Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?
Je suis née à Montpellier et je vis au Japon, à Tokyo. J’aime plus que tout le sud de la France et j’aurais voulu y vivre, mais à l’époque il m’était difficile d’y rester. Vivre dans un pays étranger m’est apparu comme le moyen le plus doux d’être ailleurs, hors du monde. Quand je suis arrivée au Japon, j’ai été fascinée et intriguée par tout ce que je voyais. Beaucoup de choses m’échappaient. J’avais envie d’aller plus loin et de comprendre tout ce que les gens disaient. J’ai appris le japonais. Maîtriser la langue est le seul moyen de saisir les subtilités de la culture d’un pays, de ne pas rester à la surface des choses. Ca fait maintenant douze ans que je vis au Japon. L’écriture est une manière pour moi de garder un lien avec la France.
Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?
Pour vivre de sa plume il faut être très médiatisé, et par conséquent être obligé de donner la réplique aux roquets des plateaux télévisés… Ca me fatiguerait. Il y a trop de lumière et j’ai les yeux sensibles… Je compatis avec les écrivains célèbres qui se prêtent au jeu. Je n’ai pas la télévision chez moi. Je n’y voyais plus de débats, seulement un milieu tristement homogène n’arrivant même plus à donner l’illusion de la pluralité. Ma situation actuelle me convient. Je souhaite très modestement continuer à écrire seulement quand le sujet s’impose à moi, au rythme de mon choix, écrire si je le veux des choses impubliables, arrêter complètement d’écrire et supprimer mes comptes sur les réseaux sociaux demain si ça me chante… Certains auteurs écrivent mieux en travaillant sur des sujets imposés, ça renforce leur créativité, pour moi c’est le contraire. L’inspiration n’est pas sur commande. Si cette activité était mon gagne-pain, ce serait forcément au détriment du plaisir et de la qualité. Exercer un métier me permet de rester complètement libre et indépendante vis à vis des lecteurs et des éditeurs. Je suis en ce moment directrice des opérations dans le secteur du vin, un travail éprouvant à cause des travers de l’entreprise japonaise. Le vin n’y est pour rien… Le vin est un monde très inspirant, je n’ai pas fini de l’explorer. Travailler permet néanmoins de ne pas être complètement déconnecté du monde, et ainsi de nourrir l’écriture. Le problème est que lorsque l’on travaille on n’a pas le temps d’écrire, ou si peu. En général je profite des rares périodes de transition (c’est à dire, de chômage) pour écrire, mais je ne peux pas me permettre de démissionner tous les jours. C’est le dilemme que rencontrent beaucoup d’auteurs. Il y a bien les résidences d’écrivain, mais lorsque l’on doit s’occuper de ses enfants et que l’on a peu de congés, cette option est inenvisageable.
Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?
Enfant et adolescente j’étais très introvertie, asociale selon certains. Au collège je passais du temps à la bibliothèque pour ne pas que le fait que je n’avais pas d’amis soit trop voyant. Je voulais éviter de me faire traiter de « sans-amis », même si c’était évident aux yeux de tous. Je lisais beaucoup. On n’est jamais vraiment seul avec un livre. Chez moi aussi, je lisais pour m’évader du quotidien. Je sautais des repas sans m’en rendre compte tant j’étais absorbée par mes lectures. Au fil du temps, l’évasion que me procurait la lecture ne me suffisant plus à remédier à mon mal-être, j’ai commencé à écrire. Je sentais que quelque chose n’allait pas et je cherchais les mots. Maladroitement. Par la suite, en hypokhâgne, j’ai eu la chance d’avoir pour professeur de Lettres monsieur Michel Théron. Un homme brillant avec beaucoup d’esprit critique. Il m’a permis d’avoir un regard nouveau sur les textes et plus généralement sur le sens de la littérature. Il a écrit de nombreux ouvrages sur le sujet que je recommande, en particulier ceux sur la culture générale et les figures de style.
Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?
Céline, évidemment. Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit disent l’essentiel sur l’homme. Cet auteur a fait plus qu’écrire, il a inventé l’oralité à l’écrit. Ce n’est pas donné à tout le monde d’inventer un style. D’autres auteurs qui m’ont marquée sont Bernanos, Gide, Beckett, Francis Ponge et René Char, en particulier les Feuillets d’Hypnos. La poésie n’est jamais plus belle que dans la résistance.
Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?
