L’AUZOU, dictionnaire, trace deux acceptions : action de tenir ou de se tenir enfermé dans un espace restreint; l'”enceinte de confinement” est une installation destinée à empêcher la dissémination des produits radioactifs d’un réacteur nucléaire.
La réflexion sur les diverses composantes de ces définitions nous amène à proposer quelques pistes.
- Si le confinement, historiquement réservé aux malades dits pestiférés, et à la clôture conventuelle (ah! ces Carmélites qui ne laissaient entrer personne, foi de la “clôture, grille” de leur ordre : cf. le beau “Thérèse” de Cavalier, sans doute le plus grand cinéaste français vivant, Chèvre de 1931), s’est imposé, pour des motifs sanitaires à tout un chacun, il donne à réfléchir sur les échanges intérieur/extérieur que nous assumons sans cesse. Nous voilà confinés, coupés des autres, de l’extérieur; masqués pour (me, les) protéger.
Ferrat, dans sa plus belle chanson, “On ne voit pas le temps passer” décrivait, dans un achélème de ces années-là, 1965-1966, l’espace restreint, la portion congrue entre fenêtre et cuisine, dévolu à une ménagère, pauvre, travaillant chez elle, coincée entre mica, armoire et tablette de cuisine.
On diffusait, il y a deux jours, un reportage, où une famille en terre de confinement subissait, à cinq personnes, l’espace “restreint”, étroit, d’onze mètres carrés. Souchon dénonçait, pour une seule personne, emprisonnée, les “Huit mètres carrés” de sa détention… Nous ne ferons pas de commentaires.
- La liberté de se mouvoir, la voilà interdite. On voulait causer à qui de droit. Masque; distanciation physique. On voudrait. Non. Confinement des âmes qui souhaiteraient en dire plus, toucher l’autre, échanger. Non. Lex dura sed lex, disaient les Romains, aujourd’hui bien touchés dans le nord surtout de la péninsule.
- L’être, par essence, échange, communique, dissémine, sème.
Le voilà emprisonné. Le voilà réduit à jouer du virtuel comme on rêve.
Le voilà frustré. D’échanges. De tendresse. D’amour. Le baiser, ce sera pour novembre, madame !
On voudrait tant se con-fier ! On se confine.
- Le pouvoir, pour des motivations sanitaires, a imposé – et c’est de bon aloi, et c’est une sécurisation collective – des règles qui nous briment, qui nous handicapent, font de nous des “porteurs de masques” puisque je suis un potentiel agent du mal et que l’autre aussi l’est. La culpabilité joue à plein tube son effet destructeur.
Il faudra, déconfinement venu, assurer cette souffrance d’un baume réparateur.
- Le confinement a porté ses fruits. Les gens ne prenaient plus le temps de parler, de s’arrêter, de se soucier de l’autre. Et l’altérité en avait pris pour son grade : le silence, l’échange vrai, la demande, le simple souci d’autrui ont franchi le mur de l’égoïsme. Grands dieux : d’un mal, un bien ; la leçon philosophique est plus vraie dans les faits que l’adage éculé !
- Métaphysiquement, l’être, confiné, c’est l’ordinaire de sa pensée. La solitude du vivre et de la pensée, n’est-ce point, à lire dans tous les sens, un confinement?
Vivre : c’est se confier chaque jour au confinement, cette réflexion secrète, inavouée, attentive, intérieure, bref, confinée. La conscience est l’extrême, selon moi, du confinement : on pèse, on pense, on balance (au sens de pesée morale) les charges. La conscience déroule pour soi seul – dans l’étroitesse d’un confinement porteur – la beauté de sa tâche.
- Et notre mémoire, ce confinement des paradis perdus. Dans la ferveur du souvenir sous le front, sous les tempes, dans cet espace confiné de ce qu’il est possible de regagner de l’exil, de l’exclu, du perdu…
- Au cinéma, que de séquences de confinement qui emballent l’émotion : Antonietta, dans sa cuisine de l’immeuble de rapport Viale Ventuno Aprile, que Scola l’admirable propose d’investir – grue faisant au tout début de l’opus -; le petit garçon confiné derrière la vitre d’un train, entouré de deux sœurs qui se détestent, l’une tuberculeuse, l’autre nymphomane dans l’univers sans issue d’un Bergman du “Silence”; le confinement du berger Ledda, qu’un père patron dictateur enserre dans les griffes de la tradition bêtifiante que les frères Taviani enrobent d’une musique inoubliable – poste jeté par le père dans l’étroite cuisine, chant repris par le fils victorieux de ce nabab des pauvres -; …
- On a perdu un peu le mot de “quarantaine” pour celui de confinement. La mise à l’écart et le retrait. Qui se met à l’écart protège l’autre et se met à l’abri de toute intrusion.
L’occasion donnée de réfléchir à cette sorti de repli sécuritaire, sanitaire.
De longtemps, plus personne n’avait pris le temps de scruter l’intimité, l’intime vérité de son “chez soi”, avec ou sans balcon, de regarder à l’aise de sa fenêtre, de ralentir ainsi la fuite du temps que presse la civilisation.
- La réclusion imposée aura donné des concerts improvisés, d’une terrasse l’autre, des hommages concertés aux soignants de première ligne, aux victimes, des gestes de convivialité retrouvée.
Certain(e)s auront tiré profit de ce confinement contraint et accepté pour réfléchir un peu plus loin que le simple déroulé du temps d’action. (à suivre)
Philippe Leuckx est un écrivain et critique belge. Auteur d’une cinquantaine de recueils de poésie. Plusieurs études sur Pavese, Proust, Simenon, Vandenschrick. Plusieurs prix pour des livres de poèmes : prix Emma-Martin pour Selon le fleuve et la lumière (2011), Prix Robert-Goffin et Gauchez-Philippot pour Lumière nomade (2015), Prix Charles-Plisnier pour L’imparfait nous mène (2018).