La porte s’ouvre, il va falloir sortir. Nous serons des enfants, des insectes fragiles, des papillons bousculés par le vent. Nous allons redevenir petits. Nous avons goûté à la vie en bocal, à la douceur, voire la tendresse du confinement ; à ce bonheur pascalien de demeurer, enfin, dans notre chambre.
N’avons-nous pas été délestés de ces micro-agressions que sont les prises de décision ? Café noisette ou capuccino. Signature en librairie ou en salon. Venise ou Rome. Train ou avion. Vivre ou écrire ? Ne plus avoir le choix, c’était délicieux. Être lové au fond de son cocon aussi. En revanche, ne plus pouvoir déambuler au hasard des rues, en laissant se déployer et cheminer notre pensée, a entravé notre travail d’écriture.
Tout écrivain est un homme / femme qui marche.
Pourtant, ce brusque retour au réel m’angoisse. Nous savons tous que ce qui se déconfine, sous nos yeux, ce sont des places supplémentaires en réanimation. Il va nous falloir redoubler de prudence. Il va nous falloir exister, masqués et gantés. Il va falloir s’aimer à un mètre. Sans se toucher, sans s’enlacer, sans se respirer, sans se voir sourire. Avec cette montante, inexorable et insidieuse peur de l’autre.
Rentrée chez moi, je ferai fructifier ce que j’ai contenu, retenu derrière mon masque. Mes postillons et mes micro gouttelettes, mes particules élémentaires, ma tristesse, ma rage et mes larmes. Je les placerai entre deux lamelles et je les verrai croître et se multiplier.
La littérature s’écrit sans masque ni gants, en ne cherchant à protéger ni soi, ni l’autre. Que dis-je : en espérant contaminer l’autre avec virulence. Et c’est la raison pour laquelle il nous faut plus que jamais continuer à écrire. Le livre sera, plus que jamais, le lieu de nos retrouvailles, là où nous pourrons nous dévêtir, nous déganter, nous démasquer, nous respirer.
Débarrassée de mon masque chirurgical, je saisirai mon scalpel pour opérer quelques entailles ; inoculer dans mon récit la peur, la joie, la nostalgie, le fou-rire et la fantaisie. Je prierai pour que mon lecteur zéro parvienne à en contaminer deux, trois, dix, vingt 100.000 et plus encore. Et pour qu’une pandémie littéraire survienne, à son tour, grandiose et victorieuse.
Sophie Carquain, 6 mai 2020
Sophie Carquain est une écrivain, scénariste et journaliste, qui a publié une vingtaine de livres dont deux romans, « Manger dans ta main » (Albin Michel) et, en janvier dernier, «Le roman de Molly N., d’après une histoire vraie » (Charleston ed), qui rencontre un franc succès critique et dans les librairies. Elle a également écrit le scénario d’un roman graphique sur Simone de Beauvoir (Marabulles) et publie également en littérature jeunesse, dernièrement « J’aimerais te parler d’elles », (Albin Michel jeunesse), un livre sur les femmes de l’Histoire.
Elle est également journaliste spécialisée en psycho et société, et chroniqueuse d’ouvrages de littérature jeunesse.