J’écris des romans et des poèmes. J’ai également écrit une pièce de théâtre. Je passe facilement d’un genre littéraire à un autre, ils sont complémentaires. La poésie est pour moi le genre de l’intériorité. Je suis incapable d’associer poésie et performance, contrairement à d’autres auteurs qui excellent dans ce domaine, je pense à Patrice Luchet ou à Didier Delahais des éditions Moires. Je trouve que le théâtre se prête bien aux thèmes politiques et sociaux. On m’a fait un jour remarquer que je ne parlais pas d’amour dans mon roman Féerie pour de vrai. Il n’est abordé dans Dévorée que dans de rares passages. L’amour sont des thèmes quasi absents de mes romans mais présents dans mes poèmes. Je ne sais pas pourquoi il en est ainsi. Peut-être parce qu’un poème peut se composer comme un tableau abstrait. La poésie permet de s’exprimer de façon très crue avec pudeur, frontale tout en usant de mille détours.
Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?
J’écris avec beaucoup de reprises. Ce sont plus que des reprises : j’efface et je réécris environ la moitié de ce que j’écris. Je préfère la troisième personne pour les romans par souci de me distancer des personnages. Je n’ai jamais encore osé le « je » dans un roman… Pour le moment je n’ai pas eu envie d’adhérer à un de mes personnages, de lui faire dire tout ce que je dirais ou lui faire penser ce que je penserais. Je pourrais aussi écrire à la première personne en restant dans la fiction, sans faire un avec le personnage. J’ai envie de m’y risquer un jour, mais je ne sais pas quand je le pourrai. La première personne reste très intimidante.
D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?
Pour écrire un poème je dois me sentir traversée par une émotion, une sensation. Les mots doivent au moins restituer cette intensité. Cela se fait dans l’instant. Je l’écris d’un trait et n’y reviens qu’une ou deux fois tout au plus. Je pense que si l’on se demande sur quoi l’on va écrire, c’est que le résultat est à jeter. C’est aussi simple que cela.
Le temps d’une œuvre de fiction est beaucoup plus long, il faut plusieurs années. Un sujet s’impose. Puis vient le temps de la maturation, de la distanciation par l’élaboration de personnages, la fiction et l’humour. J’ai ressenti le besoin d’écrire Féerie pour de vrai à 16 ans, mais je n’en étais pas capable. Des années entières sont nécessaires pour comprendre, s’affronter et rire. L’écriture proprement dite du roman n’a duré que 2-3 ans, mais de mon point de vue il m’a fallu 20 ans pour l’écrire. Les mots donnent une réalité aux choses. Parfois on n’a pas envie de faire face à des choses qui dérangent, on se dit que si on ne les écrit pas les mauvais souvenirs périront plus vite dans les oubliettes, mais c’est le contraire qui se passe. C’est l’écriture qui permet de tourner la page. L’inspiration vient de ce que l’on vit individuellement et collectivement. Un roman doit dépasser son propre univers pour s’élever vers la sphère collective. Sinon ce n’est pas un roman, ce n’est qu’un journal intime.
Il faut également bien maîtriser son sujet. En ce qui me concerne, je trouve qu’il vaut mieux s’abstenir d’aborder dans les détails un sujet dont on n’a pas une expérience directe ou indirecte. J’avais par exemple envie d’imposer un séjour en prison à un de mes personnages, mais comment décrire ce que l’on ressent dans une prison si l’on n’y a jamais été ou si l’on ne connaît personne ayant vécu cette situation ? Le risque de passer à côté – et donc, de l’insincérité de l’écriture – est trop grand. On peut bien sûr imaginer, se documenter, mais ce n’est pas la même chose qu’en le vivant. Certains auteurs le font, en ce qui me concerne je préfère m’abstenir pour cette raison. D’autres se mettent volontairement en situation de vivre ce sur quoi ils projettent d’écrire, ce qui est encore une autre démarche. Dans tous les cas, l’exigence de l’expérience rend le temps de l’écriture plus long. J’ai pour ma part encore assez de matière vécue pour écrire plusieurs romans.
Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?
Je choisis le titre à la fin. Comme ce que je cherche à travers l’écriture n’est pas de véhiculer des idées mais de créer un univers, le titre doit avant tout exprimer une ambiance. Quand, après une longue réflexion, j’ai trouvé le titre qui condense parfaitement l’atmosphère du livre, je confie mon idée à ma fille. En général elle éclate de rire puis s’inquiète. Elle me dit « Non, maman, tu ne vas pas choisir ce titre quand même… Tu es sérieuse ? Sérieusement ?Tu vas vraiment l’appeler comme ça ? ». A ce moment-là j’ai un doute, mais je finis tout de même par persister dans mon choix.
Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?
