Jean-Robert Léonidas : «La Mécanique du hasard»  et «l’Assomption» de Cristiana Eso. Une belle entrée dans la cathédrale poétique

 

En lisant ces deux premiers textes de Cristiana Eso, on est confronté à un étrange mélange de poésie et d’une forte démarche réflexive.  

D’entrée de jeu, dans la Mécanique du hasard, on est frappé par la force troublante d’une contradiction voulue. Un oxymore introduit le premier paragraphe : Il fait jour avec le jour aveugle… La confidence de la poétesse  s’annonce à «  l’arrachée »  et « se heurte au mur d’eau du souvenir » pour trouver son équilibre en une douceur tactile qui gomme la déchirure : la main de mon amour attend ma main.  Et dès lors l’allure des textes continue imprégnée de métaphores, de symbolisme, d’un va et vient entre la violence camouflée, maîtrisée, et une douceur toute musicale nécessaire à la vie. Derrière tout cela, on sent que des réflexions se cachent pour tenter de construire une  philosophie. D’ailleurs, Cristiana Eso pose des questions. C’est sa nature : je suis accrochée au point d’interrogation, avoue-t-elle sans ambages.  Sa philosophie se tisse  à travers les mots, par les mots. Pour tenter d’aplanir son « chemin martelé par les pierres », de calmer à l’intérieur d’elle-même « le choc des vents irascibles » ou de guérir ses propres illusions de poète et d’artiste qu’elle charrie pourtant dans les gènes. Elle confesse qu’elle est une hallucination de ses parents. Une heureuse hallucination sans doute qui produit de belles choses.

Son cou est un « tuyau d’orgue rempli de la chair des mots »…

Avec les mots, poursuit-elle,  je comble les abîmes … 

J’ai planté mon âme dans la tige de la rose…

Ma peau a la consistance de la nuit…

L’auteure dans un  bel élan  est même allée jusqu’à interroger la mort, entrer en conversation avec elle. Il en ressort que la mort n’est rien sans la vie qui la précède. La mort a besoin de la vie pour être. Aucune surprise si elle est confrontée parfois à une sorte de douleur d’être, une douleur d’agir ou même d’être heureux. « Je voudrais être albatros / je voudrais être / et je n’ai pas de temps ». Aucune surprise non plus si on découvre qu’elle désire fixer avec la parole le temps qui coule, cette « fuite insensée du cheval temporel »…

Cette douleur existentielle qu’on côtoie à tout bout de champ,  à toutes les strophes de ce grand chant, est sans doute liée à des regrets :

J’ai laissé mon armure au loin / dans l’herbe tranchante

Je marche sous l’ombre d’un grand oiseau …/je tente la chasse, mais il lutte… / mais de son bec il me vainc.

Dans ce texte poétique plein d’images et de symboles, tout lecteur peut se faire d’immenses idées. C’est la nature de l’écrit. C’est le risque que prend tout écrivain qui vous entraîne dans le monde de la poésie ou de l’imaginaire. On  pourrait continuer à n’en plus finir dans la beauté de « La mécanique du hasard ». Mais il faut bien passer à « L’Assomption », au deuxième recueil,  pour se laisser ravir avec l’auteure dans l’envol  de 15 chants, se laisser transporter dans une montgolfière de mots et de musique  vers l’autre monde. « Ce qui m’enchante de l’autre côté, c’est la couleur violette de la terre ».

Cristiana Eso avec ces deux premiers textes avait, à mon sens, fait une entrée encourageante dans l’univers de la poésie. On sent bien qu’avec ses nouvelles publications, dont les Artisans de l’invisible, enfantées dans l’esthétique des phrases et la musique des mots, elle continue de vivre en poésie avec grâce. La fleur épanouie n’a certainement pas renié la belle promesse du bourgeon initial.

 

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