Des craintes
Nous craignions
qu’une fois les fenêtres ouvertes
celles-ci ne ressentent pas l’appel de l’envol
d’une nouvelle matinée et
qu’elles ne reconnaissent pas leur passé ailé,
ne déchirent pas tout ce qui les tient attachées au sol
et fassent irruption forçant les charnières
de leur propre destin emmuré.
Nous avions peur
de l’automne quand
nous allions regarder impuissants
la volée des oiseaux migrateurs.
Nous avions peur
pour toute la ville,
pour nos cœurs,
tout cœur étant une fenêtre ouverte vers le monde.
Nous avions peur,
nos ailes étaient trop jeunes pour la vie sauvage.
Allaient-elles reconnaître le chemin
qui l’aiderait à rentrer chez-soi ?
L’étreinte de la nuit
Ton étreinte
était comme un tramway vide,
m’ayant accueilli en pleine nuit
dans ma course contre les démons de l’incertitude
et de l’insomnie.
Ton regard
était tout aussi vaste
que la voiture vide du tram
qui fait du bruit en roulant
comme une boîte vide sur des roues,
où tu avais ta place, comme
un citoyen exemplaire
ayant payé son abonnement
soigné, habillé
impeccablement, qui
par un regard
dans le coin de l’œil
qui déviait pour la première fois
de sa trajectoire déjà prévue
et linéaire dans sa conception.
Les vers que tu
m’as glissés dans ma poche côté cœur
de mon âme, étaient comme un ticket
un aller simple partant du même lieu
et où j’étais le seul
et unique voyageur
à cette heure-là
mordant avec le cœur
la bizarre symphonie du silence
des blocs de pierre.
Tu m’as frôlé les lèvres,
oui, c’était presque un baiser,
comme si je te demandais du feu
pour que je puisse allumer
et fumer en une taffe mon amertume
alors qu’à travers la vitre
le silence de la lune me délectait
comme la caresse d’un sein
(le tien)
Dissimulant l’enthousiasme de l’aube
La nuit
Laissait tomber lentement
son manteau sombre
sur la prédisposition
mélancolique de cette soirée,
le vide de notre insomnie
courait d’un bout à l’autre du monde
de l’enfer au paradis et retour.
La lune savait
qu’à cette heure-là
l’amour ne tirait plus
des balles à blanc
et que celle qui était restée dans le canon
était sans destinataire ne pouvant pas viser le cœur.
Nous nous sentions
comme dans les loges de l’existence
où nous faisions sans cesse l’essayage de la même vie
en dissimulant l’enthousiasme de l’aube.
Quelque part, autrefois
J’habite au rez-de-chaussée.
J’ai fermé toutes les fenêtres
et la porte qui donne vers le balcon
pour que l’ombre de la ville,
ce ne serait pas la première fois d’ailleurs
que je la surprends en flagrant délit,
ne pénètre pas chez-moi
pour siroter ma boisson préférée
dormir sur le canapé du salon,
dans mon peignoir
et rêver de mes rêves.
Mon âme solidement enracinée
dans la terre,
voulait absorber
au-delà de ses propres limites
un chêne ou un orme ou un platane.
Tous ces poèmes
écrits pendant un éternel automne pluvieux
conservés
dans le pur alcool du blasé.
Tous les deux
bloqués dans l’ascenseur
entre les étages de l’amour.
Nous nous sommes embrasés
nous nous sommes incendiés
nous avons brulé sur le bûcher
portant chacun un poème
épuisé entre les parois en béton.
Quelque part, autrefois…
Le mauvais sort
Nous avons ouvert la fenêtre
de cette matinée d’octobre,
le cri de la tristesse
venu des quatre coins de l’horizon
il nous a fait chanceler
avec son vol imprévisible
de chauve-souris venue des cavernes,
les bêtes de la solitude
ont escaladé
le toit de l’âme
ont pris possession
du sentiment imperturbable
de propriété,
les mots que nous nous sommes envoyés
du temps où on écrivait encore des lettres
nous assommaient comme
des feuilles mortes ;
avec une ténacité
proche du désespoir
le vertige des obstacles cachés
de notre destin automnale
tremblait
(et même) les plaques tectoniques
Sur lesquelles reposait cette terre
qui attendait
qu’on lui jette un mauvais sort.
Francisc Edmund Balogh est un écrivain et poète roumain. Son premier recueil de poésies „ Melancolia lumilor paralele” [La mélancolie des mondes parallèles] publié en 2006 aux Editions Scriptorum de Baia Mare a été très bien accueilli par la critique. Lors de ses études à Montréal, entre 2006 et 2011, il a collaboré à des émissions littéraires comme Canadian Imigrant Podcast dans le cadre du cénacle de poésies bilingue « Ars Poetica ». En 2015 il publie le recueil „Clarobscur și fum” [Clair-obscur et fumée] en collaboration avec Iulia Olaru. Depuis 2016, il publie dans des revues littéraires online comme Cenaclul Poetic Schenk, Club Qpoem, Literatura de azi, Extemporal liric, Literatura din Călimară. En 2020 ; il signe un groupage de poésies dans le volume collectif du Cénacle Poétique Schenk « Wort Vergessen » (Parole oubliée), poésies traduites en allemand. D’autres collaborations dans des revues comme ECreator, Noise Poetry, Sintagme Codrene. Francisc Balogh publie également des poésies en anglais sur les sites World Nations Union Writers et World Literature Academy, Poetry UK, Poetry. Il est l’auteur de traductions de l’anglais en roumain des auteurs comme Pavol Janik et Manolis Aligizakis.
Francisc Edmund Balogh vient de remporter le premier Prix à l’Olympiade mondiale de poésie 2020.
(Traduit du roumain par Dan Burcea)