Qui êtes-vous, où êtes-vous née, où habitez-vous ?
Je suis une écrivaine roumaine, auteure de quatre livres de théorie et critique littéraire et de deux romans. Je suis née à Bucarest où j’ai toujours vécu.
Vivez-vous du métier d’écrivaine ou, sinon, quel métier exercez-vous ?
Je ne pense pas que quelqu’un puisse vivre du métier d’écrivain en Roumanie, le marché du livre étant très réduit et le nombre d’exemplaires publiés, infime. À très peu d’exceptions près. Le métier d’écrivain est pour moi, comme pour beaucoup d’autres, une passion sans laquelle je ne pourrais pas vivre. Et même si cela rapporte quelques fois un gain assez conséquent, je ne peux pas renoncer à mon métier d’éditrice qui m’offre un revenu constant.
Comment est née votre passion pour la littérature et surtout pour l’écriture ?
J’ai toujours voulu écrire. Depuis que j’ai commencé à lire, les histoires renfermées dans les livres ne me suffisaient pas, à tel point que je consignais les miennes dans les marges des pages. Je n’ai jamais cessé d’écrire, longtemps j’enregistrais sur des cassettes audio toute sorte d’histoires, des fragments de journal. J’ai fait mes débuts au lycée en publiant des petits textes.
Quel est l’auteur/le livre qui vous ont marqué le plus dans la vie ?
Il est difficile de choisir, mais si toutes les bibliothèques du monde disparaissaient dans un incendie, je ne garderais qu’une seule œuvre littéraire, ce serait Le Manteau de Nicolas Gogol. Personne n’a réussi comme lui à mieux surprendre en profondeur et de manière si puissante la condition tragique de l’être humain, la cruauté de la vie. On reconnait Akaki Akakievitch en chacun d’entre nous, à un moment ou à un autre de notre existence. Gogol est l’auteur que je garderais. Le second ouvrage sur ma liste ce serait Les Âmes mortes, qui est un livre du même auteur.
Quel genre littéraire pratiquez-vous (roman, poésie, essai) ? Passez-vous facilement d’un genre littéraire à un autre ?
J’ai débuté par la théorie et la critique littéraire, en publiant trois livres de géographie littéraire et de géo-critique. J’ai ensuite abordé la fiction, et plus exactement le roman, ayant eu depuis toujours besoin de larges espaces pour développer ma construction narrative. Mes deux premiers romans O formă de viață necunoscută [Une forme de vie inconnue] et Vântul, duhul, suflarea [Le vent, l’esprit, le souffle ] font partie d’une trilogie que j’espère finir dans les prochaines années. Ils décrivent en particulier la vie d’une petite communauté villageoise implantée depuis plus de deux siècles dans un village situé près du rivage du Danube.
Comment écrivez-vous – d’un trait, avec des reprises, à la première personne, à la troisième ?
L’action de mes romans évolue sur plusieurs plans, certains empruntant la perspective du narrateur omniscient, d’autres étant des confessions de plusieurs personnages récurrents. Je prépare avec soin le sujet et la construction de mon livre, je dédie du temps à la documentation, l’écriture suivant en dernière position. Je crois beaucoup dans l’écriture inspirée, du premier jet, celle qui dévoile le vrai talent littéraire d’un écrivain. Je ne fais pas confiance aux reprises sans fin, aux textes maltraités, épurés jusqu’à devenir artificieux. Je reprends parfois certaines phrases, je travaille l’ordre des paragraphes, des parties de chapitres, mais je reste persuadée que les meilleurs passages d’un livre sont ceux écrits spontanément, à une intensité maximale, authentiques, qui surprennent même l’auteur, dont l’origine reste mystérieuse.
D’où puisez-vous les sujets de vos livres, et combien de temps est nécessaire pour qu’il prenne vie comme œuvre de fiction ?
Je ne crois pas qu’un écrivain puisse choisir ses sujets, je pense qu’il s’agit exactement du contraire, que ce sont les sujets qui l’élisent. Tout peut devenir sujet de roman, tout ce que nous vivons, ce qui nous entoure, que nous avons appris dans les livres ou entendu quelque part. L’important est que tout résonne à l’intérieur de nous et soit l’écho de nos vraies préoccupations. La taille d’un livre, son ampleur dépendent de l’envergure du sujet. En ce qui me concerne, j’ai consacré à chacun de mes deux romans deux-trois ans d’écriture.
Choisissez-vous d’abord le titre de l’ouvrage avant le développement narratif ? Quel rôle joue pour vous le titre de votre œuvre ?
Je n’ai jamais choisi le titre en premier, opter pour un titre est pour moi la chose la plus difficile, car il doit être la métaphore centrale du livre, l’indice principal offert aux lecteurs concernant l’histoire que l’on va raconter. D’où la nécessité que je ressens de réfléchir longtemps avant de faire mon choix. Je suis le conseil que m’avait donné jadis une consœur plus expérimentée qui me disait que le titre se cache forcément à l’intérieur même du livre, dans un syntagme, dans un mot-clé.
Quel rapport entretenez-vous avec vos personnages et comment les inventez-vous ?
Mes personnages vivent longtemps près de moi ou plutôt c’est moi qui vit dans leur sillon, jusqu’à finir à bien les connaître comme s’il s’agissait d’êtres réels. Certains continuent leur histoire à travers mes prochains récits, mes nouveaux livres, car il m’est difficile de m’en séparer comme s’il s’agissait de vraies personnes dans lesquelles j’a investi émotionnellement et dont j’ai du mal à me séparer.
Parlez-nous de votre dernier ouvrage et de vos projets.
Mon dernier livre s’appelle și Vântul, duhul, suflarea [Le vent, l’esprit, le souffle], roman très bien accueilli par la critique et ayant bénéficié de plus d’une vingtaine de chroniques enthousiastes. Je suis très contente de cet accueil. Il s’agit du deuxième volet d’une tragédie, comme je l’ai déjà dit. Actuellement, je travaille au troisième roman de ce cycle. Je ne dévoilerai pas son titre, je veux juste dire que l’histoire plongera encore plus profondément dans l’histoire du village C., suivant quelques-uns de mes personnages principaux depuis leurs origines, à travers le XIXe siècle, l’entre-deux-guerres en Roumanie et jusqu’à aujourd’hui.
(Traduit du roumain par Dan Burcea)