Elisa Sebbel : La peur du confiné

 

Lorsque Dan Burcea m’a demandé de faire un petit article sur le confinement, je me suis dit de quoi pourrais-je bien parler ? Tout a déjà été dit par mes prédécesseurs. Je demande alors autour de moi. Tous me répondent : parle de toi ! Je suis devant ma page blanche et ferme les yeux. Un mot me vient immédiatement à l’esprit : la peur.

La peur que je vois dans les yeux de tous et que j’essaie d’atténuer par un petit sourire, un sourire des yeux car des lèvres derrière un masque, c’est impossible. Vous apprendrez que si vous souriez même cachés sous un bout de tissu, votre voisine de queue dans le supermarché, vous sourira aussi et peut-être finirez-vous par vous dire un petit mot, de ce mot suivra une conversation (et oui les files à l’entrée des magasins sont longues) et deux ou trois personnes derrière s’y joindront. Parler et plaisanter même avec des étrangers fait tellement du bien. Et avec un rire, alors là, vous redevenez humain. Ma conclusion, simpliste il se peut, est donc qu’un sourire peut vaincre la peur. Essayez !

La peur de la mort il est vrai. Mais je vous avoue que depuis quelques années, nous avons eu tellement de décès autour de nous qu’elle m’est devenue bien familière et je sais qu’à chaque instant, elle peut prendre, avec ou sans COVID-19, mes êtres les plus chers ou moi-même.

La peur de ce monde qui change et qui ne sera plus jamais comme avant. Comme toute personne, je suis un être d’habitudes. Donc ces chamboulements m’ont paniquée aussi évidemment. Au tout début, je me suis dit, c’est impossible, enfermée avec mon mari et mes deux adolescents, nous ne résisterons pas. Cela fait déjà cinq semaines qu’en Espagne nous sommes confinés et c’est incroyable mais chacun dans la maison a trouvé sa place et ma famille est plus unie que jamais. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de disputes parfois, mais nous prenons tous je crois beaucoup de plaisir à prendre le temps de parler, partager un film, cuisiner (un peu trop de desserts, il est vrai), jouer à un jeu de société ou planter une graine dans le potager. Je suis en train d’apprendre à profiter du moment présent. Il n’y a que ça qui est vrai et je l’avais oublié. Un simple rayon de soleil du printemps sur ma joue quand j’ouvre mes volets le matin et je suis heureuse. J’entends les oiseaux dans mon jardin (j’habite à la campagne). Je n’avais pas remarqué qu’il y avait chez moi autant de roucoulements. La vérité est que je n’avais jamais eu le temps de m’arrêter pour les écouter. Ma vie d’avant était une course effrénée. Et puis le plaisir immense d’envoyer ou de recevoir un petit message ou un coup de fil. Tous les amis, toute la famille, prennent des nouvelles, tous là solidaires pour s’entraider. Se rendre compte que l’essentiel de la vie, c’est ça. Une angoisse partagée est moins lourde à porter, comme l’avait dit mon héroïne Héloïse.

La peur de cet avenir angoissant, cette crise économique dont tous les médias parlent, de cette guerre, le mot préféré des politiciens. Guerre de quoi ? Le virus n’est pas notre ennemi. Qui a provoqué l’apparition de ce minuscule être vivant ? Nous, n’est-ce pas ? S’il y a un adversaire à l’homme, c’est bien l’homme. Depuis ce début de siècle, on les accumule ces maladies virales. Et que fait-on ? Protège-t-on la biodiversité pour les éviter ? Non, nous préférons continuer ce capitalisme effréné, fermer les yeux, détruire et polluer. Chacun de nous est responsable. Moi la première, j’en suis consciente. Pendant ce confinement, j’ai soudain ouvert les yeux. Ai-je besoin de tout ce qui m’entoure pour vivre ? La réponse est non. La preuve, je vis depuis plus d’un mois tout aussi bien en n’achetant rien d’autres que des aliments. Je vous avoue les choisir avec le plus grand soin, car manger mieux et naturel me semble désormais essentiel.

La crise économique qui s’annonce, oui elle m’effraie, comme à vous. Ce mois-ci, nous en ressentons déjà les conséquences, mon mari étant travailleur indépendant. Mais il y a de simples petites mesures qui sont à notre portée. Pendant la crise de 2008 si dure en Espagne, nous avons commencé à les appliquer ici à Majorque et elles fonctionnent, je peux vous l’assurer. Et si on commençait à s’aider soi-même en achetant local pour relancer l’économie, en privilégiant les petits commerçants pour qu’ils puissent survivre, nous parlons là de nos voisins, des habitants de notre village ou de notre quartier, des gens que l’on connaît. Ou préférez-vous peut-être économiser quelques centimes pour enrichir les poches d’une grande multinationale qui paiera ses impôts ailleurs et ne participera en rien aux investissements de notre système éducatif ou de santé (ô combien nécessaire comme vous le voyez ! En espérant que nos gouvernements l’auront enfin compris). Et si on voyageait dans notre propre pays ? Nous parcourons souvent le monde sans connaître notre nation. Favorisons nos agriculteurs, nos électriciens (pourquoi jeter un lave-linge au lieu de le réparer), nos artisans, nos ouvriers, nos boulangers, nos bouchers, nos libraires, nos auteurs et nos artistes, … les véritables acteurs de notre société ! En plus ainsi, nous réduisons le transport, la pollution et protégeons la planète, et rendons plus difficile l’apparition d’un nouveau virus et sa propagation.

Pendant cette quarantaine, j’ai pris conscience que l’avenir est entre mes mains et que si mes concitoyens s’en rendent compte aussi, je peux avoir confiance. En me changeant moi, je change le monde. Et vous savez quoi d’autres, en modifiant mes pensées, je peux même combattre l’angoisse. On oublie trop que nos pensées sont toutes puissantes. Alors n’ayons plus peur, reprenons confiance ! Un par un, nous y arriverons. La masse populaire peut plus que quelques dirigeants. Les révolutions dans l’Histoire nous l’ont assez montré. « Je résisterai ! »[1] comme dit cette magnifique chanson espagnole solidaire qui est devenue l’hymne de notre confinement.

[1] https://www.youtube.com/watch?v=hl3B4Ql8RtQ Je résisterai debout face à tout/Je deviendrai fer pour durcir ma peau/Et même si les vents de la vie soufflent fort/Je suis comme le jonc qui se plie/Mais continue sur pied/Je résisterai pour continuer à vivre/Je supporterai les coups et jamais je ne me rendrai/Même si les rêves éclatent en morceaux/Je résisterai, je résisterai. Plus de 50 artistes espagnols ont participé depuis chez eux à cette chanson dont les bénéfices sont reversés à l’organisation caritative Caritas.

Docteur en littérature française, Elisa Sebbel est enseignante-chercheuse à l’Université des Îles Baléares. La Prisonnière de la mer (Fayard, 2019), son premier roman, a reçu le prix du jury du Mazarine Bookday 2018 et a été traduit en espagnol (Roca Editorial, 2020). Fruit de ses recherches, il dévoile un drame oublié de notre histoire : la terrible captivité de 5000 soldats napoléoniens et d’une vingtaine de vivandières sur l’île déserte de Cabrera de 1809 à 1814. Les mémoires fictives d’Héloïse qui retracent la première année dans ce camps de concentration avant l’heure est à la fois un récit sur la survie, la solidarité et la résilience et une belle histoire d’amour. Son second roman continuera avec la vie d’Héloïse et découvrira de nouveaux faits historiques oubliés.

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