Interview. Catherine École-Boivin: « La nature est très forte pour garder en mémoire ce qui un jour doit être dit et révélé »

Le roman de Catherine École-Boivin Embrasser l’eau et la lumière renferme dans la formule poétique de son titre une « histoire de vie », une « romance dans l’histoire » qui se passe dans la baie de Bretagne, près du port de Collet, région des marais salants, pays qui demande « de la paix, de l’abnégation, du courage et donc d’honneur ». Son héroïne Lucille Machecorne suit les traces des femmes saulnières comme c’est le cas d’Agnès qui lui transmet les gestes du métier.  Raconter la vie de son modèle suppose en même temps pour elle se raconter soi-même sans lamentation et sans « aucun débordement de tendresse », comme les habitants le font depuis des siècles.

Nous donnons la parole à Catherine École-Boivin qui nous dévoile une partie des secrets de l’écriture de son roman.

Comment est né ce roman ? Y a-t-il une histoire vraie sur laquelle il repose ?

J’habite près des marais salants de la baie de Bretagne, du pays de Retz qui sont moribonds, contrairement à ceux de Guérande qui ont été maintenus par des familles de paludiers. Ces marais géographiquement sont couverts par la même mer. J’ai rencontré LULU d’une famille de Saulniers et je me suis inspirée de sa vie et elle m’a appris le sel.

D’où vient le titre, et surtout sa puissante force métaphorique ?

Pour faire du sel il faut de l’eau du vent et de la lumière et surtout des bras, la force des bras, j’ai donc pensé au verbe embrasser dans son sens premier, enlacer avec les bras pour mon titre car c’est un peu se geste d’amour, de tendresse qu’il faut pour élever le sel au-dessus-de l’eau, il faut le caresser sous l’eau, l’étreindre de toute sa force pour lui permettre de naître grâce à l’eau, donc, et la lumière du soleil. C’est, je pense, un métier de corps à corps avec les éléments.

En quoi, les habitants de ces lieux, ces maraîchins, méritent-ils le nom que vous leur donnez de gardiens, d’archivistes d’un temps impensable ?

Ici, je fais référence au fait que ces gens qui travaillent la terre, dans leur solitude savent la véritable histoire des lieux à laquelle plus personne ne semble se souvenir. Par la tradition orale, ils connaissent le pays, ses lieux, ses origines et les drames qui ont lieu sur ses terres. Ici dans mon roman c’est d’ailleurs plutôt un massacre qui a eu lieu. Ces gens qui font corps avec la terre, n’oublient pas les évènements qui les ont précédés, c’est en cela qu’ils sont les archivistes et des gestes immuables des paludiers et de l’histoire tragique de leurs ancêtres.

S’agit-il d’un monde aujourd’hui disparu ?

De nombreux jeunes femmes et hommes reprennent les salines, depuis que l’on s’est rendu compte que de nombreuses maladies mortelles étaient apparues avec l’essor du sel industriel, un vrai poison que l’on ajoute aux aliments pour les conserver et leur donner du goût. Le sel véritable dans lequel nous trouvons tous les oligo-éléments essentiels à la bonne santé de notre corps, est à nouveau consommé par les particuliers et de nombreux artisans comme des boulangers l’utilisent désormais pour saler leur pâte, alors même qu’ils avaient opté depuis des décennies pour un sel artificiel poison. Je pense que nos salines abandonnées vont renaître dans les années à venir. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Quels secrets renferment ces lieux ?

Les lieux ont des secrets, ils gardent en mémoire les évènements tragiques. La nature est très forte pour garder en mémoire ce qui un jour doit être dit et révélé.

Lucille Machecorne grandit aux côtés d’Agnès, dernière saulnière de la région, plus que sous la protection de ses parents. Quel symbole contient l’existence d’Agnès, cette femme qui vit au milieu des hommes qui font et se transmettent ce métier ? En quoi sa présence force le respect des hommes, comme vous l’affirmez ?

Agnès est un peu guérisseuse, elle est solitaire, elle ne parle pas beaucoup aux hommes, et donc, les hommes s’en méfient, se méfient de sa liberté, de son autonomie, cette vieille femme est respectée parce qu’elle connaît mieux que quiconque malgré son grand âge le marais, son sous-sol, son argile et son eau. Elle est un peu la mère de tous ces hommes qui travaillent autour d’elle et la mère du marais, dans lequel elle se fond presqu’entièrement.

De quoi le sel est-il le symbole ? Que représente pour la région côtière de la Bretagne la présence de ses marais salants ? Pourquoi l’appelez-vous un acte de résistance ?

Il faut beaucoup de courage pour tenir dans un lieu qui est déserté peu à peu. Il faut imaginer que dans les années ’60 mêmes les médecins recommandaient de consommer le sel artificiel, dans lequel les industriels ajoutaient de produits chimiques comme du fluor, du magnésium non naturel etc …. Des décennies plus tard, les humains souffrent de malnutrition, non pas parce qu’ils sont peu nourris mais parce qu’ils ont été mal nourris. Le sel artificiel a empoissonné des générations entières de personnes. Parallèlement ceux qui produisaient avec toute la force de leurs corps, qui ont donné leur vie et leurs nuits aux salines, ont été moqués, raillés, éliminés financièrement par les industriels de la chimie, donc ceux qui ont ténu leurs salines, ont été durant de nombreuses années très pauvres, ils sont passés d’un temps où ils vivaient du sel à un temps où le sel ne leur rapportait plus rien ? Pourtant certains tombés en indigence ont tenu et gardé le paysage de leur territoire, comme ils auraient pris soin de leur propre famille. Ce sont des Héros selon moi, grâce à eux de nombreuses catastrophes naturelles ont été évitées. Car, lorsque l’on recouvre le marais d’habitations, le béton de routes, on sait très bien que cela génère des drames. La tempête Xynthia a été meurtrière, car à la Faute sur mer et sa région, le marais qui sert d’éponge durant les grandes marées et les tempêtes, par le biais d’écluses et autres mécanismes très intelligents, a été capté par les promoteurs immobiliers.

Dans ce contexte, quelle signification prend le syntagme breton Gwenn Ha Du, Noir et Blanc ?

Lulu passera du sel blanc de son marais et de son silence au noir du charbon, car son père lui imposera d’aller travailler dans une charbonnerie, dans cette Bretagne, près de Nantes. Je trouvais que la comparaison était adéquate.

À côté de la petite histoire, il y a l’Histoire majuscule. En quoi celle-ci impacte la vie de vos personnages ?

Les familles n’ont jamais oublié les massacres et se détestent encore, car personne n’a jamais donné la parole aux victimes. Malgré maintenant deux siècles, et cela se comprend, les politiques n’ont pas encore reconnu ces massacres qui ont eu lieu sur nos territoires. Ici ce sont des femmes et leurs bébés qui ont été arrachées à leurs maisons pour être assassinées après une longue marche pénible sous la neige, le froid et la pluie et des tortures que leur ont imposées, « l’armée républicaine », qui étaient surtout et avant tout, composée de barbares et assassins et qui ont semé la frayeur dans nos campagnes bretonnes et vendéennes en tuant les paysans et paysannes pour les dépouiller de leurs maisons et de leurs biens, animaux et meubles compris.

Interview réalisée par Dan Burcea

Photo de Lulu, l’héroïne du roman, reçue par Catherine École-Boivin de la part des habitants du village.

Catherine École-Boivin Embrasser l’eau et la lumière, Editions Albin Michel, 2020, 240 pages.

Print Friendly, PDF & Email
Partagez cet article