Tous mes personnages sont des mosaïques de personnages existants. Il me faut environ une dizaine de personnes réelles pour créer un personnage. Je sélectionne des traits de caractères par-ci par-là, je cueille des bribes de dialogues, et je façonne le tout. Il y a de très fortes similitudes, c’est vrai, il serait malhonnête de le nier. Mais aucun de mes personnages ne reflète complètement à une personne existante. Beaucoup de gens me demandent « Célia, c’est toi ? », ou des proches disent « j’ai compris de qui tu parles ici». Ce n’est pas complètement faux, même si c’est plus complexe que ça. Il faudrait pour être tout à fait exacte que je dépèce mon texte et me justifie ligne par ligne, en expliquant de qui vient quoi… Je préfère bien sûr que l’on considère l’oeuvre comme une totalité vivante plutôt que de procéder à une autopsie. Plusieurs personnes de ma famille m’ont demandé de ne surtout pas utiliser mon nom de jeune fille car il y avait trop de similitudes avec la réalité et que c’était très « gênant », c’est pourquoi j’ai utilisé mon nom marital, Akiyama. De mon point de vue il s’agissait pourtant avant tout d’une fiction.
Je comprends cependant tout à fait l’envie des lecteurs de chercher à savoir qui est qui, ce sont des interrogations tout à fait naturelles. J’ai moi aussi le même réflexe. Pour la petite histoire, je me suis un jour retrouvée dans la description d’une héroïne narcissique venant d’un auteur que je connaissais et j’en ai été profondément blessée. Certains détails étaient troublants. Je ne lui ai jamais demandé de s’expliquer, je me suis contentée de le féliciter pour la parution de son livre. Il est très gênant de demander à un auteur les sources de son inspiration, on peut se voir rétorquer que l’on ne comprend rien au travail créatif, que tout est dans notre tête ou que l’on manque de subtilité… Il n’y a plus qu’à s’éloigner. Le moyen le plus sûr de ne pas risquer de devenir un personnage détestable de roman, c’est de ne pas fréquenter des écrivains.
Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.
Le dernier roman que j’ai écrit est Dévorée, un roman fantastique sur fond de Japon ordinaire. C’est mon deuxième roman. Je ne suis pas très douée pour parler de mes livres. Au salon du livre de Paris où je présentais Féerie pour de vrai il m’arrivait de dire simplement « ça se lit » aux visiteurs qui passaient sur mon stand, parfois au contraire j’en parlais pendant des heures… Dévorée paraîtra chez Vibration Editions en novembre prochain. C’est une maison d’édition basée à Strasbourg qui a une belle collection d’ouvrages traduits du russe, portée par un éditeur très dynamique et souriant. La seule chose que je peux dire, c’est que Dévorée est plus mystérieux et poétique que le précédent. J’ai cherché à ce qu’il donne une image du Japon nouvelle, différente des clichés habituels. J’ai volontairement laissé quelques mots en japonais expliqués en bas de page pour les plus curieux. En toile de fond – car ce n’est pas le propos – on peut y lire les problèmes sociaux comme le vieillissement de la population et le déclin de la natalité. Le tout sans analyse, par des détails concrets, palpables au quotidien. J’espère pouvoir en parler dans une autre interview car il y a beaucoup de choses à dire sur ce livre, en dehors du fait que ça se lit !
Je suis en train de co-écrire un troisième roman avec un auteur qui m’est cher, sur un thème qui nous rassemble. C’est assez énigmatique, présenté ainsi. Je n’en dis pas plus pour laisser le suspense, et parce que je ne sais jamais si je suis capable d’aller jusqu’au bout de l’écriture une fois le roman commencé. Ecrire à deux est une expérience extrêmement riche et troublante.
En ce qui concerne la poésie, les trois recueils que j’ai écrits seront publiés si tout se passe comme prévu par trois éditeurs différents. Désordre avec vue, courant septembre, Vivante-moi et Femme, si j’étais en 2022. Je préfère ne pas encore donner les noms par prudence, je le ferai le moment venu. Je remercie mes lecteurs et mes fidèles amis poètes qui m’ont toujours soutenue depuis la parution de mes premiers poèmes dans la revue Décharge. Leur enthousiasme m’est précieux dans les épreuves… Poésie ne rime pas avec délicatesse, on n’imagine pas le nombre de rustres qu’il y a dans le milieu. Ils m’encouragent régulièrement à participer à des projets divers émanant de revues artistiques. L’écriture est une aventure collective.
Le dernier texte que j’ai écrit est une pièce de théâtre intitulée La Viande se révoltera. Il s’agit d’une pièce dystopique, fantastique et absurde. Le premier acte se passe dans la jungle, le second à Paris et le troisième à la plage.
A plus long terme, je ressens la nécessité d’aborder de manière frontale des sujets clivants, sous la forme d’un roman, de nouvelles ou d’un journal. Le bien et le mal sont des sujets qui me tiennent à coeur et qui sont toujours (plus que jamais ?) d’actualité. Certains textes resteront peut-être dans l’ombre. Je me dis que je ne suis pas obligée d’envoyer systématiquement tous mes manuscrits à publier. L’important est que j’aille au bout de mon idée avec sincérité – c’est à dire, sans aucune volonté de plaire – et que le texte existe.