Je ne peux pas m’empêcher de revenir, en cette période de confinement, vers les souvenirs de mon enfance passée dans la rue du Parfum, l’inoubliable strada Parfumului de Bucarest. Je suis retournée plusieurs fois dans ce quartier, certaines maisons ont été achetées et rénovées (comme celle où j’ai vécu), d’autres sont presque tombées en ruine, l’école de musique a fermé, les spéculateurs immobiliers étant impatients de la voir tomber en ruine (pour information, il s’agit d’un monument historique) pour pouvoir construire à la place une barre d’immeuble plus rentable que le petit châtelet des boyards d’antan, et je me rends compte que je ne peux regarder ces lieux qu’en les apercevant tels qu’ils existent dans mon souvenir, que leur âme habite désormais mon âme et que, probablement, ces choses resterons pour toujours ainsi.
En dehors d’une famille amie qui habite toujours la maison voisine à celle qui fut la mienne, je ne sais pas qui habite aujourd’hui ces maisons. Avant, il y avait un mélange très coloré et spectaculaire de juifs (des anciens propriétaires de ce célèbre quartier), d’artistes (des metteurs en scène, des acteurs, des écrivains, des danseurs de ballet) et de tsiganes. Aujourd’hui on les appelle des Roms, c’est un terme accepté partout. À l’époque ce terme n’existait pas, nous savions que l’on pouvait les appeler tsiganes sans qu’ils se sentent offensés ou menacés. Ils étaient nos voisins, nous allions ensemble à la même école, ils faisaient partie, comme les artistes, comme les vieux juifs restés dans le pays, de ce tableau pittoresque. Certains d’entre eux n’y sont plus, d’autres sont partis, beaucoup de maisons ayant été revendiquées par leurs anciens propriétaires.
Je vais vous raconter une histoire exceptionnelle relative aux propriétaires de la maison où j’ai habité. Cela s’est passé dans les années ’80, pendant l’été. Dans la petite cour, pleine de fleurs de boules-de-neige et de roses, mon père avait installé un bassin pneumatique où nous, les enfants, nous passions la journée à patauger. Soudain, la porte donnant vers la rue s’est ouverte et une dame assez âgée, parlant français, a demandé qui était le propriétaire des lieux. Mon père, très courtois, l’a invitée à l’intérieur, suivi par la bande des curieux que nous étions. Une fois arrivée dans le couloir, la dame a fermé les yeux, a levé le bras gauche et nous a dit « ici, près de la fenêtre, il y avait mon piano ! ». En ouvrant les yeux, elle a regardé vers la gauche, vers la fenêtre qui donnait vers la rue, au même endroit où se trouvait maintenant un piano Blüthner, le mien. Elle a posé son sac sur une chaise, s’est installée au piano et a commencé à jouer du Chopin.
C’est ainsi que j’ai connu Judith, l’ancienne propriétaire de cette maison bâtie par ses parents, maison qu’elle avait perdue lorsque ceux-là ont émigré en Israël. Elle était professeur de piano à Paris. Elle n’avait personne et nous sommes devenus sa famille, jusqu’à sa disparition dans les années ’90. Elle venait tous les ans chez-nous pour les fêtes, me donnait des cours de piano, en essayant de se rappeler des mots en roumain ou en yiddish en parlant avec ma grand-mère d’origine polonaise, et, une fois rentrée à Paris elle tenait avec mon père une correspondance assidue en français. Je garde toujours en sa mémoire des objets lui ayant appartenus, quelques photos, beaucoup, beaucoup de partitions et une petite montre en or qu’elle avait portée étant jeune et qu’elle m’a offerte lorsque je suis devenue à mon tour une adolescente.
Medeea Marinescu est une comédienne roumaine.
Elle débute à l’écran à trois ans, dans L’HIVER DU CANETON de Mercea Moldovan (1977). Elle grandit sur les plateaux de tournage, avec TEST DE MICROPHONE de Mircea Daneliuc (1980), MARIA MIRABELLA de Ion Popescu-Gopo (1981), SEUL EN GARDE de Tudor Marascu (1983), RETOUR DE L’ENFER de Nicolae Margineanu (1983), KILOMÈTRE 36 d’Anghel Mora (1989) et MISS CHRISTINA de Viorel Sergovici (1992).
Elle devient aussi la jeune actrice fétiche de la réalisatrice Elisabeta Bostan, pour LES SALTIMBANQUES (1981), PROMISES (coréalisé par Virgil Calotescu, 1985) et LE SOURIRE DU SOLEIL (1987).
Plus tard, elle brille dans MYCLOCHE de Danniel Danniel (1995), GARDEZ UN ŒIL SUR LE BONHEUR d’Alexandru Maftei (1999), LE LIT DE PROCUSTE de Viorica Mesina & Sergiu Prodan (2001), et intègre le Théâtre National de Bucarest, où elle joue Tchekhov, Goldoni ou Anouilh.
Elle entame aussi une fructueuse collaboration avec la France, dès ses rôles dans les téléfilms « Une mère comme on n’en fait plus » de Jacques Renard (1997) et « Le Record » d’Edwin Baily (1999). Elle planche aux castings roumains de « Natures mortes » de Patrick Malakian (2000), « Meurtres sous hypnose » de Gérard Cuq (2001), « Une femme piégée » de Laurent Carcélès (2001), « Accords et à cris » de Benoît d’Aubert (2002), « Ariane Ferry » (2004), et du film UNE PLACE PARMI LES VIVANTS de Raoul Ruiz (2003).
Isabelle Mergault la révèle ensuite au grand public francophone dans la peau d’Elena, jeune mère roumaine sélectionnée par une agence matrimoniale, pour contenter un agriculteur veuf français, incarné par Michel Blanc, dans JE VOUS TROUVE TRÈS BEAU (2005, photo). L’auteur-réalisatrice la rappelle pour DONNANT DONNANT (2010), où l’actrice incarne Silvia, jeune femme esseulée en quête d’ailleurs, et prête à tout pour faire disparaître sa mère adoptive (Sabine Azéma), face à Daniel Auteuil.
Medeea Marinescu continue aussi de briller sur les écrans roumains, dans la série « Médecins mères » (2008) et dans le film WEEK-END AVEC MA MÈRE de Stere Gulea (2009).
Elle a été désignée Ambassadrice pour le Climat 2015 et a été décorée avec l’Ordre Steaua României au grade de Cavalier par le Président de la Roumanie en 2006. En 2017 elle est devenue Chevalier de l’Ordre National du mérite français.
Actuellement, elle joue sur la scène du Théâtre National de Bucarest et sur d’autres scènes de théâtre du pays dans de nombreux tournées. Un des plus récents est à Paris en 2020. Elle est mariée avec le directeur photo George Dăscălescu avec qui elle a deux enfants, Luca et Filip, tous les deux élèves à l’Ecole française Ana de Noailles de Bucarest.
(Traduit du roumain par Dan Burcea)