Au moins une fois par jour, croiser dans le regard du ciel un possible horizon. Boire sa lumière, redessiner ses nuages, percer le cœur de son chien-loup. Ou alors, marcher jusqu’au bout du parc pour toucher l’écorce de l’arbre, celui qu’on a soi-même planté et vu grandir, et sentir dans le jour déclinant le parfum de la nuit. D’un souffle d’air, voir frémir une feuille, une herbe, un chant d’oiseau. Ou bien monter en haut de la colline car l’on connait la bienveillance du chêne qui accueillera notre paresse. S’asseoir et attendre. Les cloches hurlantes de midi, les premières gouttes de pluie ou un soleil ardent qui précipitera le départ. Redescendre par le bois du Trianon où dorment depuis des siècles fantômes et légendes. Savoir que le village s’en détourne par d’autres chemins. Croiser une source, épier son clapotis, espérer un banc de poissons miraculés ou un cygne ou même un ragondin. Un frémissement de preuve que quelqu’un s’abreuve encore à la source. Que rien n’est tari. Pas encore. Pas demain. Qu’il reste une chance à la vie d’ensemencer la terre.
Au moins une fois par jour y fouler mes pas et revenir rassasiée, inspirée, vivifiée, rassurée. Alors sans trop oser le dire, dans un murmure, glisser les mots sur la feuille et chuchoter à mes lecteurs, que l’inspiration nait ici. Dans le silence de mes pas, le corps distendu entre ciel et terre, nourri de cet entre-deux où se cache la pensée. Celle qui flotte et vole et tourbillonne à mesure du chemin. Libre de se frayer un avenir dans un mot, une phrase, un paragraphe et les jours de très beau temps, dans un chapitre entier.
Renoncer aux jours de pluie qui mouillent la page. Mots perdus, cadenassés, coincés entre quatre murs. Définitivement inconsolés. Préférer l’âtre d’une cheminée, le moelleux d’un sofa, l’arôme corsé d’un breuvage chaud et une kyrielle de mignardises. Se prélasser sans amertume et découvrir les mots des autres. Lire tous ceux qui m’ont échappé mais qu’eux, en d’autres circonstances, ont pu sauver. Savoir que c’est bien ainsi. Peut-être mieux. Que demain reviendra. Volets grands ouverts sur un ciel dégagé. Qu’il sera encore temps de prendre son panier et d’aller cueillir une nouvelle floraison.
Au moins une fois par jour, être dans le giron du monde, là où nait toute chose.
Ecrire pour pouvoir respirer.
Lou Valérie Vernet, février 2021