« Après quoi », « après tout », « et après ? »
À travers nos expressions langagières, il semble que notre condition d’êtres humains soit basée sur ce qui nous arrivera « ensuite ». La plupart de nos religions ont toujours promis ou promettent un « après », que ce soit le Walhalla, le Royaume des Cieux, le Nirvana, pour ne citer que ce maigre panel des paradis de tout poil. Point n’est besoin de religion : les athées aussi se projettent vers d’autres lieux de délice, d’autres futurs prometteurs. Nous vivons tellement dans l’après que depuis la nuit des temps nombre de poètes, écrivains et philosophes se sont évertués (et toujours, cassé les dents, car ils n’ont pu nous changer) à profiter de, voire tout simplement vivre l’instant présent. Du carpe diem d’Horace jusqu’aux Cinq méditations de François Cheng, en passant par les roses de la vie de Ronsard. Rien à faire, nous sommes indécrottables.
Dans ces conditions, sans surprise, chacun d’entre nous pense à l’après-confinement. Certains rêvent d’embrasser leurs familles et amis, d’autres au contraire regrettent déjà l’époque bénie où ils pouvaient rester dans leur tanière d’ours plus ou moins bien léchés, avec la bonne excuse que socialiser était interdit. Soit nous nous réjouissons, ou redoutons, voire déplorons ; mais tous, nous bondissons à pieds joints dans l’étang opaque du futur, et tous, nous sommes persuadés que cet avenir ne sera plus jamais comme « avant ». Ah oui, parce que quand notre devenir devient par trop incertain, tout à coup nous nous rabattons sur ce fameux « good ol’ days », concept inventé au néolithique supérieur. Comme quoi le passé peut servir à quelque chose, parfois.
Et mon sentiment, dans tout cela ? J’imagine, mais cela n’engage que mon humble personne, que pendant un an ou deux, ou qui sait, juste quelques mois, cet après-plus-comme-avant-où-qu’c’était-tellement-mieux partira en fumée comme les spores d’une vesse-de-loup, et que la majorité d’entre nous – hormis ceux qui ont subi des cicatrices cruelles pendant cette pandémie – repartiront vers la vie d’avant. Comme si de rien n’était. Parce que j’en suis persuadée : nous ne changerons pas, c’est notre recette de survie.
Et c’est une bonne recette.
Juliette Nothomb – 15 mai 2020
Juliette Nothomb, Belge vivant à Lyon depuis 1999, a passé toute sa jeunesse à l’étranger et notamment en Asie. Elle est romancière et chroniqueuse culinaire pour l’hebdomadaire belge Télépro. Cuisinière autodidacte et passionnée depuis l’adolescence, elle met la main à la pâte dès qu’elle en a l’occasion.
Auteur de trois livres de cuisine (La cuisine d’Amélie, Albin Michel, 2008 ; Carrément Biscuits, La Renaissance du Livre, 2012 ; Carrément Pralines, La Renaissance du Livre, 2013).
Par ailleurs, elle a également publié deux romans jeunesse (Des Souris et des Mômes, Albin Michel Jeunesse, 2010 ; La vraie histoire de la Femme sans Tête, Albin Michel Jeunesse, 2011) ;
Roman culinaire, Les sept canailles de la Bleue Maison, Memory, 2014
Roman d’anticipation, Pénurie dans la galaxie, Editions Acrodacrolivres, 2016
Aux Editions Mardaga à Bruxelles, Aimer Lyon, un guide d’adresses tant utiles qu’agréables (2018).
Publications de 2019 aux Editions Acrodacrolivres :
– Saperlipopette, nouvelles
– Roméo & Julietteke, contes et nouvelles pour petits et grands, illustré par Momo Fuente
– Cuisine politiquement incorrecte, cuisine traditionnelle
– Petit dictionnaire philosophique des vocables et néologismes canins
– Elytra ( jeunesse) illustré par Anya Belyat-Giunta
Aux Editions de la Renaissance du livre :
– Grisou, jeunesse, novembre 2019, illustré par Raphaël Bourgois