En ces temps où nos certitudes vacillent, où l’avenir nous apparait en pointillés, les fonctions de la littérature doivent rester les mêmes. Pour ceux qui manient le verbe, il s’agit de jouer de l’extraordinaire faculté qu’ils détiennent, celle de permettre aux lectrices et lecteurs de s’évader, au sens originel du terme. « S’enfuir, s’échapper furtivement d’un lieu où l’on était enfermé ou retenu » nous dit le Larousse. Actuellement, le corps est assigné à résidence par le devoir citoyen et les circonstances. Ou se trouve au mieux en liberté très surveillée. Mais l’âme garde, grâce aux livres, le pouvoir de prendre la tangente, d’explorer les chemins du monde, de se réinventer sous de multiples identités. Et d’y trouver des résonances qui pourront l’aider à affronter l’après… Il y a quelques années, je me souviens ainsi d’avoir fini en larmes Sépharade, le roman d’Eliette Abécassis même si je ne ressemble en rien à son personnage. Mais je trouvais qu’elle exprimait quelque chose d’extraordinairement fort et violent sur les injonctions qui pèsent sur les femmes. La deuxième vocation que sont susceptibles d’avoir les mots que nous livrons, c’est à mon sens de susciter la réflexion, d’emmener ceux qui s’immergent dans nos ouvrages vers des terrains où ils ne seraient pas forcément allés spontanément. Parfois, il est peut-être possible de déconstruire des préjugés, de juguler l’intolérance par ce biais-là ou de susciter des prises de conscience. En revanche, là où les gens de plume ne me semblent pas utiles, c’est lorsqu’ils dissèquent jusqu’à l’insignifiance la plus creuse les infimes détails de leur quotidien de confiné, comme le pratiquent certains d’entre eux actuellement via les réseaux sociaux ou le feront d’autres à travers les nombreux ouvrages qui ne manqueront pas de paraitre à ce sujet… Il serait déplacé, voire indécent, de croire que parce que nous avons la chance d’être édités, ce qui se passe sur notre petit continent personnel, nos menus états d’âme méritent d’être tous relatés sans exception. D’habitude, le temps que l’on accorde à l’écriture opère comme un tamis entre ce qui mérite d’être raconté ou pas. Avec l’instantanéité, ce filtre a tendance à être aboli aujourd’hui et je ne suis pas sûre que notre métier en sorte véritablement enrichi…
Bénédicte Flye Sainte Marie est journaliste en presse magazine et auteure de trois ouvrages parus aux éditions Michalon “Le pouvoir de l’apparence”, “PMA, le grand débat” et le dernier en date “Les 7 péchés capitaux des réseaux sociaux”, sorti le 8 février 2020 qui évoque les divers biais par lesquels les réseaux sociaux influencent et déforment nos comportements quotidiens.