Ioana Nicolaie : « Lorsque le temps sera à nouveau plus calme, je ne doute pas que nous repartirons d’un pas totalement différent »

 

Le Covid-19 a changé notre mode de vie, en nous plongeant dans une expérience tout à fait nouvelle.  On nous a imposé subitement le confinement, sans nous laisser le temps de nous préparer, comme en temps de calamités, de tremblements de terre, d’inondations, etc. En quelques heures, nous avons été obligés de nous plier à de nouvelles règles, nous mettre à faire des provisions, comme en temps de guerre, nous réfugier dans un espace virtuel. Il paraît que la vie ralentit son rythme, qu’elle restructure les relations interhumaines.

L’autre jour, j’ai été obligée de sortir de chez-moi pour acheter des médicaments et, bien entendu, faire quelques courses. Je n’ai pas de masque, de toute façon ils sont introuvables, j’avais demandé dans plusieurs pharmacies. Pas de gants, non plus. Les vendeurs, les pharmaciens n’en n’ont pas, juste quelques chanceux qui s’en vente d’en avoir. Pas davantage de gel antibactérien. Seul le soleil brille, les mirabelliers sont en fleurs, tout est devenu lent, irréel. Je n’allume la télé que très peu le soir. Pour le reste, je me tiens informée à travers la presse, en suivant attentivement l’actualité. Je souffre aux côtés des Italiens et des Espagnols, je pense aux tragédies qui se jouent là-bas. J’ai du mal à me concentrer, j’avais plein de dates butoirs, j’arrive à y répondre à quelques-unes seulement. J’ai le sentiment que, malgré tous mes efforts, j’entends un bruit sourd comme une bande magnétique en train de s’enrouler sur une bobine de magnétophone. C’est quelque chose que je ressens même quand je dors, quad je lis, en donnant des cours – je continue à enseigner et il m’a fallu apprendre ces jours-ci comment m’en servir d’une plateforme en ligne –, tout en essayant de m’organiser au mieux. Vivre confinée n’est pas une difficulté pour moi, je fais partie de ceux qui le désirent, ce qui est difficile en échange, c’est cette sensation de bruit continu, inaudible. Mon fils a pris un coup de froid il y a quelques jours, le surveiller a été une épreuve épuisante, de peur qu’il ne fasse pas de fièvre, qu’il n’ait pas d’autres symptômes. Je voulais des vacances, me dit-il, mais pas comme celles-ci, en aucun cas comme ça. Ensuite, il me dit qu’il a envie de retourner à l’école. Moi aussi j’y pense, même s’il n’y a qu’une semaine depuis le début de ce confinement, les projets me manquent, j’au dû mettre en sourdine celui de la Bibliothèque Melior (une donation d’à peu près 600 livres superbes devaient arriver dans ces jours-ci à Moșnița, Timișoara), d’autres événements auxquels je devais participer me manquent également, sans parler de ceux que j’ai déjà enlevé de mon agenda. D’ailleurs, tout est dépourvu d’efficacité en cette période rude : l’enseignement en ligne est artificiel, les élèves sont à leur tour sous pression, je n’arrive pas à mesurer le bénéfice d’une telle méthode. Que nous reste-t-il finalement ? La possibilité de communiquer. Jamais avant, dans une situation similaire, nous n’avions pas été si solidaires. Demander des nouvelles à nos parents, parler au téléphone, appeler nos amis. Lorsque le temps sera à nouveau plus calme, je ne doute pas que nous repartirons d’un pas totalement différent. Plus conscients de nos vulnérabilités, de nos urgences ou des dangers de toute sorte de poisons idéologiques.

Ioana Nicolaie est une écrivaine roumaine, auteure de plusieurs recueils de poésies (Poză retuşată, Nordul, Credinţa, Cenotaf, Autoimun – désigné comme Livre de l’Année par l’Union des Écrivains roumains, en 2013), une anthologie Lomografii, 3 romans (Cerul din burtă, O pasăre pe sîrmă, Pelinul negru –Prix pour une œuvre en prose de la revue Ateneu; désigné Livre de l’Anné par ”Cititorul știe mai bine”, concours initié par Librăriile Cărturești, Cartea Reghinei, Prix Radio România Cultural 2020), et des livres pour enfants (Aventurile lui Arik, Arik și mercenarii, Ferbonia, Vertijia, Călătoria lui Medilo și Spionul Kme). Elle a été nominalisée à plusieurs reprises dans le cadre des prix nationaux et internationaux, le plus important étant Eastern European Literature Award. Ces livres ont été traduits en bulgare, serbe, suédois et allemand. Elle est présente dans 23 volumes collectifs roumains et dans de nombreuses revues et anthologies étrangères. Elle est souvent invitée pour des lectures et des conférences nationales et internationales de littérature. Elle est membre de l’Union des Écrivains roumains et du PEN Roumanie.

(Traduit du roumain par Dan Burcea)

Print Friendly, PDF & Email
Partagez cet article