Les invités de Lettres Capitales : Francisc Edmund Balogh

 

Des craintes

Nous craignions

qu’une fois les fenêtres ouvertes

celles-ci ne ressentent pas l’appel de l’envol

d’une nouvelle matinée et

qu’elles ne reconnaissent pas leur passé ailé,

ne déchirent pas tout ce qui les tient attachées au sol

et fassent irruption forçant les charnières

de leur propre destin emmuré.

 

Nous avions peur

 de l’automne quand

nous allions regarder impuissants

la volée des oiseaux migrateurs.

 

Nous avions peur

pour toute la ville,

pour nos cœurs,

tout cœur étant une fenêtre ouverte vers le monde.

 

Nous avions peur,

nos ailes étaient trop jeunes pour la vie sauvage.

Allaient-elles reconnaître le chemin

qui l’aiderait à rentrer chez-soi ?

 

L’étreinte de la nuit

Ton étreinte

était comme un tramway vide,

m’ayant accueilli en pleine nuit

dans ma course contre les démons de l’incertitude

et de l’insomnie.

 

Ton regard

était tout aussi vaste

que la voiture vide du tram

qui fait du bruit en roulant

comme une boîte vide sur des roues,

où tu avais ta place, comme

un citoyen exemplaire

ayant payé son abonnement

soigné, habillé

impeccablement, qui

par un regard

dans le coin de l’œil

qui déviait pour la première fois

 de sa trajectoire déjà prévue

et linéaire dans sa conception.

 

Les vers que tu

m’as glissés dans ma poche côté cœur

de mon âme, étaient comme un ticket

un aller simple partant du même lieu

et où j’étais le seul

et unique voyageur

à cette heure-là

mordant avec le cœur

la bizarre symphonie du silence

des blocs de pierre.

 

Tu m’as frôlé les lèvres,

oui, c’était presque un baiser,

comme si je te demandais du feu

pour que je puisse allumer

et fumer en une taffe mon amertume

alors qu’à travers la vitre

le silence de la lune me délectait

comme la caresse d’un sein

(le tien)

 

Dissimulant l’enthousiasme de l’aube

La nuit

Laissait tomber lentement

son manteau sombre

sur la prédisposition

mélancolique de cette soirée,

le vide de notre insomnie

courait d’un bout à l’autre du monde

de l’enfer au paradis et retour.

La lune savait

qu’à cette heure-là

l’amour ne tirait plus

des balles à blanc

et que celle qui était restée dans le canon

était sans destinataire ne pouvant pas viser le cœur.

Nous nous sentions

comme dans les loges de l’existence

où nous faisions sans cesse l’essayage de la même vie

en dissimulant l’enthousiasme de l’aube.

 

Quelque part, autrefois

J’habite au rez-de-chaussée.

J’ai fermé toutes les fenêtres

et la porte qui donne vers le balcon

pour que l’ombre de la ville,

ce ne serait pas la première fois d’ailleurs

que je la surprends en flagrant délit,

 ne pénètre pas chez-moi

pour siroter ma boisson préférée

dormir sur le canapé du salon,

dans mon peignoir

et rêver de mes rêves.

 

Mon âme solidement enracinée

dans la terre,

voulait absorber

au-delà de ses propres limites

un chêne ou un orme ou un platane.

 

Tous ces poèmes

écrits pendant un éternel automne pluvieux

conservés

dans le pur alcool du blasé.

 

Tous les deux

bloqués dans l’ascenseur  

entre les étages de l’amour.

 

Nous nous sommes embrasés

nous nous sommes incendiés

nous avons brulé sur le bûcher

portant chacun un poème

épuisé entre les parois en béton.

Quelque part, autrefois…

 

Le mauvais sort

Nous avons ouvert la fenêtre

de cette matinée d’octobre,

le cri de la tristesse

venu des quatre coins de l’horizon

il nous a fait chanceler

avec son vol imprévisible

de chauve-souris venue des cavernes,

les bêtes de la solitude

ont escaladé

le toit de l’âme

ont pris possession

du sentiment imperturbable

de propriété,

les mots que nous nous sommes envoyés

du temps où on écrivait encore des lettres

nous assommaient comme

des feuilles mortes ;

avec une ténacité

proche du désespoir

le vertige des obstacles cachés

de notre destin automnale

tremblait

(et même) les plaques tectoniques

Sur lesquelles reposait cette terre

qui attendait

qu’on lui jette un mauvais sort.

Francisc Edmund Balogh est un écrivain et poète roumain. Son premier recueil de poésies „ Melancolia lumilor paralele” [La mélancolie des mondes parallèles] publié en 2006 aux Editions Scriptorum de Baia Mare a été très bien accueilli par la critique. Lors de ses études à Montréal, entre 2006 et 2011, il a collaboré à des émissions littéraires comme Canadian Imigrant Podcast dans le cadre du cénacle de poésies bilingue « Ars Poetica ».  En 2015 il publie le recueil „Clarobscur și fum” [Clair-obscur et fumée] en collaboration avec Iulia Olaru. Depuis 2016, il publie dans des revues littéraires online comme Cenaclul Poetic Schenk, Club Qpoem, Literatura de azi, Extemporal liric, Literatura din Călimară. En 2020 ; il signe un groupage de poésies dans le volume collectif du Cénacle Poétique Schenk « Wort Vergessen » (Parole oubliée), poésies traduites en allemand. D’autres collaborations dans des revues comme ECreator,  Noise Poetry, Sintagme Codrene. Francisc Balogh publie également des poésies en anglais sur les sites World Nations Union Writers et World Literature Academy, Poetry UK, Poetry. Il est l’auteur de traductions de l’anglais en roumain des auteurs comme Pavol Janik et Manolis Aligizakis.

Francisc Edmund Balogh vient de remporter le premier Prix à l’Olympiade mondiale de poésie 2020.

(Traduit du roumain par Dan Burcea)

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