Christine Adamo : « Redonner l’épaisseur du vivant »

 

Christine Adamo a accepté de répondre aux 4 questions sur le confinement des Lettres Capitales :

 

Comment avez-vous réagi à l’obligation de confinement et en quoi cette urgence a changé votre quotidien ?

J’adore ce confinement… Il y a si longtemps que l’on ne s’est pas adressé à moi comme si j’avais 5 ans. Au point que j’avais même oublié ce que cela signifiait. Heureusement, une remise à niveau était prévue dès les premières interventions médiatiques De-Tout-Là-Haut. Et finalement, le théorème alors émis (basé sur la loi dite de VNO[1]) s’est révélé simple :

SI / TU N’INTERROGES NI NE CHERCHES LA VÉRITÉ / ALORS / TON CERVEAU S’ENDORMIRA /  DONC / LE RÈGLEMENT TU SUIVRAS  

Facile à retenir, n’est-ce pas ? Bien davantage en tout cas que Pythagore ou Thalès. Et pour quelqu’un qui, face à ses ados et post-ados, se sentait devenir croûton, ce retour en enfance s’avère très rafraichissant.

De plus, une fois entrée dans le moule du confinement, j’ai particulièrement apprécié la pertinence de la règle interdisant aux humains d’investir les espaces naturels. Comment, en effet, n’y pas voir l’embryon d’une politique qui protègera désormais la faune sauvage des dangereux civilisés que nous sommes ? Au moins jusqu’à la réouverture de la chasse…

Comment avez-vous intégré cette soudaine omniprésence de la maladie et cette résurgence de la mort que notre société a si longtemps voulu cacher ?

Lorsque j’enfile mon costume d’auteur de fictions, j’avoue souvent trucider. Mais la silhouette de la mort, pour présente soit-elle, n’est que virtuelle. Je ne m’attendais donc pas à ce que le décompte fait quotidiennement des décès apparaisse à ce point également virtuel. Pourtant, c’était le cas. Aucune souffrance derrière ces chiffres stoïquement annoncés, aucune référence au combat mené par les soignants avant la disparition de la personne disparue, aucune famille éplorée. Seulement une arithmétique macabre à laquelle, comme bon nombre d’auteurs sans doute, j’essaierai peut-être de redonner l’épaisseur du vivant… Si cette période de contraintes et de statistiques s’achève un jour.

Lire, écrire, s’évader dans l’imaginaire, s’aventurer dans la fiction sont-elles, toutes ces portes de sortie du réel, des outils de résistance ou de résilience, pour utiliser un terme plus adapté à la situation ? Et, si oui, comment agissent-elle sur votre manière de rendre compte du monde, accablé à la fois de chiffres macabres et d’espoirs à peine formulées ?

Je ne m’aventure jamais à décrypter le présent.  Pour moi, écrire un roman nécessite le recul de plusieurs mois, voire plusieurs années. Donc une fois encore, j’attendrais avant de « résilier » ce qui se passe en ce moment.

En attendant, j’achève ce qui était en cours lorsque le virus a fait irruption. Chaque jour, la « mise en route » nécessite de se fermer au présent et à l’environnement immédiat pour plonger dans la fiction. Ce n’est pas toujours simple : l’espace de quelques heures, je dois redevenir adulte et cesser d’être l’enfant qui obéit aveuglément. Mais si je réussis à mettre un couvercle sur le mélange de questions, d’appréhensions et de colères qui boue dans ma cocotte-minute… j’écris.

S’il fallait partager une ou plusieurs émotions profondes, une fulgurance de la vie, une lumière timide dans ce chaos qui ne dit pas son nom, laquelle serait-elle ou lesquelles seraient-elles dignes de nommer ?

La lumière qui envahit la pièce autour de moi vient du jardin. En ce printemps, elle est donc verte. Intensément. Or je voudrais que tous, nous ayons accès à ce vert. Je voudrais que tous, nous sachions nous battre pour que la nature qu’il symbolise soit notre avenir, celui de nos enfants. J’ai peur cependant que cela ne reste du domaine de l’utopie, que le monde d’après ne soit qu’une copie du monde d’avant. Une copie qui, une fois de plus, aurait détourné la situation au profit de ce qui a provoqué l’émergence du virus… entre autres.

[1] Vidange-Neuronale-Obligatoire

 

Christine Adamo est une romancière française issue du monde scientifique ; trois de ses romans policiers ont un fond scientifique marqué. Elle est l’auteure de plusieurs romans policiers:

  • Requiem pour un poisson (2005)
  • Noir austral (2006)
  • Web mortem (2009)
  • L’équation du chat (2015)

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