le retravaille ensuite plusieurs fois, en ayant, à chaque lecture un autre objectif. La concordance avec le roumain, ensuite la cohérence interne du français, ensuite l’orthographe et la grammaire. Puis un correcteur (en chair et en os) intervient avant la publication. Cela est loin d’être parfait, mais me satisfait néanmoins.
Pour les textes en prose : aucune. Je respecte scrupuleusement l’original en conservant y compris des maladresses potentielles, voire des petites incohérences. C’est un choix personnel dicté par une certaine conception du droit moral de l’auteur qui est imprescriptible. J’endosse une grande responsabilité en traduisant, notamment quand il s’agit d’auteurs dans le domaine public, pour lesquels je ne dispose plus que de documents écrits (quand j’en trouve) pour répondre à mes interrogations de traductrice. Pour les quelques auteurs vivants que j’ai traduits, j’ai pu les consulter amplement, ce qui m’a permis de rester toujours extrêmement proche de l’original. Mon correcteur, veille cependant à ce que les tournures soient idiomatiques en français.
Pour la poésie, cela m’arrive toutefois « d’adapter » (en utilisant des synonymes plus éloignés d’un point de vue sémantique), pour les besoins de la prosodie et des rimes.
En réalité, l’écriture du Chemin du fort précède, largement même, le début de mon activité de traductrice. Il date de 2010 et répond à un besoin quasi thérapeutique d’exprimer des doutes et des angoisses plus anciennes. Ce n’est qu’en 2016, alors que j’avais déjà plusieurs traductions à mon actif, dont notamment, « l’éprouvante » Poupée russe de Gheorghe Crăciun, pour les éditions Maurice Nadeau, que j’ai décidé, un peu sur un coup de tête, de publier aussi Le Chemin du fort (suivi de Ma nouvelle) pour précisément annoncer (cf. les derniers mots du livre) mon fervent désir de traduire.
Sans aucun doute, c’est traduire que je préfère, même si effectivement on éprouve parfois une certaine frustration. Celle-ci, disparaît très vite lorsqu’on se met humblement au service d’un auteur dont on aime (parfois éperdument) le travail et qu’on arrive ainsi à le sortir de l’oubli.
Les œuvres de Linda Lê et j’aime aussi beaucoup faire des balades à vélo avec mes enfants.
J’ai récemment remis à mon correcteur les épreuves finales d’un volume de vers de Daniel Marcu, L’Académie de l’air et j’ai commencé la traduction d’un roman plus long de Violeta Lăcătușu qui s’intitule Le Simurgh.
C’est moi qui vous remercie beaucoup. C’est un honneur pour moi de pouvoir figurer sur votre blog et j’en suis très fière.
(Interview de Cannetille, le 12 septembre 2019)