Interview. Séverine Baaziz : « Ce roman, c’est l’histoire d’une facette de notre propre monde »

Vous cherchez un livre plein « d’aventures abracadabrantes et périlleuses », un anti-héros à leur mesure, et qui s’autodéfinit en toute franchise comme étant « bête comme ses pieds » ?  « L’Astronaute » de Séverine Baaziz est écrit sans doute pour vous, avec, comme bonus, un style captivant alliant avec intelligence toutes les ressources de l’imaginaire et de l’invraisemblable, de l’absurde et de l’humour noir. Au centre de cet univers loufoque règne en maître Michel Bracowski, invraisemblable astronaute et explorateur d’un monde tout aussi farfelu que lui. Derrière tout cela, se cache une très réussie allégorie sur les échecs et les travers du monde contemporain. Qui est Michel Bracowski et que nous dit son histoire de lui et pourquoi pas de nous-mêmes ?

Comment se décide-t-on de partir dans un voyage littéraire interstellaire, en compagnie d’un personnage tout aussi loufoque comme l’est Michel Bracowski, le héros ou plutôt l’anti-héros de votre roman ?

Je vais vous faire une confidence. Avant d’être un roman, ce texte s’est tenu sur quelques lignes, un format tribune pour journal satirique. J’y mettais ma désespérance et ma colère face au monde tristement impitoyable. Et puis, vu que je ne suis ni essayiste ni journaliste, j’ai vite abandonné l’idée d’une tribune, et la raconteuse d’histoire en a fait un roman. Quant au personnage principal, là, je dois tout à Thomas Pesquet. J’avais encore en tête toutes les fascinantes images de sa dernière mission. Un astronaute brillant et exemplaire. Je n’avais plus qu’à donner vie à son parfait contraire : Michel Bracowski.

Peut-on parler d’un texte allégorique et, si oui, de quoi s’agit-il en grandes lignes ?

Totalement. L’histoire se passe ailleurs, sur une Terre qui n’est pas la nôtre, mais elle pourrait tout à fait se dérouler ici, en France. Je déplace le curseur géographique simplement pour parler de notre société avec plus de liberté, de fantaisie et d’exagération. Ce roman, c’est l’histoire d’une facette de notre propre monde, une facette qui prendrait, je le crains parfois, à mesure du temps qui passe, toute la place.

Pourriez-vous nous dire sur quelle planète va poser sa navette votre astronaute ?

Un monde tout petit et tout vert ! Aussi vert que la couverture du livre. Il y règne un sentiment de quiétude, tout semble parfaitement en ordre. Un monde qui, par ailleurs, se targue de ses avancées médicales et environnementales. Plus personne ne meurt de maladie. Plus personne ne connaît le sens du mot pollution.

Qui sont ses habitants et quelles sont les règles de leur société ?

Des individus fort aimables, accueillants et bienveillants envers notre astronaute. Mais tout cela uniquement au début des aventures. Par la suite, les choses se gâtent quelque peu. Surtout à partir du moment où Michel Bracowski offre trop d’égards à la gent féminine, cantonnée, habituellement, aux tâches ménagères.

Dès les premières pages, on est captivé par la volonté de votre personnage qui devient le narrateur attitré de tenir en haleine ses lecteurs. « Je pourrais laisser le cours de l’histoire parler d’elle-même – écrit-il – mais la chose est risquée ». Doit-on comprendre qu’il s’agit ici d’une vraie stratégie dans la maîtrise de l’écriture de ce livre de votre part ?

Bien vu ! Ce roman est mon troisième ouvrage, et il est vrai que même s’ils sont tous les trois très différents, systématiquement, on y retrouve ces adresses au lecteur, sous différentes formes. J’écris toujours pour converser avec le lecteur, même si c’est en temps et en lieu différé, mais j’écris pour lui. Pour lui raconter une histoire. Il n’a pas de visage mais il me tient compagnie tout au long de l’écriture, alors j’aime que le texte s’en ressente.

Michel Bracowski est un personnage attachant, qui garde le vrai sens de sa vie ordinaire. Pourriez-vous nous parler de cet homme n’ayant réussi ni sa vie de famille ni sa carrière, mais qui a fait un voyage extraordinaire ?

Au début de l’histoire, le personnage est quitté par sa femme. La rupture est douloureuse et va l’accompagner durant toutes ses péripéties. J’avais envie de faire exister un homme ordinaire, porteur de souffrances comme nous pouvons tous l’être, un homme très loin de l’archétype du héros. Ce personnage me sert aussi à illustrer combien la fragilité peut devenir une errance.

Dans ce monde étrange, le Professeur fait figure de visionnaire, d’humanisme. Il se découvre une soudaine « envie de changer le monde ». Qui est-t-il ?

Il est d’abord celui qui dit non, depuis toujours, plus ou moins silencieusement. Un peu le dernier des résistants. En douce, il s’insurge et essaie de faire avancer la science, à sa façon. S’il y a un point commun entre le Professeur et l’Astronaute, c’est qu’ils sont tous deux guidés, habités, par leur réalité intérieure : l’un, l’échec conjugal ; l’autre, le rêve de changer le monde.

L’humanisme, énoncé et compris comme refus de l’injustice, traverse l’aventure racontée dans votre livre. Comment l’expliquer plus amplement et quelle urgence incarne-t-il, selon vous ?

Comme je le disais au début de l’interview, ce qui a nourri mon envie d’écrire ce roman, c’est la colère et la désespérance. Pour tout vous dire, il n’y a pas un jour où je ne lève les yeux au ciel. J’en admire la beauté et je me sens alors heureuse, à 41 ans, de ne jamais avoir connu ni la faim, ni le froid, ni la guerre. La seconde qui suit, je m’attriste et je culpabilise. Tout être humain devrait avoir cette chance. Je sais que j’éprouverai jusqu’à mon dernier jour ce double sentiment. Alors, pour qu’il me soit un peu plus supportable, j’écris. J’écris des histoires qui mettent en scène la bienveillance (pour mes deux premiers romans) ou la malveillance (pour L’Astronaute). Cela peut paraître naïf de ma part, mais je reste convaincue que le nombrilisme des uns peut amener à la perte de tous. Le toujours plus de confort, plus de progrès, plus de science, plus de croissance, plus de tout en fait, au détriment de valeurs simples. Je m’inquiète qu’un jour, peut-être, plus personne ne sache tendre la main.

À peine sorti d’un cauchemar, votre héros récidivera dans un délire encore plus profond. Sans vouloir dévoiler la fin de votre livre, j’aimerais vous interroger sur le côté de roman noir que vous souhaitez donner à votre récit. Quelle appétence avez-vous pour ce genre romanesque ?

J’ai des lectures très éclectiques mais il est vrai que la satire, burlesque ou noire, y tient une grande place. Je citerai, entre autres, les romans de Pascal Bruckner, Pascale Gautier, Samuel Benchetrit ou Marie Darrieussecq. J’ajouterai que le cinéma, la musique et la peinture me fascinent et m’inspirent tout autant que la littérature. Dans la deuxième partie du roman (plus dantesque), on peut par exemple deviner le clin d’œil à Bernie, le premier film d’Albert Dupontel, ou encore le surréalisme délirant de Salvador Dali.

A quels projets travaillez-vous actuellement ? Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

Je viens de terminer l’écriture de mon quatrième roman. Il s’agira toujours d’allégorie mais, cette fois-ci, la noirceur laisse la place à la douceur.

Interview réalisée par Dan Burcea

Séverine Baaziz, « L’Astronaute », Éditions Chloé des Lys, 2019, 169 pages.

 

 

 

 

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