À la différence des écrivains qui vivent cet épisode comme une résidence d’écriture inespérée ou simplement la continuation d’une vie dédiée aux mots, je me retrouve en ces temps troubles confrontée à la violence du quotidien. Si je me plaignais, avant, quand tout était normal, du rythme effréné dans lequel nous vivions et des trop nombreuses sollicitations auxquelles je devais répondre au nom de notre famille, au point de saturer mon esprit et m’empêcher d’écrire ; aujourd’hui, je mesure la chance que j’avais alors de bénéficier de quelques moments de solitude. Comment écrire, enfermée depuis des semaines avec trois enfants, et un mari contraint de se rendre chaque jour sur son lieu de travail ? Impossible.
Pourtant, il en va de ma survie. Ne pas écrire serait me diluer petit à petit dans ce magma familial, cuisine, enfants, ménage, et perdre toute consistance. Ni la lecture, ni les ateliers que j’anime à distance, ne me protègent assez. Face à la violence du quotidien, je n’ai qu’une arme véritable : l’écriture. Elle m’isole, m’évade, me donne une forme. Alors je me lève très tôt, je prépare les devoirs de la plus jeune, le repas du midi, puis je m’enferme dans ma chambre jusqu’à l’heure du déjeuner. Je n’ai aucune idée de ce qui se joue derrière la porte. Je reprends un carnet de voyage et j’écris. Je réécris. J’ai mis de côté le roman sur lequel je travaillais, avant, et qui, de toutes façons, piétinait. Je n’ai pas la force d’inventer, pas l’esprit libre pour imaginer. Le récit dans sa perspective géographique est ma seule échappatoire.
Julie Moulin est née en 1979 à Paris. Elle passe son enfance et son adolescence en banlieue parisienne avant de rejoindre Paris lors de ses études à Sciences-Po. Passionnée par la Russie et la langue russe qu’elle étudie depuis l’adolescence, elle effectue de nombreux séjours en Russie et surtout à Moscou. Elle s’installe en 2003 dans l’Ain, près de la frontière suisse, où son activité professionnelle l’amène à voyager dans toute l’ex-URSS. Elle se consacre désormais à l’écriture et à l’animation d’ateliers d’écriture, et participe à des performances littéraires telles que La cage aux écrivains au Salon du livre de Genève en 2015 et « 50 heures, 8 auteurs, un roman » lors du Salon du livre romand de Fribourg en février 2019, roman collectif publié en janvier 2020 sous le titre L’Altitude des orties aux éditions CousuMouche. Elle est l’auteure de Jupe et Pantalon (Alma, février 2016) et de Domovoï (Alma, septembre 2019).